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restent suspendues tout l'hiver à leurs tiges, pour servir de nourriture aux oiseaux. Elles ne s'entr'ouvrent et ne tombent que dans la saison où elles doivent se reproduire. Les pailles des graminées, et les troncs des chênes morts de vieillesse, se décomposent alors en autant de temps qu'ils ont végété : les premières, en une demi-année; les autres pendant des siècles. L'arbre desséché reste long-temps debout; mais la nature, qui voile partout la mort sur le théâtre de la vie, couvre encore ses branches arides des guirlandes parfumées du chèvre-feuille ou du lierre toujours vert. Si l'arbre est renversé par les tempêtes, des agarics et des mousses de toutes couleurs dévorent et décorent à la fois son vaste squelette. Quelle est donc l'intelligence qui a proportionné, dans chaque espèce de végétal, la force de ses fibres vivantes aux injures de l'atmosphère, et la durée de ses fibres mortes à celle de son renouvellement? C'est sans doute celle qui a voulu, d'un côté, que la terre ne s'encombrât pas par les dépouilles permanentes des végétaux, et qui, d'un autre côté, a voulu qu'elles durassent assez pour offrir des litières, des abris et des nourritures aux animaux pendant l'hiver. C'est enfin le Dieu qui a mis en harmonie les différents âges de la vie humaine et l'ignorance des enfants avec l'expérience des vieillards.

Qui pourrait décrire les mouvements que l'air communique aux végétaux? Combien de fois, loin des villes, dans le fond d'un vallón solitaire couronné d'une forêt, assis sur le bord d'une prairie

B. 1.

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agitée des vents, je me suis plu à voir les mélilots dorés, les trèfles empourprés et les vertes graminées, former des ondulations semblables à des flots, et présenter à mes yeux une mer agitée de fleurs et de verdure! Cependant les vents balançaient sur ma tête les cimes majestueuses des arbres. Le retroussis de leur feuillage faisait paraître chaque espèce de deux verts différents. Chacune a son mouvement. Le chêne au tronc roide ne courbe que ses branches, l'élastique sapin balance sa haute pyramide, le peuplier robuste agite son feuillage mobile, et le bouleau laisse flotter le sien dans les airs comme une longue chevelure. Ils semblent animés de passions : l'un s'incline profondément auprès de son voisin comme devant un supérieur, l'autre semble vouloir l'embrasser comme un ami; un autre s'agite en tout sens comme auprès d'un ennemi. Le respect, l'amitié, la colère, semblent passer tour-à-tour de l'un à l'autre, comme dans le cœur des hommes; et ces passions versatiles ne sont au fond que les jeux des vents. Quelquefois un vieux chêne élève au milieu d'eux ses longs bras dépouillés de feuilles et immobiles. Comme un vieillard, il ne prend plus de part aux agitations qui l'environnent; il a vécu dans un autre siècle. Cependant ces grands corps insensibles font entendre des bruits profonds et mélancoliques. Ce ne sont point des accents distincts; ce sont des murmures confus comme ceux d'un peuple qui célèbre au loin une fête par des acclamations. Il n'y a point de voix dominantes : ce sont

des sons monotones, parmi lesquels se font entendre des bruits sourds et profonds, qui nous jettent dans une tristesse pleine de douceur. Ainsi les murmures d'une forêt accompagnent les accents du rossignol qui, de son nid, adresse des vœux reconnaissants aux Amours. C'est un fond de concert qui fait ressortir les chants éclatants des oiseaux, comme la douce verdure est un fond de couleurs sur lequel se détache l'éclat des fleurs et des fruits.

Ce bruissement des prairies, ces gazouillements des bois ont des charmes que je préfère aux plus brillants accords: mon ame s'y abandonne; elle se berce avec les feuillages ondoyants des arbres; elle s'élève avec leurs cimes vers les cieux; elle se transporte dans les temps qui les ont vus naître et dans ceux qui les verront mourir; ils étendent dans l'infini mon existence circonscrite et fugitive. Il me semble qu'ils me parlent, comme ceux de Dodone, un langage mystérieux; ils me plongent dans d'ineffables rêveries, qui souvent ont fait tomber de mes mains les livres des philosophes. Majestueuses forêts, paisibles solitudes qui, plus d'une fois, avez calmé mes passions, puissent les cris de la guerre ne troubler jamais vos raisonnantes clairières! N'accompagnez de vos religieux murmures que les chants des oiseaux, ou les doux entretiens des amis et des amants qui viennent se reposer sous vos ombrages.

FIN DU TOME PREMIER DES HARMONIES.

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