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en lui de certaines qualités : c'est qu'il a de l'esprit, qu'il est très-attaché à ses amis, et qu'il a de l'avenir. Puis il cherche à prouver qu'il n'a jamais trouvé d'homme plus capable. Il est toujours du parti de celui qui est obligé de se défendre en justice', ou qui est traduit devant le tribunal. Il s'assiéra quelque jour à côté de l'accusé, et proposera qu'on ne juge point l'homme, mais le fait. Ne suis-je pas, dit-il quelquefois, ne suis-je pas le chien du peuple, puisque je veille sur ceux qui veulent lui nuire? Comment aurions-nous des gens qui s'occupent des intérêts publics, si nous rejetions de tels hommes? Il aime à protéger les hommes les plus corrompus, et à siéger dans les tribunaux, quand il y a quelque sale affaire. S'il juge une cause, il prend en mauvaise part tout ce que disent chacun des deux adversaires. En somme, cette passion des gens vicieux est sœur du vice, et le proverbe est bien vrai: «Qui se ressemble » s'assemble, » c'est-à-dire qu'on cherche toujours et partout son semblable 2.

'C'est-à-dire, celui contre qui s'élèvent les plus graves préventions. 2 On croit que cette dernière phrase, depuis ces mots : En somme, de Théophraste.

n'est pas

XXX

Du Gain sordide.

L'amour du gain sordide n'est autre chose que le besoin de gagner à tout prix. Celui qui en est possédé est homme à se priver, en ne mangeant que la quantité de pain qui lui est absolument nécessaire ; à tenter d'emprunter de l'argent à un étranger qui s'arrête chez lui. Quand il sert à table, il dit qu'il est de toute justice que celui qui découpe ait une part double, et aussitôt il se la donne. S'il vend du vin', il le trempe d'eau, même pour son ami. Il ne va voir un spectacle avec ses enfants, que quand les directeurs annoncent que la représentation sera gratuite. S'il voyage aux frais de l'État, il laisse chez lui l'argent qui lui est assigné pour les dépenses de route, et en emprunte à ceux qui sont chargés avec lui de la même mission. En chemin, il charge son valet d'un fardeau beaucoup plus lourd qu'il ne peut le porter, et ne lui accorde qu'une ration de vivres bien moindre que celle des autres.

'Chez les anciens, les propriétaires de vignes vendaient ou faisaient vendre euxmêmes le vin qui dépassait la quantité nécessaire à leur consommation. Cet usage se retrouve aujourd'hui à Florence, où les palais les plus somptueux ont une sorte de guichet au rez-de-chaussée, par où se débite le vin du maître. L'acheteur passe une bouteille avec son argent, et un instant après on lui rend la bouteille pleine. En France même, sous Louis XIV, une coutume semblable existait pour les gens de robe, et les ruines de Pompéi attestent encore que ces habitudes d'ordre et d'économie remontent aux anciens.

Quand il est arrivé, il n'a point de cesse qu'il n'ait reçu sa part des présents de bienvenue, pour la vendre ensuite. Au bain, s'il se fait frotter d'huile, il dit à l'esclave: « L'huile que tu m'as achetée est rance», et il se sert de celle d'un autre. Si quelqu'uu de sa maison trouve la plus petite monnaie, il en réclame la moitié en s'écriant: Mercure est commun. Quand il donne son vêtement à nettoyer, il en emprunte un autre à l'un de ses amis, et attend pour le rendre qu'on le lui demande, et ainsi pour tout. C'est lui-même qui distribue les provisions à ses gens, et il se sert pour cela d'une mesure économique et dont le fond est bombé, et ne manque jamais d'égaliser le dessus quand elle est pleine. Il se fait donner par un ami des objets qu'il revend ensuite. S'il lui faut payer une dette de trente mines, il a toujours quatre drachmes de moins quand il s'agit de payer'. Si ses enfants ont manqué d'aller à l'école, à cause de quelque indisposition, il a soin de diminuer à proportion la somme qu'il paie au maître ; et pendant le mois d'Anthestérion2 il ne les y envoie point; car il ne veut pas payer un mois où tant de fêtes théâtrales interrompent les études. Si un esclave lui paie en monnaie de cuivre la contribution qu'il exige de lui, il lui demande quelque chose de plus pour la perte du cuivre sur l'or; et il agit de même envers le fermier qui lui rend ses comptes. Quand il arrive à un repas de corps, il demande à prendre sur le service commun une part pour ses enfants, et compte les demi-raves qui sont restées sur la table, de crainte que les esclaves qui les desservent ne les prennent. S'il fait un voyage avec quelques personnes de sa connaissance, il se sert de leurs esclaves, et pendant ce temps-là, il loue le sien, sans partager avec personne le profit qu'il en tire. Il va plus loin: si l'on se réunit chez lui pour faire un repas à frais communs, il cherche à soustraire une partie du bois, des

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Il fallait cent drachmes pour faire une mine: le gain de cet homme serait donc dans une proportion de 20 centimes sur 50 francs. La mine ayant une valeur de 95 francs de notre monnaie, c'était en réalité 3 francs 80 centimes sur 2,850 francs.

Les fêtes publiques de ce mois étaient les Anthestéries, fètes en l'honneur de Bacchus.

› Un maître louait à d'autres ses esclaves, et prélevait un droit sur le produit de son travail. Ce droit ne pouvait guère se payer en or, ni même en argent.

lentilles, du vinaigre, du sel et de l'huile de lampe, qu'il a fournis. Si l'un de ses amis se marie ou marie sa fille, il se met en voyage pour quelque temps afin de n'avoir point à donner de présents de noces. Et chez ses connaissances il aime à emprunter de ces choses qu'il sait qu'on ne lui redemandera pas, ou qu'on n'oserait recevoir s'il voulait les rendre. '

Nous avons traduit cette phrase selon le sens que lui donne Schweighæuser, d'après les corrections de Coray et de Schneider : il nous semble préférable à tous les autres.

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