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pour montrer tout le feu et toute la vivacité de l'orateur. Suivez le règne de Louis le Juste, c'est la vie du cardinal de Richelieu, c'est son éloge et celui du prince qui l'a mis en œuvre. Que pourrais-je ajouter à des faits encore récents et si mémorables? Ouvrez son Testament politique, digérez cet ouvrage, c'est la peinture de son esprit, son âme tout entière s'y développe, l'on y découvre le secret de sa conduite et de ses actions, l'on y trouve la source et la vraisemblance de tant et de si grands événements qui ont paru sous son administration; l'on y voit sans peine qu'un homme qui pense si virilement et si juste, a pu agir sûrement et avec succès, et que celui qui a achevé de si grandes choses, jamais écrit, ou a dû écrire comme il a fait.

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Génie fort et supérieur, il a su tout le fond et tout le mystère du gouvernement, il a connu le beau et le sublime du ministère; il a respecté l'étranger, ménagé les couronnes, connu le poids de leur alliance, il a opposé des alliés à des ennemis; il a veillé aux intérêts du dehors, à ceux du dedans, il n'a oublié que les siens; une vie laborieuse et languissante, souvent exposée, a été le prix d'une si haute vertu ; dépositaire des trésors de son maître, comblé de ses bienfaits, ordonnateur, dispensateur de ses finances, on ne saurait dire qu'il est mort riche.

Le croirait-on, messieurs? cette àme sérieuse et austère, formidable aux ennemis de l'état, inexorable aux factieux, plongée dans la négociation, occupée tantôt à affaiblir le parti de l'hérésie, tantôt à déconcerter une ligue, et tantôt à méditer une conquête, a trouvé le loisir d'être savante, a goûté les belles-lettres et ceux qui en faisaient profession. Comparez-vous, si vous l'osez, au grand Richelieu, hommes dévoués à la fortune, qui, par le succès de vos affaires particulières, vous jugez dignes que l'on vous confie les affaires publiques! qui vous donnez pour des génies heureux et pour de bonnes têtes, qui dites que vous ne savez rien, que vous n'avez jamais lu, que vous ne lirez point, ou pour marquer l'inutilité des sciences, ou pour paraître ne devoir rien aux autres, mais pour puiser tout de votre fonds, apprenez que le cardinal de Richelieu a su, qu'il a lu, je ne dis pas qu'il n'a point eu d'éloignement pour les gens de lettres, mais qu'ils les a aimés, caressés, favorisés; qu'il leur a ménagé des priviléges, qu'il leur destinait des

pensions, qu'il les a réunis en une compagnie célèbre, qu'il en a fait l'Académie française. Oui, hommes riches et ambitieux, contempteurs de la vertu et de toute association qui ne roule pas sur les établissements et sur l'intérêt, celle-ci est une des pensées de ce grand ministre, né homme d'état, dévoué à l'état, esprit solide, éminent, capable dans ce qu'il faisait des motifs les plus relevés, et qui tendaient au bien public comme à la gloire de la monarchie, incapable de concevoir jamais rien qui ne fût digne de lui, du prince qu'il servait, de la France, à qui il avait consacré ses méditations et ses veilles.

Il savait quelle est la force et l'utilité de l'éloquence, la puissance de la parole, qui aide la raison et la fait valoir, qui insinue aux hommes la justice et la probité, qui porte dans le cœur du soldat l'intrépidité et l'audace, qui calme les émotions populaires, qui excite à leurs devoirs les compagnies entières, ou la multitude; il n'ignorait pas quels sont les fruits de l'histoire et de la poésie, quelle est la néces– sité de la grammaire, la base et le fondement des autres sciences, et que pour conduire ces choses à un degré de perfection qui les rendit avantageuses à la république, il fallait dresser le plan d'une compagnie ou la vertu seule fùt admise, le mérite placé, l'esprit et le savoir rassemblés par des suffrages, n'allons pas plus loin; voilà, messieurs, vos principes et votre règle, dont je ne suis qu'une exception.

Rappelez en votre mémoire, la comparaison ne vous sera pas injurieuse, rappelez ce grand et premier concile, où les Pères qui le composaient étaient remarquables chacun par quelques membres mutilés, ou par les cicatrices qui leur étaient restées des fureurs de la persécution; ils semblaient tenir de leurs plaies le droit de s'asseoir dans cette assemblée générale de toute l'Église : il n'y avait aucun de vos illustres prédécesseurs qu'on ne s'empressât de voir, qu'on ne montrât dans les places, qu'on ne désignât par quelque ouvrage fameux qui lui avait fait un grand nom, et qui lui donnait rang dans cette Académie naissante qu'ils avaient comme fondée; tels étaient ces grands artisans de la parole, ces premiers maîtres de l'éloquence française; tels vous êtes, messieurs, qui ne cédez ni en savoir ni en mérite à nul de ceux qui vous ont précédés.

