Page images
PDF
EPUB

HORACE, OU DESPRÉAUX, l'a dit avant vous. Je le crois sur votre parole, mais je l'ai dit comme mien. Ne puis-je pas penser après eux une chose vraie, et que d'autres encore penseront après moi?

[graphic][ocr errors]
[graphic][subsumed][merged small]

U peut, avec les plus rares talents et le plus excellent mérite, n'être pas convaincu de son inutilité, quand il considère qu'il laisse, en mourant, un monde qui ne se sent pas de sa perte, et où tant de gens se trouvent pour le remplacer ?

De bien des gens, il n'y a que le nom qui vaille quelque chose. Quand vous les voyez de fort près, c'est moins que rien; de loin ils en imposent.

Tout persuadé que je suis que ceux que l'on choisit pour de différents emplois, chacun selon son génie et sa profession, font bien, je me

[graphic]

hasarde de dire qu'il se peut faire qu'il y ait au monde plusieurs personnes connues ou inconnues, que l'on n'emploie pas, qui feraient trèsbien, et je suis induit à ce sentiment par le merveilleux succès de certaines gens que le hasard seul a placés, et de qui jusques alors on n'avait pas attendu de fort grandes choses.

Combien d'hommes admirables, et qui avaient de très-beaux génies, sont morts sans qu'on en ait parlé! Combien vivent encore, dont on ne parle point, et dont on ne parlera jamais!

¶ Quelle horrible peine à un homme qui est sans prôneurs et sans cabale, qui n'est engagé dans aucun corps, mais qui est seul, et qui n'a que beaucoup de mérite pour toute recommandation, de se faire jour à travers l'obscurité où il se trouve, et de venir au niveau d'un fat qui est en crédit.

Personne presque ne s'avise de lui-même du mérite d'un autre. Les hommes sont trop occupés d'eux-mêmes, pour avoir le loisir de pénétrer ou de discerner les autres : de là vient qu'avec un grand mérite, et une plus grande modestie, l'on peut être longtemps ignoré.

¶ Le génie et les grands talents manquent souvent, quelquefois aussi les seules occasions: tels peuvent être loués de ce qu'ils ont fait, et tels de ce qu'ils auraient fait.

Il est moins rare de trouver de l'esprit, que des gens qui se servent du leur, ou qui fassent valoir celui des autres, et le mettent à quelque usage.

Il y a plus d'outils que d'ouvriers, et de ces derniers, plus de mauvais que d'excellents. Que pensez-vous de celui qui veut scier avec un rabot, et qui prend sa scie pour raboter?

Il n'y a point au monde un si pénible métier que celui de se faire un grand nom la vie s'achève que l'on a à peine ébauché son ouvrage. ¶ Que faire d'ÉGÉSIPPE qui demande un emploi ? Le mettra-t-on dans les finances, ou dans les troupes ? Cela est indifférent, et il faut que ce soit l'intérêt seul qui en décide, car il est aussi capable de manier de l'argent ou de dresser des comptes, que de porter les armes. Il est propre à tout, disent ses amis; ce qui signifie toujours qu'il n'a pas plus de talent pour une chose que pour une autre, ou, en d'autres termes, qu'il n'est propre à rien. Ainsi la plupart des hommes occupés

d'eux seuls dans leur jeunesse, corrompus par la paresse ou par le plaisir, croient faussement, dans un âge plus avancé, qu'il leur suffit d'être inutiles ou dans l'indigence, afin que la république soit engagée à les placer ou à les secourir; et ils profitent rarement de cette leçon trèsimportante, que les hommes devraient employer les premières années de leur vie à devenir tels, par leurs études et par leur travail, que la république elle-même eùt besoin de leur industrie et de leurs lumières, qu'ils fussent comme une pièce nécessaire à tout son édifice, et qu'elle se trouvât portée par ses propres avantages à faire leur fortune ou à l'embellir.

Nous devons travailler à nous rendre très-dignes de quelque emploi : le reste ne nous regarde point, c'est l'affaire des autres.

q Se faire valoir par des choses qui ne dépendent pas des autres, mais de soi seul, ou renoncer à se faire valoir maxime inestimable et d'une ressource infinie dans la pratique, utile aux faibles, aux vertueux, à ceux qui ont de l'esprit, qu'elle rend maîtres de leur fortune ou de leur repos; pernicieuse pour les grands, qui diminuerait leur cour, ou plutôt le nombre de leurs esclaves; qui ferait tomber leur morgue avec une partie de leur autorité, et les réduirait presque à leurs entremets et à leurs équipages; qui les priverait du plaisir qu'ils sentent à se faire prier, presser, solliciter, à faire attendre ou à refuser, à promettre et à ne pas donner; qui les traverserait dans le goût qu'ils ont quelquefois à mettre les sots en vue, et à anéantir le mérite, quand il leur arrive de le discerner; qui bannirait des cours les brigues, les cabales, les mauvais offices, la bassesse, la flatterie, la fourberie; qui ferait d'une cour orageuse, pleine de mouvements et d'intrigues, comme une pièce comique, ou même tragique, dont les sages ne seraient que les spectateurs; qui remettrait de la dignité dans les différentes conditions des hommes, et de la sérénité sur leur visage ; qui étendrait leur liberté; qui réveillerait en eux, avec les talents naturels, l'habitude du travail et l'exercice; qui les exciterait à l'émulation, au desir de la gloire, à l'amour de la vertu ; qui, au lieu de courtisans vils, inquiets, inutiles, souvent onéreux à la république, en ferait ou de sages économes, ou d'excellents pères de famille, ou des juges intègres, ou de grands capitaines, ou des orateurs, ou des philosophes, et qui ne leur

attirerait à tous nul autre inconvénient que celui, peut-être, de laisser à leurs héritiers moins de trésors que de bons exemples.

Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d'esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi, et à ne rien faire. Personne presque n'a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fond pour remplir le vide du temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l'oisiveté du sage, qu'un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille, s'appelat travailler.

[graphic]

Un homme de mérite, et qui est en place, n'est jamais incommode par sa vanité il s'étourdit moins du poste qu'il occupe, qu'il n'est humilié par un plus grand qu'il ne remplit pas, et dont il se croit digne plus capable d'inquiétude que de fierté ou de mépris pour les autres, il ne pense qu'à soi-même.

« PreviousContinue »