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hémisphere, et que les vents chargés de ses émanations les portent jusqu'au sein de l'océan aquatique, alors les qualités de l'atmosphère même se revêtent de nouveaux caractères. L'air méphitique des marais se trouve converti en air pur, comme l'ont prouvé des expériences utiles et curieuses. L'air pur se remplit de qualités balsamiques, qui produisent d'heureuses révolutions dans tous les êtres sensibles qui le respirent. C'est alors que l'air seul des campagnes, et surtout celui des montagnes, guérit les maladies chroniques, et fortifie tous les convalescents; c'est alors que tous les animaux s'enflamment des feux de l'amour. J'attribue les ardeurs de cette passion, qui les embrase la plupart au printemps, bien plus aux influences végétales dont l'air est pénétré, qu'à l'action même du soleil. L'augmentation de la simple chaleur ne suffit pas pour les faire naître. Les oiseaux naturellement amoureux, tels que les serins et les tourterelles, passent l'hiver dans des poêles très-chauds sans s'accoupler et sans faire leurs nids. Mais quand le soleil a rallumé les feux de la végétation, que les fleurs et les feuillages odorants exhalent de toutes parts leurs parfums : c'est alors que les premières étincelles de la vie sont disséminées dans les airs, que tous les êtres les respirent avec volupté, et qu'elles allument les feux de l'amour dans tous les cœurs. C'est aussi à l'époque où la plupart des plantes abandonnent aux vents les dépouilles de leurs tiges, que la plupart des animaux périssent, ou vont chercher un air végétal et de nou

velles amours dans l'autre hémisphère, où le soleil rallume les feux de la végétation. Ils naissent, aiment et meurent avec les plantes auxquelles ils sont ordonnés. Les carnivores seuls font exception à cette loi, car ils s'accouplent en hiver dans la saison où périssent tant de frugivores, comme si la décomposition de ceux-ci produisait dans leur sang des émanations appropriées à leur nature. C'est peut-être par cette raison que l'homme, qui vit de végétaux comme les uns, et de chair comme les autres, est seul soumis, dans tout le cours de l'année, à l'empire de l'amour et à celui de la

mort.

Nous avons vu, aux harmonies aériennes des végétaux, qu'ils étaient en rapport avec l'air par leurs trachées, par la souplesse ou la roideur de leurs tiges, par des racines, des ailerons, des griffes, et même par des lianes accessoires qui les maintenaient contre les tempêtes. Nous avons observé aussi, dans le développement de la puissance végétale, qu'un grand nombre de ses genres étaient ordonnés particulièrement à l'air par la légèreté de leurs semences, ou par les volants qui les accom‐ pagnent, afin de les ressemer au loin. Enfin, nous avons remarqué que non-seulement les végétaux changeaient l'air méphitique en air pur, mais qu'ils le transformaient en leur propre substance, comme le démontre leur décomposition par la fermentation ou par le feu. On ne peut donc nier qu'ils ne tirent de l'air leur principale nourriture. Souvent j'ai vu des arbres dont les racines serpentaient

B. I.

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dans de stériles rochers, porter jusqu'aux nues leur cime touffue et verdoyante. C'est sans doute pour recueillir leurs aliments dans l'atmosphère, que les forêts y élèvent divers étages de feuilles, qui, comme autant de langues et de poumons, y pompent des sucs nourriciers en abondance. Je tirerai de cette observation une conséquence que je crois importante à notre économie rurale, c'est que les arbres tirant de l'air plus de nourriture que de la terre, un arpent de forêt doit rapporter beaucoup plus de bois au bout d'un siècle, que ses coupes réglées n'en produisent tous les dix ou vingt-cinq ans. Si on peut juger des grands effets par de petites expériences, je rapporterai ici celle que j'ai faite moi-même à Essone sur un vieux peuplier, de l'espèce de ceux que les paysans appellent peupliers du pays, dont les jeunes branches, souples comme l'osier, servent aux mêmes usages, et rendent, par cela même, cet arbre bien préférable aux fragiles peupliers d'Italie. Cet arbre, planté sur le bord de la rivière, il y a sans doute plus d'un siècle, avait été étêté dès sa jeunesse comme un saule, et produisait tous les ans un moyen fagot de menues branches de six à sept pieds de hauteur. Lorsque je fus devenu son propriétaire, je résolus de lui rendre sa crue naturelle, en sacrifiant chaque année tous ses rejetons, à l'exception de celui du milieu. En trois ans, ce rejeton unique est devenu une tige de cinq pouces de diamètre par le bas, et de quinze pieds de hauteur, toute garnie de longues branches plus fortes et plus nom

breuses, à elles seules, que toutes celles que le tronc aurait fournies dans le même espace de temps. Si sa tige continuait de s'élever avec la même vigueur, et si le peuplier entier croissait dans les mêmes proportions depuis sa plantation, il est hors de doute que non-seulement ses branches produiraient à la fois plus de fagots que toutes les petites coupes qu'on a faites annuellement sur sa tête, mais que le tronc lui-même donnerait dix fois plus de bois : car cet arbre vient à quatre-vingts et cent pieds de hauteur. Les végétaux tirant par leurs feuilles leur principale nourriture de l'air, plus ils s'élèvent, plus ils profitent. C'est donc une très-mauvaise économie de couper les forêts en taillis; un pareil système nous prive des étages multipliés de bois que nous donneraient les arbres parvenus à leur hauteur naturelle, et les réduit à une simple coupe de buissons. Si on mettait bout à bout celles qui se font tous les dix ans dans nos taillis, pourraient-elles être comparables à celles des troncs des arbres de haute futaie au bout d'un siècle? Je ne parle pas des autres avantages des forêts, des sous-bois qui croissent sous leurs ombrages, des abris qu'elles donnent contre les vents, et de la fraîcheur qu'elles conservent aux terres et aux ruisseaux.

HARMONIES VÉGÉTALES

DE L'EAU.

Nous avons parlé, aux harmonies aquatiques des végétaux, de leurs feuilles, qui font l'office de poumons et de langues pour aspirer et recueillir les eaux aériennes, des formes carénées d'un grand nombre de leurs fruits, pour se ressemer au loin en voguant sur les eaux rapides; de leurs racines, qui leur servent de suçoirs pour pomper les eaux souterraines. Nous verrons comme l'eau, changée en sève, se transforme ensuite, par la médiation du soleil et de l'air, en feuilles, en fleurs, en fruits, en écorce et en bois solide. Nous avons démontré comment l'ordre harmonique avait distribué les végétaux en une multitude de genres, dont un grand nombre appartient particulièrement aux eaux, que les peupliers et les saules; aux neiges, tels que les sapins et les cèdres; aux eaux en évaporation, comme les champignons et les mousses; aux eaux pluviales, tels que les pins et les chênes; aux eaux de la mer, tels que les littoraux maritimes et les plantes sous-marines, comme les algues et les madrépores même, si toutefois ceux-ci sont des végétaux.

tels

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