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les animèrent, non pas à publier contre moi une satyre fine et ingénieufe, ouvrage trop au-dessous des uns et des autres, facile à manier, et dont les moindres esprits se trouvent capables, mais à me dire de ces injures grossières et personnelles, si difficiles à rencontrer, si pénibles à prononcer ou à écrire, sur-tout à des gens à qui je veux croire qu'il reste encore quelque pudeur et quelque soin de leur réputation.

le

Et en vérité je ne doute point que public ne soit enfin étourdi et fatigué d'entendre depuis quelques années de vieux corbeaux croasser autour de ceux qui d'un vol libre et d'une plume légère se sont élevés à quelque gloire par leurs écrits. Ces oiseaux lugubres semblent par leurs cris continuels leur vouloir imputer le décri universel où tombe nécessairement tout ce qu'ils exposent au grand jour de l'impression, comme si on étoit cause qu'ils manquent de force et d'haleine, ou qu'on dût être responsable de cette médiocrité répandue sur leurs ouvrages. S'il s'imprime

un livre des mœurs assez mal digéré pour tomber de soi-même et ne pas exciter leur jalousie, ils le louent volontiers, et plus volontiers encore ils n'en parlent point: mais s'il est tel que le monde en parle, ils l'attaquent avec furie : prose, vers, tout est sujet à leur censure, tout est en proie à une haine implacable qu'ils ont conçue contre ce qui ose paroître dans quelque perfection, et avec des signes d'une approbation publique. On ne sait plus quelle morale leur fournir qui leur agrée; il faudra leur rendre celle de la Serre ou de Desmarets, et s'ils en sont crus, revenir au pédagogue chrétien, et à la cour sainte. Il paroît une nouvelle satyre écrite contre les vices en général, qui d'un vers fort et d'un style d'airain enfonce ses traits contre l'avarice, l'excès du jeu, la chicane, la mollesse, l'ordure et l'hypocrisie, où personne n'est nommé ni désigné, où nulle femme vertueuse ne peut ni ne doit se reconnoître; un Bourdaloue en chaire ne fait point de peintures du crime ni plus vives ni plus

innocentes; il n'importe, c'est médisance c'est calomnie. Voilà depuis quelque temps leur unique ton, celui qu'ils emploient contre les ouvrages de moeurs qui réussissent ils y prennent tout littéralement, ils les lisent comme une histoire, ils n'y entendent ni la poésie ni la figure, ainsi ils les condamnent: ils y trouvent des endroits foibles, il y en a dans Homère, dans Pindare, dans Virgile et dans Horace; où n'y en a-t-il point? si ce n'est peut-être dans leurs écrits. Bernin n'a pas manié le marbre, ni traité toutes ses figures d'une égale force, mais on ne laisse pas de voir dans ce qu'il a moins heureusement rencontré, de certains traits si achevés tout proche de quelques autres qui le sont moins, qu'ils découvrent aisément l'excellence de l'ouvrier si c'est un cheval, les crins sont tournés d'une main hardie, ils voltigent et semblent être le jouet du vent, l'œil est ardent, les nazeaux soufflent le feu et la vie; un ciseau de maître s'y retrouve en mille endroits; il n'est pas donné à ses

copistes ni à ses envieux d'arriver à de telles fautes par leurs chefs d'oeuvre; l'on voit bien que c'est quelque chose de manqué par un habile homme, et une faute de Praxitele.

Mais qui sont ceux qui, si tendres et si scrupuleux, ne peuvent même supporter que, sans blesser et sans nommer les vicieux, on se déclare contre le vice? sont-ce des chartreux et des solitaires? sont-ce les Jé suites hommes pieux et éclairés ? sont - ce ces hommes religieux, qui habitent en France les cloîtres et les abbayes? Tous au contraire lisent ces sortes d'ouvrages, en particulier et en public à leurs récréations; ils en inspirent la lecture à leurs pensionnaires, à leurs élèves; ils en dépeuplent les boutiques, ils les conservent dans leurs bibliothèques n'ont-ils pas les premiers reconnu le plan et l'économie du livre des caractères? n'ont-ils pas observé que de seize chapitres qui le composent, il y en a quinze qui s'attachent à découvrir le faux et le ridicule qui se

rencontrent dans les objets des passions et des attachemens humains, ne tendent qu'à réunir tous les obstacles qui affoiblissent d'abord, et qui éteignent ensuite dans tous les hommes la connoissance de Dieu; qu'ainsi ils ne sont que des préparations au seizième et dernier chapitre, où l'athéïsme est attaqué et peut-être confondu, où les preuves de Dieu, une partie du moins de celles que les foibles hommes sont capables de recevoir dans leur esprit, sont apportées, où la providence de Dieu est défendue contre l'insulte et les plaintes des libertins? Qui sont donc ceux qui osent répéter contre un ouvrage si sérieux et si utile ce continuel refrain, c'est médisance, c'est calomnie? il faut les nommer, ce sont des poëtes; mais quels poëtes? des auteurs d'hymnes sacrées ou des traducteurs de pseaumes, des Godeaux ou des Corneilles? Non; mais des faiseurs de stances et d'élégies amoureuses, de ces beaux esprits qui tournent un sonnet sur une absence ou sur un retour, qui font une épigramme sur une belle gorge, un

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