L'un, aussi correct dans sa langue que s'il l'avait apprise par les

règles et par principes, aussi élégant dans les langues étrangères que si elles lui étaient naturelles, en quelque idiome qu'il compose, semble toujours parler celui de son pays : il a entrepris, il a fini une pénible traduction que le plus bel esprit pourrait avouer, et que le plus pieux personnage devrait desirer d'avoir faite '.

L'autre fait revivre Virgile parmi nous, transmet dans notre langue les grâces et les richesses de la latine, fait des romans qui ont une fin, en bannit le prolixe et l'incroyable, pour y substituer le vraisemblable et le naturel.

Un autre, plus égal que Marot et plus poète que Voiture, a le jeu, le tour et la naïveté de tous les deux ; il instruit en badinant, persuade aux hommes la vertu par l'organe des bêtes, élève les petits sujets jusqu'au sublime; homme unique dans son genre d'écrire, toujours original, soit qu'il invente, soit qu'il traduise, qui a été au delà de ses modèles, modèle lui-même difficile à imiter.

Celui-ci passe Juvénal, atteint Horace, semble créer les pensées d'autrui, et se rendre propre tout ce qu'il manie; il a, dans ce qu'il emprunte des autres, toutes les graces de la nouveauté et tout le mérite de l'invention; ses vers forts et harmonieux, faits de génie, quoique travaillés avec art, pleins de traits et de poésie, seront lus encore quand la langue aura vieilli, en seront les derniers débris; on y remarque une critique sûre, judicieuse, et innocente, s'il est permis du moins de dire de ce qui est mauvais, qu'il est mauvais.

'L'abbé de Choisy, traducteur de l'Imitation de Jésus-Christ. La première édition de cet ouvrage était dédiée à madame de Maintenon, et portait pour épigraphe ce passage d'un psaume Audi, filia, et vide, et inclina aurem tuam, et concupiscet rex decorem tuum. On pense bien que les applications profanes ne manquèrent point, et que la citation dut disparaître à une seconde édition.

2 Segrais, auteur d'une traduction des Géorgiques et de l'Enéide de Virgile, et auteur supposé de Zaide et de la Princesse de Clèves, qu'on a su depuis être de madame de La Fayette. Il était né à Caen ; et quoiqu'il fût de l'Académie française, il ne put jamais perdre tout à fait l'accent normand: aussi mademoiselle de Montpensier dit-elle un jour à un gentilhomme qui s'apprêtait à faire avec Segrais un voyage en Normandie : Vous avez là un excellent guide, qui sait parfaitement la langue du pays.

La Fontaine.

'Boileau.

Cet autre vient après un homme loué, applaudi, admiré, dont les vers volent en tous lieux et passent en proverbe, qui prime, qui règne

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sur la scène; qui s'est emparé de tout le théâtre : il ne l'en dépossède pas, il est vrai, mais il s'y établit avec lui, le monde s'accoutume à en voir faire la comparaison; quelques-uns ne souffrent pas que Corneille, le grand Corneille lui soit préféré; quelques autres, qu'il lui soit égalé: ils en appellent à l'autre siècle, ils attendent la fin de quel

1 Racine.

ques vieillards qui, touchés indifféremment de tout ce qui rappelle leurs premières années, n'aiment peut-être dans OEdipe que le souvenir de leur jeunesse.

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Que dirai-je de ce personnage qui a fait parler si longtemps une envieuse critique, et qui l'a fait taire; qu'on admire malgré soi, qui accable par le grand nombre et par l'éminence de ses talents: orateur, historien, théologien, philosophe, d'une rare érudition, d'une plus rare éloquence, soit dans ses entretiens, soit dans ses écrits, soit dans la chaire; un défenseur de la religion, une lumière de l'Église, parlons d'avance le langage de la postérité, un Père de l'Église. Que n'estil point! nommez, messieurs, une vertu qui ne soit pas la sienne.

Toucherai-je aussi votre dernier choix, si digne de vous ? Quelles

Bossuet.

2 Fénelon.

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