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LES

CIGALIERS ET LES FÉLIBRES

A PAU ET A OLORON

Les membres de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau, que le souci de leurs occupations n'avaient pas retenus hors de cette ville, le 15 août dernier, n'ont pas perdu le souvenir de la réception que fit aux Cigaliers et aux Félibres la Municipalité de Pau, dans la Villa du Parc Beaumont. Les autres n'en ont connu qu'imparfaitement les détails.

Nous croyons être agréable à tous en général, en rééditant dans le Bulletin les discours et les pièces de vers dont cette réception a été l'occasion. Nous y ajouterons ceux qui virent le jour à Oloron, dernière étape sur la terre de Béarn du voyage de ces vaillants champions de la langue Romane.

LE 15 AOUT A PAU

Des le 29 mars 1890, la Municipalité de Pau avait été informée par les Cigaliers et les Félibres de leur intention de s'arrêter à Pau avant de se rendre à Oloron, où ils devaient inaugurer le buste du Poète béarnais Navarrot.

Désireuse de recevoir dignement ces hôtes d'élite, celle-ci fit appel au concours d'une commission composée de MM. Barthety, Garet, de Joantho, Louis Lacaze, Lespy, G. Minvielle, Piche,

T. XIX.

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Picot, Paul Roussille et Soulice, et après plusieurs délibérations prises sous la présidence de M. Faisans, maire, il fut arrêté :

1° Qu'un concours de poésie en langue Béarnaise serait organisé par les soins de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau sur le sujet suivant :

« L'ombre de Navarrot remercie les Cigaliers et les Félibres << de l'honneur qu'ils lui font en élevant son buste dans sa ville <<< natale. >>

Qu'il serait décerné aux auteurs des meilleures pièces les récompenses suivantes :

Une médaille de vermeil de 68mm de diamètre ;

Une médaille d'argent du même module;

Trois médailles en bronze du même module.

Total Cinq médailles offertes par la Société des Sciences, Lettres et Arts.

2° Que la remise des récompenses et la lecture des pièces récompensées auraient lieu dans une séance publique qui serait tenue dans les locaux du Parc Beaumont, séance au cours de laquelle un punch serait offert aux Cigaliers et aux Félibres.

Annoncé le 25 Avril 1890, ce concours fut clos le 15 Juillet suivant. Vingt-deux œuvres étaient parvenues à la Commission. Quatre furent éliminées, car une était un discours en prose béarnaise et trois en vers français. Quant aux dix-huit autres leur mérite parut être tel à la Commission qu'elle décida d'ajouter aux cinq médailles annoncées trois mentions honorables.

A l'unanimité ces récompenses furent attribuées à MM. :
Auguste PEYRÉ, à Oloron, Médaille de Vermeil ;
Adrien PLANTÉ, à Orthez, Médaille d'Argent;

L'abbé LABAIG-LANGLADE, à Momas, Médaille de Bronze;
Antonin MONTAUT, à Oloron, Médaille de Bronze;

Henri PELLISSON, à Arette, Médaille de Bronze;

A l'auteur anonyme des vers portant pour épigraphe: Moriturus vos salutat, Mention honorable;

PALAY, à Vic-Bigorre, Mention honorable;

Daniel LAFORE, à Orthez, Mention honorable1.

1.

Voir à l'Appendice le texte de ces pièces.

Pendant ce temps, les vastes salons et la salle des concerts de la Villa du Parc Beaumont recevaient, sous la direction intelligente de M. Lalheugue, architecte de la Ville, tous les aménagements nécessaires à la fête, le parc lui-même était constellé de drapeaux, girandoles et lanternes vénitiennes et un programme des plus alléchants était rédigé avec le concours de la musique du 18me de ligne, l'Harmonie de Pau et la Lyre Paloise. Il ne reste plus à souhaiter que le beau temps se mette lui aussi de la partie !

Aucun mécompte ne vient heureusement de ce côté. Les Cigaliers et les Félibres font leur entrée en ville à 5 heures et demie par le train qui les a pris à Lourdes. Ils viennent de rendre aux environs de St-Savin hommage à un poète béarnais aussi, Despourrins. Reçus à la gare par le Maire de Pau, le Président de la Société des Sciences, Lettres et Arts, auxquels s'était jointe une délégation des membres de cette Société, ils sont conduits à l'Hôtel Beau-Séjour et rendez-vous est pris pour le soir huit heures et demie à la villa Beaumont.

A l'heure dite, une foule immense encombrait les abords de la Villa et le Jardin resplendissant de lumière, et les nombreux invités de la Municipalité attendaient les Cigaliers et les Félibres dans le grand salon.

Leur arrivée est saluée par la Marseillaise, exécutée par la Musique du 18° de ligne et le Maire, ayant à sa droite M. Sextius Michel, Président des Félibres, à sa gauche, M. Fouquier, Président de la Cigale, prend place sur l'estrade aux tentures rouges coquettement disposées, élevée au fond de la salle des concerts. M. le Préfet, à droite de M. Sextius Michel et M. Lacaze, Président de la Société des Sciences, Lettres et Arts, à gauche de M. Fouquier complètent ce premier plan. Derrière eux sont massés les membres de la Commission et ceux des bureaux des Cigaliers et des Félibres.

