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vallées, il entend les oiseaux par leurs chansons, et les troupeaux par leurs mugissements, saluer les derniers rayons du soleil qui dorent les sommets des collines. Bientôt ils cessent de voir, de marcher, de sentir, et, pour ainsi dire, de vivre. Son absence les plonge dans un profond sommeil. On croirait que leur vie est une portion de cette flamme céleste qui éclaire et échauffe les airs, les eaux, la terre et les forêts. Le cours de leurs actions journalières est réglé sur les diverses heures du cours journalier du soleil, comme celui de leurs naissances, de leurs amours, de leurs générations et de leurs morts, sur les diverses phases de son cours annuel.

L'homme seul sait rappeler le feu du soleil au milieu des ténèbres, et y découvrir de nouvelles modifications. Il le fait sortir du tronc des arbres, où de longs étés l'ont fixé, et il le fait étinceler et flamber dans son foyer. Mais sa lueur céleste brille encore pour lui au haut des cieux, malgré l'obscurité des nuits. Il la voit réfléchie dans le firmament, par les planètes, accompagnées de leurs satellites nombreux. Il les voit tour-à-tour ascendantes, descendantes à l'orient, à l'occident, sur des lignes horizontales, obliques, perpendiculaires, et formant entre elles des losanges, des carrés, des triangles. Ce télégraphe céleste lui parle sans cesse un langage mystérieux, qui lui annonce toutes les harmonies du temps, des secondes, des minutes, des heures, des jours, des semaines, des mois, des saisons, des années, des cycles, des siècles. Il exprime encore toutes

les époques de l'existence, des naissances, des adolescences, des pubertés, des virilités, des générations, des vieillesses, des décrépitudes, des morts. Quelquefois une comète chevelue, venant à traverser les cieux, apparaît comme un signal de destruction ou de création pour un globe ancien ou nouveau. Ainsi, si l'on peut comparer les imitations terrestres des hommes aux modèles célestes que leur offre la nature, nos machines mobiles élevées sur le haut de nos tours nous annoncent, par quelque signal extraordinaire, une défaite ou une victoire. Peut-être chaque étoile, comme un soleil, a ses signaux particuliers dans les mouvements des mondes auxquels elle donne la vie; peutêtre tous leurs télégraphes, agissant à la fois, se communiquent leurs expressions, et expriment à l'infini des pensées ineffables, qui ne sont comprises que par des êtres immortels. Pour notre soleil, il est pour l'homme le livre de l'immortalité; c'est dans sa lumière qu'il puise ces sentiments de gloire, d'infini, d'éternité, qui accompagnent sans cesse les espérances de sa vie passagère.

Nous ne connaissons donc les qualités du soleil qu'en les combinant synthétiquement avec les autres puissances de la nature, et nous les faisons disparaître en les en séparant par l'analyse. Il en est de même des autres puissances. Nous ne connaissons les facultés de l'homme qu'en le mettant en rapport avec les éléments, les végétaux, les animaux, et surtout avec ses semblables. C'est par ces rapprochements que se démontre l'existence

B. I.

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de son ame raisonnable. Il en est de même de la Divinité. Nous ne nous convainquons de sa puis

de son intelligence, de son éternité, de sa bonté, qu'en rapportant ses attributs à ses divers ouvrages. Elles s'évanouissent dans les méditations du solitaire, qui les décompose dans son cerveau. Il n'y a point d'homme plus près du matérialisme que le métaphysicien, parce que l'analyse qui l'égare est née de l'orgueil et de la faiblesse de l'esprit humain.

