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l'homme est le seul des animaux qui exerce l'agriculture et les arts innombrables qui en dérivent; et c'est par le feu qu'il donne aux végétaux les harmonies extérieures qui lui conviennent, et qu'il en extrait celles que la nature y avait renfermées pour ses besoins intérieurs.

L'homme tourne encore à son avantage les harmonies végétales des animaux. C'est par les plantes qui leur plaisent qu'il en a subjugué plusieurs. Avec les trèfles, les graminées, les vesces, les orges, il a attiré et attaché à son domicile la chèvre, la vache, l'âne, le cheval, et jusqu'à des oiseaux, tels que la poule et le pigeon, qui, ayant des ailes, semblaient destinés à une liberté perpétuelle. S'il a attiré et fixé dans son habitation les animaux herbivores par des herbes bienfaisantes, il éloigne d'elle les animaux carnassiers par les végétaux épineux dont il l'environne. Il y a plus, il leur fait une guerre avantageuse avec des armes que lui fournit la puissance végétale, au moyen du feu. Jamais on n'a vu le singe, habitant des forêts, s'armer pour combattre ses ennemis; mais l'homme, avec le feu et son intelligence, coupe et façonne en massue la racine noueuse d'un arbre; il en courbe la branche en arc, et l'écorce en carquois; il en taille les jeunes plants en flèches, et les grands en lances. Avec ces armes végétales, il terrasse le lion et le tigre. Heureux si, en employant l'élément du soleil et une raison divine pour les fabriquer, il ne s'en fût jamais servi à la destruction de ses semblables!

Les harmonies végétales immédiates de l'homme sont bien plus étendues que toutes les précédentes. Si la nature a mis à sa disposition les nourritures végétales des animaux domestiques, elle l'a mis lui-même en rapport direct avec une multitude de plantes alimentaires. Elle l'a placé d'abord au centre du système végétal, par son attitude et par sa taille. Ce n'est point pour voir le ciel, comme l'ont dit les poètes, qu'elle l'a mis, seul des animaux, debout et en équilibre sur deux pieds. Les oies, les canards, et surtout les pingoins, jouissent du même avantage. Dans cette attitude, ses yeux ne sont dirigés que vers l'horizon; et sa hauteur qui est entre cinq ou six pieds ne l'élève guère au-dessus de la terre. Mais il est très-remarquable que cette grandeur le met au centre de la puissance végétale; de manière qu'il a autant de végétaux au-dessus de lui dans les arbres, qu'il en a au-dessous dans les herbes; ainsi, il en aperçoit toutes les productions, au moyen de son attitude perpendiculaire et de la position horizontale de sa tête. Les oiseaux qui vivent dans les arbres renversent aisément leurs têtes en arrière pour voir leur nourriture qui est au-dessus d'eux; mais les quadrupèdes portent les leurs inclinées vers la terre, où ils trouvent leurs aliments. L'homme, dont la tête horizontale se meut en haut et en bas, à droite et à gauche, aperçoit à la fois l'herbe qu'il foule aux pieds, et les sommets des plus grands arbres.

Mais c'est surtout avec les arbres fruitiers qu'il est dans un rapport parfait. Par tous pays, la plu

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part des fruits destinés à la nourriture de l'homme, flattent sa vue et son odorat. Ils sont de plus taillés pour sa bouche, proportionnés à sa main et suspendus à sa portée.

Dans une fable charmante de La Fontaine, le villageois Garo trouve mauvais que la citrouille ne soit pas portée par le chêne.

C'eût été justement l'affaire:

Tel fruit, tel arbre pour bien faire.

Le raisonneur Garo s'endort au pied du chêne; un gland tombe sur son nez. Il s'éveille en sur

saut:

Oh, oh! dit-il, je saigne; et que serait-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde?

Il en conclut que tout est à sa place; et il s'en va en louant la Providence d'avoir suspendu un petit fruit au haut d'un grand arbre.

Cette fable, dont la morale est si vraie, induit en erreur en histoire naturelle. L'enfant à qui on la fait apprendre par cœur croit que les grands arbres ne portent point de fruits lourds; et quand il vient ensuite à savoir qu'il y a aux Indes des palmiers de plus de soixante pieds de hauteur, dont le sommet se couronne de cocos qui pèsent jusqu'à trente livres, comme ceux des îles Séchelles, il est tenté de croire qu'il n'y a plus de Providence entre les tropiques.

Nous formons notre logique, et souvent notre

morale, des premières notions que nous donne la nature. Ce sont elles, et non les raisonnements de la métaphysique qui développent l'entendement humain. Il est donc essentiel de ne pas présenter à un enfant une erreur sur la nature, surtout lorsqu'elle est accréditée par l'autorité d'un de ses plus aimables peintres. L'erreur de La Fontaine consiste en ce qu'elle suppose à la Providence une fausse intention. Tout arbre n'est pas destiné à donner de l'ombre aux 'dormeurs; mais il l'est à porter des fruits, qui d'abord doivent le reproduire, et ensuite nourrir des animaux. De plus, dans chaque genre de végétal il y a des espèces réservées pour l'homme, qui sont les prototypes ou patrons de leur genre même, ainsi que nous l'avons remarqué précédemment. Nous avons observé aussi que quand leurs fruits sont tendres, ils sont d'un petit volume et peu élevés, afin de ne pas se briser dans leur chute. Ceux qui sont tendres et d'une grosseur considérable, comme les jacqs et les durions des Indes, croissent à la hauteur de l'homme, immédiatement sur le tronc de l'arbre qui les appuie. Les gourdes pesantes du calebassier sont suspendues à quatre ou cinq pieds de terre, le long de ses branches grosses et longues, qui s'abaissent à mesure que leur fruit devient plus lourd. Notre citrouille peut croître à la même hauteur, et en tombe sans se briser. Elle est faite pour mûrir en l'air; car elle est le fruit d'une plante grimpante, qui a des vrilles pour s'attacher aux arbres. J'en ai vu plus d'une fois, d'une gros

seur considérable, suspendues comme des cloches à des perches transversales.

Quant aux fruits qui viennent aux sommets des grands arbres, ils sont, pour l'ordinaire, revêtus de coques dures et d'enveloppes molles ou élastiques, dont l'épaisseur est proportionnée à leur volume. Ainsi, la noix est revêtue de ses coquilles et de son brou, la châtaigne et la faîne sont recouvertes d'une espèce de cuir et d'une capsule spongieuse et épineuse. Le gland est à demi enchâssé dans un chaton, qui le préserve de toute meurtrissure parmi les rameaux d'un arbre qui s'élève dans la région des tempêtes. Tous ces fruits tombent sans se briser. Les lourds cocos sont suspendus aux palmiers avec encore plus de précautions. Ils viennent en grappe, attachés à une queue commune, plus forte qu'un cordage de chanvre.de la même grosseur. Ils sortent du sommet de leur palmier, et posent sur son tronc, qui les préserve en partie des secousses des vents. Ils ont des coques très-dures, revêtues d'un caire ou enveloppe filandreuse, à la fois compacte et élastique. Ils ne se rompent jamais en tombant. Il y a plus: c'est que je pense que la nature n'a fait les fruits d'un volume considérable, que pour croître sur le bord des eaux, où ils tombent sans se briser, et où ils flottent d'eux-mêmes. La citrouille grimpante me paraît de ce nombre; elle est plus volumineuse dans les lieux frais et le long des ruisseaux. Le cocotier est évidemment destiné à croître sur les rivages des mers torridiennes, car il ne prospère

B. I.

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