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congé de notre hôtesse, aussi contente de notre visite que nous étions satisfaits de sa réception. Elle nous donna pour guide l'aîné de ses garçons, qui, après une demi-heure de marche, nous conduisit, à travers des marais, dans les bois d'Ermenonville. La lune, vers son plein, était déjà fort élevée sur l'horizon, et brillait de l'éclat le plus pur dans un ciel sans nuages. Elle répandait les flots de sa lumière sur les chênes et les hêtres qui bordaient les clairières de la forêt, et faisait apparaître leurs troncs comme les colonnes d'un péristyle. Les sentiers sinueux où nous marchions en silence traversaient des bosquets fleuris de lilas de troënes, d'ébéniers, tout brillants d'une lueur bleuâtre et céleste. Nos jeunes dames, vêtues de blanc, qui nous devançaient, paraissaient et disparaissaient tour-à-tour à travers ces massifs de fleurs, et ressemblaient aux ombres fortunées des Champs Élysées. Mais, bientôt émues elles-mêmes par ces scènes religieuses de lumière et d'ombre, et surtout par le sentiment du tombeau de Jean-Jacques, elles se mirent à chanter une romance. Leurs voix douces, se mêlant aux chants lointains des rossignols, me firent sentir que, s'il y avait des harmonies entre la lumière de l'astre des nuits et les forêts, il y en avait encore de plus touchantes entre la vie et la mort, entre la philosophie et les

amours.

HARMONIES VÉGÉTALES

DE L'AIR.

Si la puissance végétale augmente la chaleur du soleil en la réverbérant, comme on n'en peut douter, elle doit étendre aussi son influence sur les couleurs de l'atmosphère, en y réfléchissant sa verdure. Je suis porté à attribuer à la couleur verte des végétaux qui couvrent, en été, une grande partie de notre hémisphère, cette belle teinte d'émeraude que l'on aperçoit quelquefois, dans cette saison, au firmament, vers le coucher du soleil. Elle est rare dans nos climats; mais elle est fréquente entre les tropiques, où l'été dure toute l'année. Je sais bien qu'on peut rendre raison de ce phénomène par la simple réfraction des rayons du soleil dans l'atmosphère, ce prisme sphérique de notre globe. Mais, outre qu'on peut objecter que la couleur verte ne se voit point en hiver dans notre ciel, c'est que je puis apporter, à l'appui de mon opinion, d'autres faits qui semblent prouver que la couleur même azurée de l'atmosphère n'est qu'une réflexion de celle de l'Océan. En effet, les glaces flottantes, qui descendent tous les ans du pôle nord, s'annoncent, avant de paraître sur l'horizon, par une lueur blanche qui

éclaire le ciel jour et nuit, et qui n'est qu'un reflet des neiges cristallisées qui les composent. Cette lueur paraît semblable à celle de l'aurore boréale, dont le foyer est au milieu des glaces mêmes de notre pôle, mais dont la couleur blanche est mélangée de jaune, de rouge et de vert, parce qu'elle participe des couleurs du sol ferrugineux et de la verdure des forêts de sapins qui couvrent notre zone glaciale. La cause de cette variation de couleurs, dans notre aurore boréale, est d'autant plus vraisemblable, que l'aurore australe, comme l'a observé le capitaine Cook, en diffère en ce que sa couleur blanche n'est jamais mélangée que de teintes bleues, qui n'ont lieu, selon moi, que parce que les glaces du pôle austral, sans continent et sans végétaux, sont entourées de toutes parts de l'Océan qui est bleu. Ne voyons-nous pas que la lune, que nous supposons couverte en grande partie de glaciers très-élevés, nous renvoie, en lumière d'un blanc bleuâtre, les rayons du soleil, qui sont dorés dans notre atmosphère ferrugineuse? N'est-ce pas par la réverbération d'un sol composé de fer, que la planète de Mars nous réfléchit en tout temps une lumière rouge? N'est-il pas plus naturel d'attribuer ces couleurs constantes aux réverbérations du sol, des mers et des végétaux de ces planètes, qu'aux réfractions variables des rayons du soleil dans leurs atmosphères, dont les couleurs devraient changer à toute heure, suivant leurs différents aspects avec cet astre? Comme Mars apparaît constamment rouge à la terre, il est

possible que la terre apparaisse à Mars comme une pierre brillante des couleurs de l'opale au pôle nord, de celles de l'aigue-marine au pôle sud, et tour-à-tour de celles du saphir et de l'émeraude dans le reste de sa circonférence. Mais, sans sortir de notre atmosphère, je crois que la terre y renvoie la couleur bleue de son océan avec des reflets de la couleur verte de ses végétaux, en tout temps dans la zone torride, et en été seulement dans nos climats, par la même raison que ses deux pôles y réfléchissent des aurores boréales différentes, qui participent des couleurs de la terre ou des mers qui les avoisinent.

Peut-être même notre atmosphère réfléchit-elle quelquefois les formes des paysages qui annoncent les îles aux navigateurs, bien long-temps avant qu'ils puissent y aborder. Il est remarquable qu'elles ne se montrent, comme les reflets de verdure, qu'à l'horizon et du côté du soleil couchant. Je citerai, à ce sujet, un homme de l'Ile-de-France qui apercevait dans le ciel les images des vaisseaux qui étaient en pleine mer; le célèbre Vernet, qui m'a attesté avoir vu une fois dans les nuages les tours et les remparts d'une ville située à sept lieues de lui; et le phénomène du détroit de Sicile, connu sous le nom de Fée-Morgane. Les nuages et les vapeurs de l'atmosphère peuvent fort bien réfléchir les formes et les couleurs des objets terrestres, puisqu'ils réfléchissent dans les parélies l'image du soleil, au point de la rendre ardente comme le soleil lui-même. Enfin les eaux de la terre répètent

les couleurs et les formes des nuages de l'atmosphère : pourquoi les vapeurs de l'atmosphère, à leur tour, ne pourraient-elles pas réfléchir le bleu de la mer, la verdure et le jaune de la terre, ainsi que les couleurs chatoyantes des glaces polaires?

Au reste, je ne donne mon opinion que comme mon opinion. L'histoire de la nature est un édifice à peine commencé; ne craignons pas d'y poser quelques pierres d'attente : nos neveux s'en serviront pour l'agrandir, ou les supprimeront comme superflues. Si mon autorité est nulle dans l'avenir, peu importera que je me sois trompé sur ce point : mon ouvrage rentrera dans l'obscurité d'où il était sorti. Mais s'il est un jour de quelque considération, mon erreur en physique sera plus utile à la morale qu'une vérité d'ailleurs indifférente au bonheur des hommes. On en conclura avec raison qu'il faut être en garde contre les écrivains même accrédités.

Si les couleurs atmosphériques reçoivent des modifications de la puissance végétale, la nature même de l'atmosphère n'en éprouve pas de moins sensibles. Les forêts servent d'abord de remparts contre les vents, dont elles détournent quelquefois le cours. Des bois plantés ou abattus peuvent changer la température d'une grande contrée; mais lorsqu'au printemps tous les végétaux se couvrent de feuilles, que les herbes des prairies et les blés des guérets imitent les flots de la mer par leurs ondulations; lorsqu'un océan de verdure, si je puis dire, se répand sur une grande partie de notre

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