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SAINT-SIMON

I

SA VIE.

Louis de Rouvray, duc de Saint-Simon, naquit le 16 janvier 1675, à Versailles. Il était fils de Claude de Saint-Simon, page et favori de Louis XIII. Il fut élevé à la Ferté-Vidame (Eure-et-Loir), où était le château de son père. Il reçut une éducation qui le disposait à être un mécontent. Son père ne l'entretint que de Louis XIII, « ce roi des gentilshommes, et ne lui apprit que la haine de Mazarin. Présenté à Louis XIV par son père, en 1692, à l'âge de 17 ans, il prit du service dans les mousquetaires gris. Il était capitaine à Nerwinden (1693). Il acheta un régiment de cavalerie et fit les campagnes du Rhin, de 1694 à 1697. En 1702, il y eut une promotion d'officiers généraux dont il ne fut pas. Se croyant victime d'un passe-droit, il se démit, vint vivre à la cour, disposé à y trouver tout mauvais. Il y vécut en oisif ambi

tieux, curieux et aigri. Il était du parti de Monseigneur de Bourgogne (Beauvilliers, Chevreuse, et au loin, à Cambrai, Fénelon). D'autre part, il était l'ami particulier du duc d'Orléans (plus tard Régent), mais du duc d'Orléans seul, indépendamment des amis de celui-ci, à ce point qu'il n'allait jamais aux réceptions du Palais-Royal. Il avait pour ennemis. la cabale du Grand Dauphin, le monde de Meudon, la cour particulière de Madame de Maintenon (d'Antin, etc.), les Bátards (comte de Toulouse, duc du Maine, surtout celui-ci), les ministres (à l'exception de Chamillard), le monde du Parlement, la plupart des généraux (à l'exception de Catinat); Villeroy, qu'il regarde comme un comédien ; Villars, qui est pour lui un parvenu; Vendôme, qui est un corrompu, et de race illégitime.

De 1710 à 1715, il passa par des alternatives diverses. En 1710, il prit part à une grande affaire, le mariage du duc de Berry, petit-fils de Louis XIV, avec la fille du duc d'Orléans. Il y réussit. En 1711, le Grand Dauphin mourut. Le duc de Bourgogne devenait héritier. C'était les cieux ouverts pour SaintSimon. Il eut un moment de grande faveur. Le duc de Bourgogne travaillait avec le roi, et Saint-Simon avec le duc de Bourgogne. En 1712, la duchesse de Bourgogne, puis le duc de Bourgogne meurent. SaintSimon songe à quitter la cour. Les coups le frappent sans relâche. Chevreuse meurt; Beauvilliers meurt; le duc de Berry meurt; Fénelon meurt; et

pendant ce temps le duc d'Orléans était suspect à ce point que seul Saint-Simon, à Versailles, avait le courage, qui l'honore, de l'aborder.

Le 1er septembre 1715, Louis XIV meurt. SaintSimon arrive enfin au pouvoir avec le duc d'Orléans. Il fait partie du Conseil de Régence. Il y jouc un rôle de politique passionné et chimérique, conseille la convocation des Etats-Généraux, la banqueroute, l'alliance espagnole, étudie les questions d'étiquette et de préséance, s'occupe d'affaires ecclésiastiques, s'oppose au rappel des protestants proscrits par la révocation de l'Edit de Nantes; devient encombrant, impopulaire et désagréable, et disparaît de la scène politique.

Il y rentre en 1722 par une mission diplomatique en Espagne. Il s'agissait de marier Louis XV à la fille de Philippe V. Il s'acquitta très bien de ses fonctions, quoique sans succès. Il revint avec des avantages personnels, la Toison d'Or pour son fils aîné, et la Grandesse pour son cadet.

Il était toujours de l'opposition. La Régence, comme auparavant Louis XIV, ne faisait point assez pour la grande noblesse. A propos du sacre (1722), il adresse au Régent un mémoire pour les Ducs, qui révèle la blessure de son âme. Le titre seul est déjà. curieux : « Mémoire du dUC DE SAINT-SIMON PRÉSENTÉ' A S. A. R. MONSeigneur le dUC D'ORLÉANS SUR LES PRÉROGATIVES QU'IL PRÉTEND QUE LES DUCS ONT PERDUES DEPUIS LA RÉGENCE DE S. A. R. ET QUELQUES AUTRES QUI

LEUR ONT ÉTÉ ôtées sur la fin du règne de LOUIS XIV, CE QUI ANÉANTIT TOTALEMENT, SELON LUI, LA DIGNITÉ

DE DUC ».

Les expressions violentes abondent dans ce mémoire. Saint-Simon y relève, avec aigreur, l'excitation des gens de qualité (simples nobles) contre les ducs, les places données aux femmes de qualité, et à celles qui, sous le feu roi, n'en ont jamais pu avoir les distinctions, comme de manger à la table royale, d'entrer dans les carrosses du Roi, et d'être rangées au bal au-dessus des duchesses. « Tel est l'état où la Régence a mis les ducs. Peuvent-ils attendre quelque chose, ni se fier jamais qu'à des décisions. bien exécutées, encore dans l'inquiétude continuelle d'une décision contraire, le lendemain, qui anéantira l'autre ?... De croire que rendre un point sur trente qu'on a ravis à des hommes de courage puisse entrer pour dédommagement du réste, c'est s'abuser. Restituer les paroles, rétablir les gens en leur rang... c'est le moyen unique de ramener les cœurs, les courages et la confiance. »

Le ton de ce factum montre assez que Saint-Simon, à cette époque, en était revenu à la situation où il était sous Louis XIV. Il était supporté avec ennui. Dubois était tout-puissant. Saint-Simon, qui l'abhorrait, devait compter et ruser avec lui. Il sentit qu'il fallait partir. Il se retira à la Ferté (1722). En 1723, il revint, après la mort de Dubois, pour voir mourir le Régent. Il chercha à s'insinuer auprès du

duc de Bourbon, nouveau chef de l'Etat. On lui fit comprendre, dans les trois jours, que sa présence à Versailles était désagréable au gouvernement. Il partit, cette fois pour ne plus revenir.

Il vécut encore vingt-deux ans, dans ses terres, rédigeant ses Mémoires, ne renonçant pas encore absolument à s'occuper des affaires publiques, entretenant une correspondance avec Fleury, paraissant quelquefois à Paris, chez la duchesse de La Vallière, chez la duchesse de. Mancini. Sa vieillesse fut triste. Il perdit la duchesse de Saint-Simon en 1743; son fils aîné, duc de Ruffec, en 1746; son second fils, marquis de Ruffec, en 1754. Il mourut dans un voyage à Paris, en son hôtel de la rue de Grenelle, le 2 mars 1755, vingt-deux jours après Montesquieu.

II

HISTOIRES DES « MÉMOIRES ».

Saint-Simon, dans sa retraite à la Ferté-Vidame, n'a fait que rassembler et rédiger ses Mémoires. Il les écrivait au jour le jour, le soir, au camp, en voyage, ou à Versailles, confiné « dans sa boutique », verrous tirés. Il les avait commencés en 1694, à l'âge de 21 ans, après la bataille de Nerwinden. Tant qu'il

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