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aux savants riches, n'approchent pas de ceux que donne la nature aux ignorants pauvres, mais sensibles.

Le piéton qui part dès le point du jour, admire le paysage que l'aurore développe peu à peu devant lui. Ses regards se reposent tour-à-tour avec délices sur des prairies tout étincelantes de gouttes de rosée, sur des forêts agitées par les vents, sur des rochers moussus, et jusque sur les arbres ébranchés des grandes routes, qui apparaissent de loin comme des géants ou des tours. Souvent son chemin l'intéresse plus que le lieu où il doit arriver, et le paysage plus que les habitants. Ce sont ces réminiscences végétales qui nous rendent si chers les jours rapides de notre enfance, et certains sites de cette terre que nous parcourons comme des voyageurs. Nous en transportons partout les ressouvenirs avec les images. Des prairies toutes jaunes de bassinets, bordées de pommiers couverts de fleurs blanches et roses, me rappellent les printemps et les prairies de la Normandie; des algues brunes, vertes, pourprées, suspendues à des rochers de marne tout blancs, les falaises du pays de Caux; des aloès et des caroubiers, les collines blanches et stériles de l'île de Malte; des bouleaux au feuillage léger, entremêlés de sombres sapins, les forêts silencieuses et paisibles de la Finlande; des palmistes et des bambous murmurants, l'Ile-de-France et ses Noirs gémissant dans l'esclavage; enfin, à la vue d'un fraisier dans un pot sur une fenêtre, je me rappelle l'époque fortunée où,

persécuté par les hommes, je me réfugiai dans les bras maternels de la nature.

Ce charme des harmonies végétales s'étend à tous les temps, à tous les lieux, à tous les âges. Il inspira dans des jardins les premières leçons de la philosophie à Pythagore, à Platon, à Épicure. Il accompagne les hommes jusque dans le sein de la mort: beaucoup de mourants ne s'entretiennent que des voyages qu'ils veulent faire à la campagne; des ames cruelles même en sont émues: Danton, complice des massacres du 2 septembre, s'écriait en soupirant dans son cachot : « Ah! si je pouvais voir un arbre! >> Malheureux! puisque ce sentiment naturel subsistait encore dans ton cœur, tu n'étais donc pas tout-à-fait dépravé !

Si le globe de la terre offre dans chacun de ses horizons plusieurs paysages, il est probable que les autres planètes en ont aussi qui leur sont particuliers, et dont les végétaux diffèrent plus des nôtres que ceux du nouveau Monde ne diffèrent des végétaux de l'ancien. Chaque planète, tournant sans cesse sur elle-même, doit présenter dans sa circonférence de nouvelles modifications de la puissance végétale, éclairées par des aurores, des printemps, des étés, de quelques jours, de quelques mois, de plusieurs années : toutes les harmonies de la végétation doivent s'y montrer à la fois et successivement. Elles, se présentent toutes ensemble avec leurs disques, leurs lunes et leurs anneaux émaillés de fleurs et de verdure, comme des pierreries étincelantes de mille et mille cou

leurs. Toutes circulent autour du soleil, formant une harmonie céleste et éternelle pour ses heureux habitants. Tantôt disséminées dans les cieux, elles composent une couronne autour de l'astre du jour et de la vie; tantôt rangées à la file les unes des autres, elles représentent une longue guirlande dont il est le chef; vous diriez d'un choeur de nymphes parées d'habits toujours divers, qui célèbrent une fête éternelle autour d'un frère, d'un époux et d'un père. Mais que dire des végétaux qui décorent le globe même du soleil? Aucun œil sur la terre ne les a jamais vus, et aucune langue humaine ne pourrait en exprimer la magnificence.

HARMONIES VÉGÉTALES

DES ANIMAUX.

Nous avons donné, au commencement de ces Harmonies, un aperçu des rapports que les végé➡ taux avaient avec les animaux par la variété de leurs espèces, dont les genres prototypes étaient destinés particulièrement à l'homme. Nous allons présenter ici les relations que les animaux ont avec les végétaux par les organes de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du marcher, du goût et des sécrétions. Nous parlerons, aux harmonies animales des végétaux, de la souplesse et de l'élasticité des herbes, qui fournissent tant de litière aux animaux; des cimes feuillées et des rameaux des arbres, qui leur présentent de toutes parts des toits et des abris. En général, les petits végétaux sont ordonnés aux quadrupèdes, et les grands aux oiseaux, par une harmonie qui lie les extrêmes dans la nature. Les harmonies végétales des anidont nous allons parler, devraient être rapportées à la puissance animale, et les animales des végétaux à la puissance végétale, dont nous nous occupons ici: mais ces deux puissances se croisent, afin de se maintenir et de se fortifier l'une par l'autre. Sans la végétale, les animaux ne subsiste

maux,

raient pas; sans l'animale, les végétaux s'étoufferaient par leur propagation même. Elles composent, pour ainsi dire, dans leur réunion, une riche étoffe, dont la végétale est la chaîne, et l'animale la trame. Je n'en présente ici que l'envers avec ses fils, afin de montrer l'industrie de leur tissu : j'espère en montrer plus tard le dessus dans toute sa fraîcheur.

Les végétaux ont beaucoup de rapports qui paraissent étrangers à leur végétation. Ils portent, en général, bien plus de graines qu'il ne leur en faut pour les reproduire. Un grand nombre de semences sont entourées de pulpes superflues à leur germination. Les graminées ont une mollesse qui les rend incapables de résister long-temps aux vents, et surtout aux hivers. Elles seraient plus fortes et plus durables, si elles étaient ligneuses. Pourquoi une herbe n'est-elle pas de bois comme un petit arbre? Pourquoi, parmi les genres des arbres, y en a-t-il sur le même sol qui restent toujours faibles et humbles, comme ceux des arbrisseaux et des buissons, tandis que d'autres s'élèvent à des hauteurs prodigieuses? Pourquoi enfin y en a-t-il qui sont hérissés d'épines? La nature, qui ne fait rien en vain, semble ici s'écarter de sa sagesse, et se livrer à des caprices et à des excès; mais ces superfluités sont des prévoyances et des pierres d'attente dans l'édifice de sa puissance. Les végétaux sont destinés aux animaux, auxquels il fallait des aliments, des litières, des toits et des forte

resses

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