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de la vie humaine, qui est entremêlé de rougeoles et de petites-véroles, il ne s'annonce que par des grêles et des giboulées; le mois d'avril, qui en présente les prémices, est souvent humide et froid dans nos climats. Les paysans de mon pays disent en proverbe: Avril doux ; quand il s'y met, c'est le pire de tous. Il règne alors, surtout sur les côtes de Normandie, un vent du nord-ouest, qui couvre nos campagnes de l'atmosphère brumeuse des glaces marines qui descendent des pôles du Nord, et viennent s'échouer et fondre sur le banc de Terre-Neuve. Souvent le mois de mai n'est pas plus agréable que le mois d'avril. Voltaire disait que le mois de mai n'était beau que chez les poètes. En effet, j'ai vu plus d'une fois de la neige tomber dans nos promenades avec les fleurs des marroniers d'Inde. Pourquoi exposerions-nous alors nos jeunes filles à des rhumes et à des transpirations arrêtées? Destinées, par leur délicatesse et leurs devoirs, à garder l'intérieur de leurs maisons, laissons-les-y au moins à l'abri des injures des éléments; ce n'est qu'aux garçons à les braver. Je voudrais donc que ceux-ci, dans les mauvais temps, fissent seuls des incursions dans les campagnes pour en rapporter des fleurs et des rameaux; les jeunes filles en feraient des guirlandes destinées à leur parure; elles s'exerceraient ensuite à les dessiner et à les broder, d'après quelques bons modèles et les conseils de leur mère, ou, à son défaut, de quelque Minerve du voisinage. Pourquoi ne se trouverait-il pas des femmes qui feraient part gra

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tuitement de leurs talents à la jeunesse, comme d'autres faisaient part de leur fortune à la fondation des couvents, dans un temps où ils étaient l'asile de l'innocence et de la vertu?

Je pense qu'il est utile d'exercer également les enfants des deux sexes à dessiner les plantes. Ils trouveront dans leurs formes toutes les courbes imaginables, et ils exerceront, d'aprés des modèles réguliers, l'instinct qui les porte à charbonner sur les murs les objets qui les frappent.

Si j'ose dire ce que je pense, c'est aux plantes, et surtout à leurs racines, qui leur fournissent des fils, des cordes, des arcs, que les Sauvages doivent les premiers modèles des spirales de leurs meubles et de leur écriture hiéroglyphique. Je suis d'autant plus porté à adopter cette opinion, que les Chinois, le peuple le plus ancien de la terre, y ont puisé leur premier alphabet. Suivant Kircher, c'est des formes des racines, auxquelles ils attribuent les plus grandes vertus des plantes, qu'ils ont composé les premières lettres qui servirent à l'écriture vulgaire et à faire des livres. Ils y joignirent ensuite d'autres alphabets, formés d'étoiles, d'ailes d'oiseaux, de tortues, de coquillages, de vermisseaux, de reptiles, de poissons, suivant les sujets qu'ils voulaient traiter. Ils groupaient plusieurs de ces animaux pour exprimer le caractère d'un objet. Par exemple, voulaient-ils offrir l'image de la rapidité d'un fleuve qui se précipite comme un torrent, ils représentaient plusieurs poissons qui nageaient dans différents sens. Le

cours ordinaire d'un fleuve était rendu par un seul poisson nageant dans une seule direction. Une agrégation d'animaux forma un caractère, désigné aujourd'hui par des points ou par de simples traits. C'est, suivant Kircher, la seule différence qui existe entre leurs caractères anciens et leurs caractères modernes : ainsi, une lettre est chez eux une pensée. Ils eurent, dans l'origine, seize alphabets, qui n'en composent plus qu'un seul aujourd'hui; mais celui de la végétation est le plus ancien et le fondement de tous les autres.

