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la mémoire. Quelquefois nous élevons des urnes, des statues; mais le temps détruit bientôt les monuments des arts, tandis qu'il fortifie chaque année ceux de la nature. Les vieux ifs de nos cimetières ont plus d'une fois survécu aux églises qu'ils y ont vu bâtir. Ombrageons ceux de la patrie des végétaux qui caractérisent les diverses tribus de citoyens qui y reposent; qu'on voie croître sur les fosses de leurs familles ceux qui les ont fait vivre pendant leur vie, l'osier des vaniers, le chêne des charpentiers, le cep des vignerons; mettons-y surtout des végétaux toujours verts, qui rappellent des vertus immortelles, plus utiles à la patrie que des métiers et des talents; que les pâles violettes et les douces primevères fleurissent chaque printemps sur les tertres des enfants qui ont aimé leurs pères; que la pervenche de Jean-Jacques, plus chère aux amants que le myrte amoureux, étale ses fleurs azurées sur le tombeau de la beauté toujours fidèle; que le lierre embrasse le cyprès sur celui des époux unis jusqu'à la mort; que le laurier y caractérise les vertus des guerriers; l'olivier celles des négociateurs; enfin, que les pierres gravées d'inscriptions, à la louange de tous ceux qui ont bien mérité des hommes, y soient ombragées de troënes, de thuya, de buis, de genévriers, de buissons ardents, de houx aux graines sombres, de chèvre-feuilles odorants, de majestueux sapins. Puissé-je me promener un jour dans cet élysée, éclairé des rayons de l'aurore, ou des feux du soleil couchant, ou des pâles clartés de la lune, et

consacré en tout temps par les cendres d'hommes vertueux! Puissé-je moi-même être digne d'y avoir un jour mon tertre, entouré de ceux de mes enfants, surmonté d'une tuile couverte de mousse! C'est par ces décorations végétales que des nations entières ont rendu les tombeaux de leurs ancêtres si respectables à leur postérité. Dans ce jardin de la mort et de la vie, du temps et de l'éternité, se formeront un jour des philosophes sensibles et sublimes, des Confucius, des Fénélons, des Addisdes Youngs. Lå s'évanouiront les vaines illusions du monde, par le spectacle de tant d'hommes que la mort a renversés; là renaîtront les espérances d'une meilleure vie, par le souvenir de leurs vertus.

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HARMONIES VÉGÉTALES,

OU

LEÇON DE BOTANIQUE A PAUL ET VIRGINIE.

ÉGLOGUE DE VIRGILE.

Présidez aux jeux de nos enfants, charmante fille de l'Aurore, aimable Flore; c'est vous qui couvrez de roses les champs du ciel que parcourt votre mère, soit qu'elle s'élève chaque jour sur notre horizon, soit qu'elle s'avance, au printemps, vers le sommet de notre hémisphère, et qu'elle rejette ses rayons d'or et de pourpre sur leurs régions de neige. Pour vous, suspendue au-dessus de nos vertes campagnes, portée par l'arc-en-ciel au sein des nuages pluvieux, vous versez les fleurs à pleine corbeille dans nos vallons et sur nos forêts; le zéphyr amoureux vous suit, haletant après vous, et vous poussant de son haleine chaude et humide. Déjà on aperçoit sur la terre les traces de votre passage dans les cieux ; à travers les rais lointains de la pluie, les landes apparaissent toutes jaunes de genêts fleuris; les prairies brumeuses, de bassinets dorés et les corniches des vieilles tours, de giroflées safranées. Au milieu du jour le plus nébuleux, on croirait que les rayons du soleil luisent au loin sur les croupes des collines, au fond des vallées, aux sommets des antiques monuments; des

lisières de violettes et de primevères parfument les haies, et le lilas couvre de ses grappes pourprées les murs du château lointain. Aimables enfants, sortez dans les campagnes, Flore vous appelle au sein des prairies : tout vous y invite, les bois, les eaux, les rocs arides; chaque site vous présente ses plantes, et chaque plante ses fleurs. Jouissez du mois qui vous les donne: avril est votre frère; il est à l'aurore de l'année, comme vous à celle de la vie; connaissez ses dons riants comme votre âge. Les prairies seront votre école, les fleurs vos alphabets, et Flore votre institutrice.

Nous n'appellerons point des docteurs pour en seigner la botanique aux enfants; c'est aux femmes qu'il appartient de leur parler de ce que les végétaux ont de plus intéressant; elles-mêmes ont avec eux les rapports les plus doux; les arbres semblent faits pour les ombrager, les gazons pour les reposer, les fleurs pour les parer. Qui sait mieux qu'elles en assortir des bouquets, et en composer' des guirlandes, des couronnes, des chapeaux? Ce fut à l'école de la bouquetière d'Athènes que le peintre Pausias, son amant, se rendit si habile faire des tableaux de fleurs. Les femmes sont ellesmêmes les fleurs de la vie, comme les enfants en sont les fruits; ce sont elles qui font le charme de nos sociétés, soit qu'elles forment entre elles des chœurs de danse, soit que chacune d'elles se promène avec son époux, ou entourée de nombreux enfants. Tout ce qu'il y a de plus agréable à la pensée s'y présente sous des figures et des noms

de femme. L'antiquité donna des formes et des noms féminins à l'Aurore; aux Heures, qui attelaient les chevaux du Soleil ; à l'arc-en-ciel, qu'elle appela Iris; aux Naïades, aux Néréides, aux Oréades, aux divinités les plus aimables des airs, des eaux, de la terre, des forêts; aux Muses, aux Vertus, aux Graces et à Vénus elle-même, qui réunissait en elle tous les charmes. Il est vrai que nous avons attribué aussi au même sexe tout ce qu'il y a de plus déplaisant sur la terre tel, que les maladies les plus cruelles du corps, de l'ame et des sociétés politiques, comme la faim, la soif, les fièvres, les épidémies, la peste, la jalousie, l'envie, la calomnie, la haine, la fureur, la rage, la perfidie, la férocité, les Furies des enfers, enfin la guerre qui réunit tous les maux, sous la forme et le nom de Bellone..... Ce n'est pas que les femmes soient plus susceptibles de ces passions cruelles que les hommes; elles y sont moins sujettes, par leur nature douce et compatissante; mais lorsqu'elles se rencontrent en elles, elles y acquièrent quelque chose de plus dangereux, corruptio optimi pessima. Si les vertus sont encore plus belles dans un beau corps, les vices aussi y sont plus hideux. Les femmes atteignent en bien et en mal les deux extrêmes, et les inspirent alors aux hommes; les jouissances et les douleurs exquises leur appartiennent. C'est donc à elles à professer la science des plaisirs, puisqu'elles en ont une conscience plus intime. Il n'y en a point de plus aimable et de plus innocente que celle de la botanique. Si

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