C'est M. le Maire qui ouvre le feu des discours. Il s'exprime

en ces termes :

« MESSIEURS,

>> La ville de Pau vous souhaite la bienvenue; elle vous remercie d'avoir bien voulu vous arrêter quelques heures chez elle,

bien qu'elle ne pût vous offrir l'occasion d'inaugurer un buste ni même une plaque commémorative. Avec votre instinct d'artistes et de poètes, vous avez senti que les Félibres et Cigaliers avaient le devoir de saluer la mémoire de Gaston Phoebus, de Marguerite et de Henri IV. La vieille terre de Béarn qui tient une si grande place dans les fastes méridionaux ne pouvait être indifférente à ceux qui font profession d'honorer toutes les gloires méridionales.

» Il y a trois siècles, Henri IV, roi de droit depuis un an, guerroyait dans les plaines de Normandie, à la tête de vaillants soldats qui étaient nos ancêtres communs. Deux ans plus tard, Paris lui ouvrait ses portes, et dès ce jour (nul ne l'ignore de Bayonne à Marseille), la France était annexée au Midi. C'est une date mémorable, et qu'il vous faudra bien, puisque la mode est aux centenaires, nous aider bientôt à marquer par une éclatante commémoration, car dans l'histoire des Empires jamais conquête n'a été plus durable. Le Midi conserve aujourd'hui ses positions d'il y a trois cents ans. N'entendons-nous pas encore quelques esprits chagrins se plaindre de sa puissance d'absorption? Le Midi, disent-ils, est partout, il prend tout, il tient tout, il encombre tout, il règne en maître, dans les lettres et dans les arts. C'est vous que l'on vise, Messieurs, vous, qui par la puissance de l'intelligence et le seul rayonnement de l'esprit, gardez la conquête d'Henri IV et maintenez la suprématie méridionale.

>> Si nous autres, gens de Pau, nous ne nous piquions de mettre toutes choses au point et de ne jamais risquer une exagération, nous répondrions que cette royauté dont on vous fait un crime est une royauté légitime; car c'est de nous, les fondateurs de la dynastie, et avec notre consentement, que vous la tenez. Le Béarnais ne marche plus guère à la conquête de Paris. Il est ailleurs. Son humeur aventureuse l'a lancé aux quatre coins de l'horizon. Tantôt il va par groupes à Buenos-Ayres, dans la Louisiane, en Californie, où il fonde les colonies Françaises les plus prospères, tantôt il mène seul ses chèvres à travers le monde, ou entreprend les métiers les plus variés. Cuisinier chez le sultan de Zanzibar, agent matrimonial chez les Mormons, maréchal-ferrant d'une tribu Cosaque, journaliste au Cap, il lui arrive mème de conquérir encore des trônes, en Suède et en

Ethiopie, mais il excelle surtout à perfectionner les animaux domestiques, et on le rencontre, portant le fer dans les sources de la vie, comme a dit un homme du Nord qui reculait devant le mot propre, et opérant les veaux en Auvergne, les rennes au Spitzberg, les chameaux au Caire, les coqs en Angleterre, les éléphants à Bombay, et toute l'arche de Noé chez Barnum. On n'est pas sûr qu'il n'a pas découvert l'Amérique cinq cents ans avant Christophe Colomb, et les astronomes seuls seront étonnés lorsque, pénétrant dans la lune, ils s'apercevront que la coiffure à la mode est le béret, et que Diü Bibant est le juron national.

>> Comment, avec des dons et des destins si divers, aurait-il encore eu le loisir de songer à la succession d'Henri IV? On dirait vraiment que, la Ligue dissoute, il a considéré son rôle historique comme terminé. Il laisse à Paris son roi que sa grandeur attache au rivage et poste des sentinelles pour la garde de la place; c'est à vous, Messieurs, qu'il a confié les clefs, et certes elles ne sauraient être en de meilleures mains.

>> Vous avez donc raison, Félibres et Cigaliers, quand vous venez chez nous, pour nous rappeler nos vieilles gloires un peu trop oubliées. Vous restituez au patrimoine commun des richesses ignorées, comme un conservateur rendrait à son musée d'anciennes toiles perdues dans les greniers et dont la poussière des siècles aurait terni la magistrale couleur. Aussi qu'on ne vienne pas nous jeter à la tête cette absurde accusation, qu'avec ces résurrections vous courez le risque de porter atteinte à l'unité nationale. Nos pères de 89 ont pris des fragments de tous les métaux de France pour élever une statue à la Patrie. Ils les ont jeté dans la grande fournaise révolutionnaire où la fusion s'est faite au bruit de la canonnade de Valmy. Et le métal a coulé si pur, si parfaitement homogène que toute trace d'alliage a disparu. Dans quelques parties, il est vrai, la statue rend, sous le doigt qui l'interroge, des vibrations plus sonores. C'est qu'on touche là le pays des Cigaliers et des Félibres; mais là, comme ailleurs, la réponse est la même : « France ». Elle ne diffère des autres que par sa résonnance plus forte et son timbre plus joyeux.

Nous n'éprouvons, pour notre part, aucun scrupule à nous

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