C'est à la forme des racines des plantes qu'il faut attribuer, à mon avis, ces grands traits déliés, roulés et enchevêtrés qu'on trouve dans leur écriture et dans celle des autres peuples de l'Orient, qui adoptèrent sans doute les mêmes modèles. Nous retrouverions, peut-être, ces caractères radicaux dans nos lettres romaines; car les trois jambes de I'M, les deux perpendiculaires de l'N, les deux inclinées de l'A, les deux renversées du V, de l'X, le Z, etc, ressemblent aux racines végétales de l'alphabet chinois. Les lettres E, F,I, L, Y, représentent peut-être des tiges d'arbres, les unes toutes nues, les autres avec des branches, d'autres avec des racines, d'autres avec des branches et des racines. Notre T surtout est une abréviation du fameux Tau des Égyptiens. Il imite, comme lui, le tronc d'un arbre avec ses branches horizontales, désigné ainsi dans les caractères de la Chine †. Cette forme de croix qui, suivant nos voyageurs les plus éclairés, représente un arbre dans l'écri

ture chinoise, a fait imaginer bien des commentaires à quelques missionnaires, qui ont cru y voir le signe de la rédemption, ainsi que dans le Tau des Égyptiens. Il y a apparence que notre Sa été tirée de la figure du serpent, d'autant qu'elle fait siffler tous les mots où elle se trouve. Nous citerons en preuve ce vers de Racine dans la bouche d'Oreste furieux, qui croit voir le spectre sanglant de sa mère après l'avoir poignardée :

Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?

La lettre C, qui a une partie de la figure de l'S, ou d'un serpent à demi levé, produit aussi souvent le même sifflement. Quant à l'O, je suis porté à croire qu'il doit sa forme à celle du soleil, d'autant que le son qu'il exprime est, dans toutes les langues, celui de l'admiration : c'est le sentiment qu'a dû produire, chez tous les peuples, l'astre du jour. L'O donne de la majesté à tous les mots, en les rendant plus sonores. Il se trouve fréquemment dans les langues méridionales de l'Europe, comme dans celle des Espagnols. Aussi Charles-Quint, s'arrêtant aux divers accents des langues européennes, disait que l'anglaise était propre à parler aux oiseaux, l'allemande aux chevaux, l'italienne aux dames, la française aux hommes, l'espagnole à Dieu. Ce qui prouve encore que la figure de la lettre O doit son origine à la forme ronde du soleil, et son expression à celle de l'admiration, c'est qu'elle se trouve très-répandue dans les langues simples des peuples de la zone torride, aux

quelles elle donne une harmonie et une dignité que n'ont pas souvent celles des peuples savants et civilisés des autres climats. C'est ce qu'on peut voir surtout dans les noms de la plupart des royaumes de l'intérieur de l'Afrique, tels que ceux d'Angola, des Jolofs, de Tombuto, de Bournou, de Majombo, de Gingiro, de Macoco, de Loango, de Congo, de Loando, de Monoémugi, de Monomotapa, de Monzambo, etc. D'un autre côté, j'ai observé que dans les pays froids, comme en Russie, la plupart des terminaisons des noms sont en A, telles que celles du lac Ladoga en Finlande; de la cascade d'Imatra, de la ville de Riga, ainsi que celles de quantité de noms vulgaires. La bière s'y appelle piva; l'eau, vauda; le pain, gleba; la mère, matouska; le père, batouska. Pour dire à gauche, on dit na lava; à droite, na prava; mon pigeon, goloubouska maïa, etc. J'en laisse chercher la raison à d'autres. Quant au caractère O, je lui trouve une analogie encore plus marquée avec le soleil. Dans les chiffres arabes, lorsqu'il est seul, ce n'est qu'un zéro; il est sans valeur: mais il décuple celle d'un chiffre lorsqu'il y est joint; il la centuple lorsqu'on l'y ajoute deux fois, ainsi de suite. Il ressemble donc au soleil, qui est sans action lorsqu'il n'est pas combiné avec une des puissances de la nature. C'est ce que l'on voit au sommet des hautes montagnes, qu'il laisse couvertes de glaces, parce qu'il ne peut s'y harmonier avec l'air, qui y est trop raréfié. Mais lorsque, par la médiation de ce même air, il peut se combiner avec une des puissances

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