Page images
PDF
EPUB

Avec ce tour de logique, elle m'a mis souvent hors d'état de lui répondre. Au reste, cette méthode de raisonnement est familière à la plupart des enfants élevés avec liberté. Notre raison apparaît positive et négative dans ses premiers développements; elle est en rapport avec les harmonies de la nature, formées de contraires; c'est elle qui pousse les enfants à effeuiller la rose qu'ils ont d'abord admirée: comme les hommes, ils veulent connaître la source de leurs plaisirs. Je me servirais de cet instinct pour leur donner une idée intime de la botanique; je leur montrerais le rapport des racines des plantes avec la terre; de leurs feuilles avec les pluies, de leurs tiges avec les vents, des pétales de leurs fleurs avec le soleil ; je leur expliquerais même l'usage des pistils, des anthères et de leurs parties sexuelles. Ces images sont si pures dans les fleurs, que la plupart des hommes ne les y aperçoivent pas, quoiqu'ils les foulent aux pieds. Je ne voudrais pas qu'ils eussent honte eux-mêmes de leur propre sexe, et qu'ils le regardassent comme un opprobre, suivant nos anciens préjugés. Tout est innocent à des ames innocentes. Ce n'est pas la nature qui corrompt notre cœur, c'est notre cœur qui corrompt la nature. J'apprendrais aux enfants à respecter la double chaîne qui reperpétue les êtres, comme une loi sainte et sacrée que la nature a mise en eux sous la sauvegarde de la pudeur. Les jeunes filles des Sauvages sont chastes quoique nues, parce que leur cœur est pur. Les sexes des plantes ne feraient pas plus naître dans

les enfants des idées obscènes, que les sexes des animaux qu'ils voient tous les jours à découvert.

Au reste, nous naissons tous pyrrhoniens : les questions directes et inverses des enfants en sont la preuve; c'est par elles qu'ils s'instruisent. Le doute est dans leur tête, comme dans celle de Descartes, le premier mobile de leur science; leur raison vacillante me paraît la cause de l'inconstance qui leur est si naturelle. C'est une balance qui a sa systole et sa diastole, comme le cœur, et qui, par son mouvement même, est très-propre à se charger de connaissances en tout genre, pourvu que nous en maintenions l'équilibre. Mais bientôt les préjugés, les autorités et les habitudes en font incliner un des côtés, pour ne se relever jamais. Heureux encore si nous conservions le doute pour les opinions d'autrui! mais, comme les philosophes euxmêmes, nous les rejetons sans examen, pour n'approuver que les nôtres.

Il est donc nécessaire de laisser les enfants faire des questions; car c'est à l'ignorant ou à celui qui doute à demander, et à celui qui sait ou croit savoir à répondre, au rebours de notre manière d'instruire, comme l'a fort bien remarqué JeanJacques. Il suffit de piquer la curiosité des enfants, qui n'est si active en eux que parce que tout leur est nouveau, et que leur raison en équilibre ne sait à quoi se fixer. Pourvu donc qu'on ne l'arrête point par des autorités dogmatiques, on lui ouvrira mille perspectives ravissantes au milieu de cet océan de vérités qui nous environne. Mais si vous la fixez à

des atomes, comme Épicure, ou à des tourbillons de ces mêmes atomes, comme Descartes, ou à l'horreur du vide, comme Aristote, ou à l'amour du plein, qui est l'attraction, comme les Newtoniens modernes, vous échouerez sur un écueil. En vain vous ajouterez à ce dernier système si à la mode une force de projection, combinée avec celle de l'attraction, de peur que toutes les pièces de l'univers, en s'attirant mutuellement, ne viennent à former un seul bloc; en vain vous supposerez même que cette force de projection en ligne droite est produite par la force centrifuge ou repoussante du corps qui attire, parce que c'est une contradiction; en vain vous ajouterez que, dans les corps, les uns repoussent, et les autres attirent, comme une maîtresse qui hait son amant, ce qui n'a pas encore été dit, quoique plus vraisemblable: vous ne ferez jamais concevoir le mouvement elliptique et constant d'une planète autour du soleil, sans l'idée d'un être intelligent qui a créé ces forces, les a balancées et les entretient. Le sentiment de la Divinité est l'ultimatum de la raison humaine; c'est le centre de la sphère, dont elle est un rayon; elle en part, elle y retourne. J'ai tracé une légère esquisse de sa marche d'après la raison d'une petite fille. Les enfants âgés de dix à douze ans sont susceptibles de raisonnements beaucoup plus étendus; il en est tel qui, par une courte série de questions fort simples, forcerait l'athée le mieux retranché dans son système hérissé de calculs, d'avouer, comme Newton lui-même, qu'il existe un

