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où ils étoient qu'elle la méritoit? On sait que cet homme, d'un nom et d'un mérite si distingué, avec qui j'eus l'honneur d'être reçu à l'Académie françoise, prié, sollicité, persécuté de consentir à l'impression de sa harangue par ceux même qui vouloient supprimer la mienne, et en éteindre la mémoire, leur résista toujours avec fermeté. Il leur dit: qu'il ne pouvoit ni ne devoit approuver une distinction si odieuse qu'ils vouloient faire entre lui et moi; que la préférence qu'ils donnoient à son discours avec cette affectation et cet empressement qu'ils lui marquoient, bien loin de l'obliger, comme ils pouvoient le croire, lui faisoit au contraire une véritable peine; que deux discours également innocens, prononcés dans le même jour, devoient être imprimés dans le même temps. Il s'expliqua ensuite obligeamment en public et en particulier sur le violent chagrin qu'il ressentoit de ce que les deux auteurs de la gazette que j'ai cités avoient fait servir les louanges qu'il leur avoit plu de lui donner, à un dessein

formé de médire de moi, de mon discours et de mes Caractères; et il me fit sur cette satyre injurieuse des explications et des excuses qu'il ne me devoit point. Si donc on vouloit inférer de cette conduite des Théobaldes, qu'ils ont cru faussement avoir besoin de comparaisons et d'une harangue folle et décriée pour relever celle de mon collègue, ils doivent répondre pour se laver de ce soupçon qui les déshonore, qu'ils ne sont ni courtisans ni dévoués à la faveur, ni intéressés, ni adulateurs; qu'au contraire ils sont sincères, et qu'ils ont dit naïvement ce qu'ils pensoient du plan, du style et des expressions de mon remercîment à l'Académie françoise. Mais on ne manquera pas d'insister et de leur dire que le jugement de la cour et de la ville, des grands et du peuple lui a été favorable : qu'importe, ils repliqueront avec constance que le public a son goût, et qu'ils ont le leur réponse qui me ferme la bouche et qui termine tout différend. Il est vrai qu'elle m'éloigne de plus en plus de vouloir leur

plaire par aucun de mes écrits: car si j'ai un peu de santé avec quelques années de vie, je n'aurai plus d'autre ambition que celle de rendre par des soins assidus et par de bons conseils, mes ouvrages tels qu'ils puissent toujours partager les Théobaldes et le public.

Prononcé dans l'Académie Françoise, le Lundi 15 Juin 1693.

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MESSIEURS,

IL seroit difficile d'avoir l'honneur de se trouver au milieu de vous, d'avoir devant ses yeux l'Académie françoise, d'avoir lu l'histoire de son établissement, sans penser d'abord à celui à qui elle en est redevable, et sans se persuader qu'il n'y a rien de plus naturel, et qui doive moins vous déplaire, que d'entamer ce tissu de louanges qu'exigent le devoir et la coutume, par quelques traits où ce grand cardinal soit reconnoissable, et qui en renouvellent la mémoire.

Ce n'est point un personnage qu'il soit facile de rendre ni d'exprimer par de belles paroles ou par de riches figures, par ces discours moins faits pour relever le mérite de celui que l'on veut peindre, que pour montrer tout le feu et toute la vivacité de l'oratoire. Suivez le règne de Louis le Juste, c'est la vie du cardinal de Richelieu, c'est son éloge, et celui du prince qui l'a mis en œuvre : que pourrois-je ajouter à des faits encore récens

et si mémorables? Ouvrez son testament politique, digérez cet ouvrage, c'est la peinture de son esprit, son ame toute entière s'y développe, l'on y découvre le secret de sa conduite et de ses actions, l'on y trouve la source et la vraisemblance de tant et de si grands événemens qui ont paru sous son administration: l'on y voit sans peine qu'un homme qui pense si virilement et si juste, a pu agir sûrement et avec succès, et que celui qui a achevé de si grandes choses, ou n'a jamais écrit, ou a dû écrire comme il a fait.

Génie fort et supérieur, il a su tout le fond et tout le mystère du gouvernement; il a connu le beau et le sublime du ministère; il a respecté l'étranger, ménagé les couronnes, connu le poids de leur alliance; il a opposé des alliés à des ennemis; il a veillé aux intérêts du dehors, à ceux du dedans, il n'a oublié que les siens : une vie laborieuse et languissante, souvent exposée, a été le prix d'une si haute vertu. Dépositaire des trésors de son maître, comblé de ses bienfaits, ordonnateur, dispensateur de ses finances, on ne sauroit dire qu'il est mort riche.

Le croiroit-on, Messieurs, cette ame sérieuse et austère, formidable aux ennemis de l'Etat, inexorable aux factieux, plongée dans la négociation, occupée tantôt à affoiblir le parti de l'hérésie, tantôt à déconcerter une ligue, et tantôt à

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