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s'est vu plus fort que l'autorité et la politique', qui ont tenté vainement de le détruire; il a réuni en sa faveur des esprits toujours partagés d'opinions et de sentiments, les grands et le peuple : ils s'accordent tous à le savoir de mémoire, et à prévenir au théâtre les acteurs qui le récitent. Le Cid enfin est l'un des plus beaux poèmes que l'on puisse faire; et l'une des meilleures critiques qui ait été faite sur aucun sujet, est celle du Cid.

Quand une lecture vous élève l'esprit et qu'elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l'ouvrage : il est bon, et fait de main d'ouvrier.

q Capys qui s'érige en juge du beau style, et qui croit écrire comme BOUHOURS et RABUTIN, résiste à la voix du peuple, et dit tout seul que Damis n'est pas un bon auteur. Damis cède à la multitude, et dit ingénument avec le public que Capys est un froid écrivain.

Le devoir du nouvelliste est de dire : Il y a un tel livre qui court, et qui est imprimé chez Cramoisy, en tel caractère; il est bien relié, et en beau papier; il se vend tant. Il doit savoir jusqu'à l'enseigne du libraire qui le débite sa folie est d'en vouloir faire la critique.

Le sublime du nouvelliste est le raisonnement creux sur la politique. Le nouvelliste se couche le soir tranquillement sur une nouvelle qui se corrompt la nuit, et qu'il est obligé d'abandonner le matin à son réveil.

Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule. S'il donne quelque tour à ses pensées, c'est moins par une vanité d'auteur, que pour mettre une vérité qu'il a trouvée dans tout le jour nécessaire pour faire l'impression qui doit servir à son dessein. Quelques lecteurs croient néanmoins le payer avec usure, s'ils disent magistralement qu'ils ont lu son livre, et qu'il y a de l'esprit : mais il leur renvoie tous leurs éloges, qu'il n'a pas cherchés par son travail et par ses veilles. Il porte plus haut ses projets, et agit pour une fin plus relevée : il demande des hommes un plus grand et un plus rare succès que les louanges, et même que les récompenses, qui est de les rendre meilleurs.

' Cette pièce excita la jalousie du cardinal de Richelieu, qui obligea l'Académie française a la critiquer.

Les sots lisent un livre, et ne l'entendent point; les esprits médiocres croient l'entendre parfaitement : les grands esprits ne l'entendent quelquefois pas tout entier; ils trouvent obscur ce qui est obscur, comme il trouvent clair ce qui est clair. Les beaux esprits veulent trouver obscur ce qui ne l'est point, et ne pas entendre ce qui est fort intelligible.

¶ Un auteur cherche vainement à se faire admirer par son ouvrage. Les sots admirent quelquefois, mais ce sont des sots. Les personnes d'esprit ont en eux les semences de toutes les vérités et de tous les sentiments; rien ne leur est nouveau ; ils admirent peu, ils approuvent.

Je ne sais si l'on pourra jamais mettre dans les lettres plus d'esprit, plus de tour, plus d'agrément et plus de style que l'on n'en voit dans celles de BALZAC et de VOITURE. Elles sont vides de sentiments, qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire; elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche · elles sont heureuses dans le choix des termes, qu'elles placent si juste, que tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent. Il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée qui est délicate. Elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement, et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étaient toujours correctes, j'oserais dire que les lettres de quelques-unes d'entre elles seraient peut-être ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit.

Il n'a manqué à TÉRENCE que d'être moins froid. Quelle pureté ! quelle exactitude! quelle politesse! quelle élégance! quels caractè– res! Il n'a manqué à MOLIÈRE que d'éviter le jargon et le barbarisme, et d'écrire purement. Quel feu ! quelle naïveté ! quelle source de la bonne plaisanterie ! quelle imitation des mœurs! quelles images et quel fléau du ridicule! Mais quel homme on aurait pu faire de ces deux comiques!

¶ J'ai lu Malherbe et THEOPHILE. Ils ont tous deux connu la nature, avec cette différence, que le premier, d'un style plein et uniforme, montre tout à la fois ce qu'elle a de plus beau et de plus noble, de plus

naïf et de plus simple; il en fait la peinture ou l'histoire. L'autre, sans choix, sans exactitude, d'une plume libre et inégale, tantôt charge ses descriptions, s'appesantit sur les détails; il fait une anatomie : tantôt il feint, il exagère, il passe le vrai dans la nature, il en fait le roman. CRONSARD et BALZAC ont eu chacun dans leur genre assez de bon et de mauvais, pour former après eux de très-grands hommes en vers et en prose.