B. 1.

14

Dieu : mais, pour nous élever vers lui, ne quittons pas le chemin des fleurs.

Si les jeunes filles ont du goût pour les fleurs éparses dans les champs, elles n'en ont pas moins pour les rassembler en bouquets ou en chapeaux, et les assortir avec leur teint, leurs traits et leur humeur. On peut, à cette occasion, leur donner une idée générale de notre théorie des couleurs en cinq couleurs primitives, ou la blanche, la jaune, la rouge, la bleue et la noire. On peut y peindre leurs couleurs intermédiaires, telles que la safranée, l'orangée, la violette et celle d'indigo; on pourrait en former avec des fleurs une guirlande qui présenterait une série des plus aimables consonnances, en les rangeant dans cet ordre : des jasmins, des marguerites, des jonquilles, des bassinets, des capucines, des roses, des coquelicots, des nielles, des blés, des bluets, des piedsd'alouettes, des tulipes rembrunies; car, pour les fleurs tout-à-fait noires, je n'en connais point: elles seraient inutiles dans le tableau de la végétation, où chaque fleur porte son ombre avec elle. On apprendrait aussi aux jeunes filles à produire des contrastes avec ces mêmes fleurs, en opposant les plus claires aux plus sombres : en ce cas, elles auraient attention de mettre les plus blanches au centre, comme une masse de lumière qui éclaire et rehausse tout le groupe: c'est ce que ne manquent pas de faire les Van-Spaëndonck dans leurs tableaux. Mais, après tout, ces réflexions ne valent pas le goût naturel du sexe dans l'arrangement des

fleurs, qui font sa plus charmante parure. Comme je l'ai dit ailleurs, j'ai connu une femme qui, avec de simples graminées de diverses espèces, formait les plus agréables panaches dans des vases à long col: il n'y entrait pas une seule fleur. Les femmes de l'Orient trouvent dans leurs jardins de quoi exprimer toutes leurs passions, avec des roses, des soucis, des tulipes au cœur brûlé... En effet, les fleurs ont des analogies avec les caractères, les unes étant gaies, d'autres mélancoliques ; il y en a même, ainsi que je l'ai dit, qui en ont avec les traits du visage: les bluets en ont avec les yeux, les roses avec la bouche, la rose de Gueldre avec le sein, la digitale avec les doigts, etc. Chacune d'elles a des parfums qui en ont aussi avec les diverses sensations de la beauté. Les fleurs les plus odorantes sont les plus propres à faire des bouquets et des chapeaux, telles que les violettes et les roses. Rien n'est aimable comme les fleurs dans la parure des femmes et des enfants: l'or, l'argent, les perles et les diamants ne peuvent leur être comparés ni par leurs formes, ni par leur éclat, qui est trop vif; seules, elles ont des coupes et des teintes analogues à la couleur des yeux, des lèvres et du visage; elles se présentent partout sous leurs pas, tandis qu'il faut aller chercher les métaux et les fossiles brillants à travers mille dangers, au sein des terres et des mers: les unes se recueillent par les mains de l'innocence, et les autres souvent par celles du crime. Mais on ne jouit pas toujours des premiers charmes du printemps. Quelquefois, comme celui

« PreviousContinue »