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DU DICTIONNAIRE. HISTORIQUE

PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES,

Pour servir d'éclaircissement à la vie de la Bruyère.

JEAN DE LA BRUYÈRE naquit en 1644, dans un village proche Dourdan, dans l'Isle de France. Il fut d'abord trésorier de France à Caen, et ensuite placé, en qualité d'homme de lettres, par le grand Bossuet, auprès de M. le Duc, pour lui enseigner l'histoire, avec mille écus de pension. L'Académie Françoise lui ouvrit ses portes en 1693. Trois ans après, en 1696, une apoplexie d'un quart d'heure l'emporta, à l'âge de cinquante-deux

ans.

La Bruyère étoit un philosophe ingénieux, ennemi de l'ambition, content de cultiver en paix ses amis et ses livres, faisant un bon choix des uns et des autres; ne cherchant ni ne fuyant le plaisir; toujours disposé à une joie modeste, heureux à la faire naître; poli dans ses manières, sage dans ses discours, évitant toute sorte d'affectation, même celle de montrer de l'esprit. Ses Caractères de Théophraste, traduits du Grec, avec les mœurs de ce siècle, ont porté son nom dans toute l'Europe. Molière et lui ont corrigé plus de ridicules, et mis plus

de bienséances dans le monde, que tous les moralistes anciens et modernes. La touche de la Bruyère est aussi forte que celle de Molière, et en même temps plus délicate et plus fine. Peintre hardi et énergique, il montra, par le style nerveux, les expressions vives, les traits de feu et de génie, les tours fins et singuliers de ses portraits, que la langue Françoise avoit plus de force qu'on n'avoit cru jusqu'alors. Malezieux, à qui il montra son manuscrit, lui dit: Voilà de quoi vous attirer beaucoup de lecteurs et beaucoup d'ennemis. Ces lecteurs ont un peu diminué, quoique le livre soit excellent. Tant qu'on crut y voir le portrait de gens vivans, on le dévora, pour se nourrir du triste plaisir que donne la satyre personnelle: mais à mesure que les originaux disparurent, on rechercha moins la copie.

On fit dans le dernier siècle des clefs aux Caractères de la Bruyère, à la cour, à Paris et en province. Ces peintures parurent si vraies, quoique chargées quelquefois, qu'on y reconnut les hommes de tous les pays. Ce n'étoit pas sans raison que Boileau, qui estimoit d'ailleurs beaucoup l'ouvrage de la Bruyère, lui reprochoit d'avoir secoué le joug des transitions, et d'avoir pris dans Montaigne et dans Charron, ses maîtres et ses modèles, un style dur et quelquefois obscur. Quoique nous l'ayons comparé à Molière par

la

variété des portraits, nous sentons cependant qu'il y a très-loin des talens d'un poëte comique à ceux d'un peintre de caractères, quelque supérieur que ce dernier soit en ce genre.

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Accarias de Sérione, traducteur des sentences de Publius Syrus, observe que la Bruyère a répandu dans ses Caractères presque toutes les sentences de ce poëte Latin, et il en rapporte plusieurs exemples, tels que ceux-ci : Fortuna usu dat multa, mancipio nihil: Levis est Fortuna citò reposcit quod dedit. «La Fortune ne donne rien, >> elle ne fait que prêter pour un temps; demain » elle redemande à ses favoris, ce qu'elle semble » leur donner pour toujours ». Mortem timere credulius est quàm mori. « La mort n'arrive qu'une » fois, et se fait sentir à tous les momens de la » vie. Il est plus dur de l'appréhender que de la » souffrir ». Est vita misero longa, felici brevis. «La vie est courte pour ceux qui sont dans les » joies du monde; elle ne paroît longue qu'à » ceux qui languissent dans l'affliction ». La ville et les provinces furent inondées de portraits faits à l'imitation de ceux de la Bruyère. Ceux qui se soutinrent pendant quelque temps, parurent à Paris sous ce titre : Suite des Caractères de Théophraste, et des mœurs de ce siècle, Paris, 1700, in-12. On les joignit à ceux de la Bruyère, en Hollande et en province. Cette continuation étoit

d'un avocat de Rouen, nommé Aleaume, auteur médiocre, qui étoit fait pour continuer la Bruyère, comme la Grange pour remplacer Racine.

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CEUX x qui, interrogés sur le discours que je fis à l'Académie Françoise le jour que j'eus l'honneur d'y être reçu, ont dit séchement que j'avois fait des caractères, croyant le blâmer en ont donné l'idée la plus avantageuse que je pouvois moi-même desirer: car le Public ayant approuvé ce genre d'écrire où je me suis appliqué depuis quelques années, c'étoit le prévenir en ma faveur que de faire une telle réponse. Il ne restoit plus que de savoir si je n'aurois pas dû renoncer aux caractères dans le discours dont il s'agissoit, et cette question s'évanouit dès qu'on sait que l'usage a prévalu qu'un nouvel, Académicien. compose celui qu'il doit prononcer le jour de sa réception, de l'éloge du Roi, de ceux dù cardinal de Richelieu, du chancelier Séguier, de la personne à qui il succède, de l'Académie Françoise: de ces cinq éloges il y en a quatre de personnels: or, je demande à mes censeurs qu'ils me posent si bien la différence qu'il y a des éloges per

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et

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