MAROT par son tour et par son style semble avoir écrit depuis RONSARD: il n'y a guère, entre ce premier et nous, que la différence de quelques mots.

RONSARD et les auteurs ses contemporains, ont plus nui au style qu'ils ne lui ont servi. Ils l'ont retardé dans le chemin de la perfection; ils l'ont exposé à la manquer pour toujours, et à n'y plus revenir. Il est étonnant que les ouvrages de MAROT, si naturels et si faciles, n'aient su faire de Ronsard, d'ailleurs plein de verve et d'enthousiasme, un plus grand poète que Ronsard et que Marot; et au contraire que Belleau, Jodelle et Dubartas, aient été sitôt suivis d'un RACAN et d'un MALHERBE, et que notre langue, à peine corrompue, se soit vue réparée.

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MAROT et RABELAIS sont inexcusables d'avoir semé l'ordure dans leurs écrits: tous deux avaient assez de génie et de naturel pour pou

voir s'en passer, même à l'égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu'à rire dans un auteur. Rabelais surtout est incompréhensible; son livre est une énigme, quoi qu'on veuille dire, inexplicable: c'est une chimère, c'est le visage d'une belle femme, avec des pieds et une queue de serpent, ou de quelque autre bête plus difforme: c'est un monstrueux assemblage d'une morale fine et ingénieuse et d'une sale corruption. Où il est mauvais, il passe bien loin au delà du pire; c'est le charme de la canaille: où il est bon, il va jusqu'à l'exquis et à l'excellent, il peut être le mets des plus délicats.

q Deux écrivains, dans leurs ouvrages, ont blâmé MONTAIGNE, que je ne crois pas aussi bien qu'eux, exempt de toute sorte de blâme : il paraît que tous deux ne l'ont estimé en nulle manière. L'un ne pensait pas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup : l'autre pense trop subtilement pour s'accommoder des pensées qui sont naturelles.

Un style grave, sérieux, scrupuleux, va fort loin on lit AMYOT et COEFFETEAU lequel lit-on de leurs contemporains? BALZAC, pour

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les termes et pour l'expression, est moins vieux que VOITURE: mais si ce dernier, pour le tour, pour l'esprit et pour le naturel, n'est pas

moderne et ne ressemble en rien à nos écrivains, c'est qu'il leur a été plus facile de le négliger que de l'imiter, et que le petit nombre de ceux qui courent après lui ne peuvent l'atteindre.

Le M Gest immédiatement au dessous du rien : il y a bien d'autres ouvrages qui lui ressemblent. Il y a autant d'invention à s'enrichir par un sot livre, qu'il y a de sottise à l'acheter: c'est ignorer le goût du peuple, que de ne pas hasarder quelquefois de grandes fadaises. L'on voit bien que l'opéra est l'ébauche d'un grand spectacle : il en donne l'idée.

Je ne sais pas comment l'opéra, avec une musique si parfaite et une dépense toute royale, a pu réussir à m'ennuyer.

Il y a des endroits dans l'opéra qui laissent à en désirer d'autres. Il échappe quelquefois de souhaiter la fin de tout le spectacle : c'est faute de théâtre, d'action et de choses qui intéressent.

L'opéra, jusqu'à ce jour, n'est pas un poème, ce sont des vers; ni un spectacle, depuis que les machines ont disparu par le bon ménage d'Amphion et de sa race: c'est un concert, ou ce sont des voix soutenues par des instruments. C'est prendre le change, et cultiver un mauvais goût, que de dire, comme l'on fait, que la machine n'est qu'un amusement d'enfants, et qui ne convient qu'aux marionnettes : elle augmente et embellit la fiction, soutient dans les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du théâtre, où elle jette encore le merveilleux. Il ne faut point de vols, ni de chars, ni de changements aux Bérénices et à Pénélope; il en faut aux opéras et le propre de ce spectacle est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement.

Ils ont fait le théâtre, ces empressés, les machines, les ballets, les vers, la musique, tout le spectacle, jusqu'à la salle où s'est donné le spectacle, j'entends les toits et les quatre murs dès leurs fondements. Qui doute que la chasse sur l'eau, l'enchantement de la table, la merveille du labyrinthe, ne soient encore de leur invention; j'en

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LE MERCURE GALANT, par de Visé.

2 Rendez-vous de chasse dans la forêt de Chantilly. (Note de La Bruyère.)

3 Collation très-ingénieuse donnée dans le labyrinthe de Chantilly. (Note de La Bruyère.)

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