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troncs des sapins et des chênes tout entiers avec leurs écorces brutes, les lier en trains avec les branches longues et souples des bouleaux, et les abandonner au cours des fleuves jusqu'à la mer, dont les courants les amèneraient sur nos rivages. Il ne faudrait que quelques chaloupes à voiles pour les remorquer. Ces trains mobiles sont peut-être plus propres à résister aux agitations des flots, qu'un assemblage solide de charpente. Les Russes en font des ponts flottants très-durables sur les cataractes des fleuves. J'ai traversé, sur un pont semblable, celle de Nislot, aussi agitée qu'une mer en tourmente. Ainsi nous pourrions voir les arbres de l'Amérique remonter la Seine, et nous apporter, du nord et du sein des eaux, la matière du feu.

HARMONIES VÉGÉTALES

DE LA TERRE.

Si la puissance végétale réfléchit et augmente la chaleur du soleil; si elle végétalise l'atmosphère et les eaux, elle n'a pas moins d'influence sur le globe solide de la terre, dont elle étend la circonférence d'année en année. Nous avons vu, aux harmonies terrestres des végétaux, qu'ils étaient pourvus de racines de diverses configurations, dont les unes, divisées en filets, étaient propres à pénétrer dans les sables; d'autres, en longs cordons et en pivots, à s'enfoncer dans les terres solides; d'autres, en forme de ventouses et de plaques, à se coller aux rochers et à en tirer leur nourriture. Nous avons observé aussi que les végétaux étaient ordonnés en genres et en espèces aux divers sites du globe, les uns aux monts Éoliens, d'autres aux montagnes littorales, fluviatiles ou maritimes, d'autres aux plaines; que leurs semences étaient proportionnées à ces différents sites, les unes étant fort légères ou garnies de volants, pour s'élever sur les hauteurs; d'autres de formes carénées, pour voguer dans le lit des fleuves et des mers, et aborder sur leurs rivages; d'autres enfin arrondies, pour rouler sur une surface, et se ressemer loin de la tige qui les a

produites. Nous avons vu enfin que la puissance végétale, par ses débris, étendait de jour en jour des couches d'humus, depuis les sommets des plus hautes montagnes jusqu'au fond du bassin des mers.

Nous retrouvons ces couches dans l'intérieur du globe, à plus de deux cents pieds de sa surface. Les lits de tourbe et les couches de charbon de terre s'enfoncent dans sa profondeur. Ce ne sont cependant que des tritus de plantes ou des débris d'anciennes forêts, recouverts de fossiles. Il y a en Hollande de ces terres végétales souterraines, qui ne sont composées que de plantes des Indes; on y distingue encore les feuillages des palmiers. Telle est celle qui s'étend depuis les environs d'Amsterdam jusqu'à ceux de Maestricht, et dans le voisinage de laquelle on a trouvé des oursins de mer et des mâchoires de crocodiles, incrustés dans la pierre. Quelle révolution subite du globe les a ensevelies dans le sein de la terre? N'est-ce pas, comme nous l'avons vu, le mouvement en spirale de l'Océan, qui en laboure la surface? Les débris fossiles de la puissance animale sont incomparablement plus nombreux que ceux de la végétale, comme on peut le voir à la profondeur des carrières de pierre calcaire et de marbre, formées par les coquillages et les madrépores broyés par les mers et amalgamés par les siècles. Ce sont des pièces toujours croissantes de ce grand sarcophage du globe, qui s'accroît chaque année des squelettes de ses habitants.

Mais si la mort est permanente sur la terre, la vic,

comme un fleuve, descend perpétuellement des cieux. Aristote avait défini la matière brute, celle qui est formée par juxta-position, et la matière organisée, celle qui est assemblée par intussusception. Quoique la première définition puisse s'appliquer aux cylindres qui revêtent chaque année les troncs organisés des arbres, il n'en est pas moins vrai que la seconde ne convient qu'aux corps vivants. Par exemple, il semble qu'une ame végétale, descendue du ciel, s'introduise dans la semence contenue dans l'ovaire, la développe ensuite, et l'accroisse de dedans en dehors, jusqu'à ce que, parvenue au dernier terme de sa grandeur et de sa durée, elle retourne aux lieux d'où elle est partie. Si notre ame raisonnable pouvait voir le ciel intellectuel, peut-être verrions-nous les formes animées et les premiers patrons des végétaux en descendre parmi les rosées, les pluies et les orages qui doivent les revêtir, et qui tombent du ciel physique. Quoi qu'il en soit, il est bien certain que chaque plante laisse sur le globe une dépouille solide et permanente, et que c'est de la somme totale de ces débris de végétaux, que le globe augmente annuellement sa circonférence. Si on pouvait percer sous la Ligne un trou jusqu'au noyau de granit qui paraît former son intérieur, on trouverait son enveloppe composée de couches fossiles végétales et animales, disposées comme les couches annuelles qui entourent le tronc des arbres.

Les couches d'humus doivent croître plus vite dans les zones torridiennes, où la végétation dure

toute l'année, que dans les tempérées où elle n'a d'action que pendant six mois. Elles s'étendent sur la surface de la zone torride terrestre, au moyen de ses fleuves, dont la plupart, débordés et repoussés par la mer dans la saison pluvieuse, couvrent la terre et l'exhaussent par leurs alluvions: tels sont l'Amazone, l'Orénoque, le Nil, le Sénégal, le Zaïre, et la plupart de ceux des contrées torridiennes de l'Asie et de l'Afrique. D'un autre côté, la zone torride aquatique remplit chaque jour son bassin de madrépores, espèces de végétaux pierreux animalisés. Les zones torrides du globe croissent, d'année en année, en solidité et en élévation. L'équilibre se maintient entre elles et avec les autres zones, au moyen des zones glaciales. L'hémisphère boréal, chargé du plus grand poids des continents, s'incline cinq ou six jours de plus vers le soleil, de manière que son été est plus long que son hiver. Il est probable qu'il resterait stationnaire dans cette position, si l'hémisphère austral, surchargé à son tour d'une plus grande coupole de glace par l'absence prolongée du soleil, n'obéissait à ce levier mobile, et ne se rapprochait de l'astre du jour. Des deux mouvements versatile et alternatif des zones glaciales se forme, chaque année, le mouvement des saisons, et sans doute celui qui change, avec les siècles, les pôles de la terre, pour y étendre de plus en plus la puissance végétale.

Il est évident que notre globe a été formé d'abord pour porter des végétaux. Si sa surface était trop compacte, les tendres racines des herbes ne

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