La botanique a été traitée par l'analyse comme les autres sciences. Les hommes, semblables aux enfants, ont effeuillé les plantes pour les connaître, et ils ont tiré à peu près les mêmes résultats. Mais si on rapporte les végétaux aux autres puissances de la nature, leurs fleurs au soleil, leurs tiges aux vents, leurs feuilles aux pluies, leurs racines à la terre, leurs fruits aux animaux et aux hommes, il en résulte mille connaissances agréables et utiles. Une prairie suffit pour donner aux enfants, au défaut du ciel, une idée de la puissance du soleil. Les fleurs lui montrent les diverses époques des heures des jours, des saisons et des années. Si les astres, par leur grandeur et l'étendue de leur révolution, font naître des sentiments d'admiration, d'étonnement et de respect religieux, les fleurs en produisent de gaieté, d'innocence, de plaisir. Laissons même les enfants, au défaut de maîtres, imaginer leur botanique. S'ils trouvent que les pétales des roses ne sont concaves que pour être claqués sur leur front; que les degrés de la tige de certaines

graminées ne sont alternés que pour exprimer le degré de leurs amitiés, et que les volants des semences d'un pissenlit ne sont faits que pour être soufflés d'une seule haleine, qui dira que leur système ne vaut pas celui de Linnée? Les fleurs d'une prairie sont aussi bien créées pour leur servir de bouquets et de chapeaux, que pour être pâturées par les bêtes, ou disséquées par des savants. La plupart même d'entre elles ont des rapports de convenance avec les traits des enfants, par leur grandeur, leurs couleurs et leur naïveté. Les bluets sont semblables à leurs yeux bleus; les boutons de rose à leurs lèvres vermeilles. Il en est de même des fruits: la pomme d'api, blanche et rouge, a des convenances avec leurs joues si riantes; la pêche fondante et la fraise mamelonnée en ont également avec le sein des jeunes filles. On pourrait les étendre beaucoup plus loin.

C'est donc aux femmes, et surtout aux mères, à donner les premières notions de la botanique aux enfants, en allant du simple au composé. On peut remonter aisément d'un fraisier jusqu'à l'ordre de l'univers : j'en vais présenter la marche à l'institutrice, qui doit se considérer comme la mère des 'enfants, ainsi que l'instituteur est considéré comme leur père. Je voudrais même que l'un et l'autre en portassent les noms, afin qu'ils se rappellent sans cesse la bonté et l'indulgence qu'ils doivent à leurs élèves, et ceux-ci l'affection et la reconnaissance dues à des soins maternels.

Je suppose donc une mère avec deux enfants,

une petite fille et un petit garçon, auxquels elle voudrait donner quelques idées de la nature et de son auteur. J'appellerai la première Virginie, et le second Paul. J'adopte ces noms d'autant plus volontiers que j'ose dire Ꭹ avoir attaché quelque intérêt. Beaucoup d'enfants les portent aujourd'hui : en cela Dieu a comblé mes vœux et au-delà. Lorsque j'étais célibataire, et que je publiai les premiers volumes de mes Études de la Nature, j'y ai dit, sans me douter que je prophétisais, que la génération future m'appartiendrait en quelque chose. Je l'entendais des réformes de son éducation, dont je m'occupais; mais j'en suis en quelque sorte devenu le parrain. Je ne vais point dans une promenade que je n'entende des mères, des bonnes, des frères et des sœurs appeler des Pauls et des Virginies. Je tourne souvent la tête, croyant que ce sont mes propres enfants, car j'ai aussi une Virginie et un Paul, qui forment la couronne de roses de ma vieillesse. Je me servirai donc de leurs noms avec d'autant plus de plaisir qu'ils me donneront l'occasion de tracer une esquisse de leurs caractères qui commencent à poindre; j'y trouverai aussi celle de leur donner quelques leçons utiles pour l'avenir. Ma Virginie, qui a bientôt cinq ans, est déjà dans l'âge et dans le goût d'en profiter: pour mon Paul, il n'a guère qu'un an; mais il est de l'humeur la plus douce, et il répond déjà, par ses caresses, à la vive affection de sa sœur. Il n'y a que des ames aimantes qui soient propres à l'étude de la nature.

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