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secret de l'enrichir ne consiste plus que dans l'usage de la métaphore, qui, joignant à propos les idées, sait tantôt les agrandir et les fortifier, tantôt les diminuer et les affoiblir l'une par l'autre.

M. de la Bruyère seroit un parfait modèle en cette partie de l'art, s'il en avoit toujours respecté assez les bornes, et si, pour vouloir être trop énergique, il ne sortoit pas quelquefois du naturel. Car voilà par où l'usage des métaphores est dangereux. Elles sont dans toutes les langues une source intarissable, mais source que l'imagination doit se contenter d'ouvrir, et où le jugement seul a droit de puiser.

Tout est mode en France: les Caractères de la Bruyère n'eurent pas plutôt paru, que chacun se mêla d'en faire; et je me souviens que dans ma jeunesse c'étoit la fureur des prédicateurs mauvaises copies du P. Bourdaloue. Ce grand orateur, le premier qui ait réduit parmi nous l'éloquence à n'être que ce qu'elle doit être, je veux dire à être l'organe de la raison, l'école

de la vertu, n'avoit pas seulement banni de la chaire les concetti productions d'un esprit faux, mais encore les matières vagues et de pure spéculation, amusemens d'un esprit oisif. Pour aller droit à la réformation des mœurs, il commençoit toujours par établir sur des principes bien liés et bien déduits une proposition morale; et après, de peur que l'auditeur ne se fit point l'application de ces principes, il la faisoit luimême par un détail merveilleux où la vie des hommes étoit peinte au naturel. Or, ce détail étant ce qu'il y avoit de plus neuf, et ce qui par conséquent frappa d'abord le plus dans le P. Bourdaloue, ce fut aussi ce que les jeunes prédicateurs tâchèrent le plus d'imiter. On ne vit que portraits, que caractères dans leurs sermons. Ils ne songèrent pas que dans le père Bourdaloue ces peintures de mœurs viennent toujours ou comme preuves ou comme conséquences, que sans cela elles y seroient hors d'œuvre; et qu'un sermon, qui n'est qu'un tissu de caractères, ne prouve rien. De l'accessoire

ils en firent le capital, et d'une petite partie le tout.

Je ne reviens à M. de la Bruyère que pour dire un mot de sa mort. Quatre jours auparavant il étoit à Paris, dans une compagnie de gens qui me l'ont conté, où tout-à-toup il s'apperçut qu'il devenoit sourd, mais absolument sourd: point de douleur cependant. Il s'en retourna à Versailles où il avoit son logement à l'hôtel de Condé, et une apoplexie d'un quart d'heure l'emporta, n'étant âgé que de cinquante - deux ans. On trouva parmi ses papiers des dialogues sur le Quiétisme qu'il n'avoit qu'ébauchés, et dont M. Dupin, docteur de Sorbonne, procura l'édition.

Ouvrages de M. de la Bruyère.

1o. Les Caractères de Théophraste, traduits du Grec, avec les mœurs de ce siècle (*). Paris, in-12.

(*) Cette partie de l'Ouvrage eft augmentée de beaucoup dans les éditions suivantes, dont la meilleure est

2o. Dialogues sur le Quiétisme. Paris, in-12. 1699.

celle qui se fit immédiatement après la mort de l'Auteur, er que nous avons suivie.

SUR M. DE LA BRUYÈRE,

JEAN

PAR M. SUARD.

EAN DE LA BRUYÈRE naquit à Dourdan en 1644. Il venoit d'acheter une charge de trésorier de France à Caen, lorsque Bossuet le fit venir à Paris pour enseigner l'histoire à M. le Duc, et il resta jusqu'à la fin de sa vie attaché au Prince en qualité d'homme de lettres, avec mille écus de pension. Il publia son livre des Caractères en 1687; à l'Académie Françoise en 1693, et mourut

fut reçu

en 1696.

Voilà tout ce que l'histoire littéraire nous apprend de cet Ecrivain à qui nous devons un des meilleurs ouvrages qui existent en aucune langue; ouvrage qui, par le succès qu'il eut dès sa naissance, dut arrêter les yeux du public sur son auteur, dans ce beau règne où l'attention que le Monarque donnoit aux productions du génie, réfléchissoit sur les grands talens un éclat dont il ne reste plus que le souvenir.

On ne connoît rien de la famille de la Bruyère, et cela est fort indifférent; mais on aimeroit à savoir quel étoit son caractère, son genre de vie, la tournure de son esprit dans la société ; et c'est ce qu'on ignore aussi.

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