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aux objets les plus différents et éloignés, si bien qu'il semble appartenir tour à tour à plusieurs siècles; et c'est ce qui, parfois, le rend presque insaisissable, et c'est ce que Bossuet voulait dire quand il s'écriait : « Il a plus d'esprit que moi; il en a à faire peur!» Et, au-dessus de tout, à travers des vivacités de polémique, et des ardeurs, contenues encore par une incroyable possession de soi-même, il était souverainement bon, pitoyable et généreux, ce qui est à la fois l'aristocratie et l'intelligence du cœur.

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MADAME DE MAINTENON

MME DE
DE MAINTENON

I

SA VIE.

Françoise d'Aubigné, petite-fille de l'illustre Agrippa d'Aubigné, le soldat-poète ami d'Henri IV, naquit dans la prison de Niort, où son père, homme sans probité et sans mœurs, était enfermé, le 27 novembre 1635. Son enfance, commencée sous de si tristes auspices, fut très malheureuse. Son père, sorti de prison par le bénéfice de l'amnistie à la mort de Richelieu, alla chercher fortune en Amérique. Pendant la traversée, la petite Françoise fut si malade qu'on la crut morte. Le coup de canon qu'on devait tirer pour saluer la disparition du corps dans la mer était déjà chargé. Revenue en France, et son père mort (1647), Françoise fut plus malheureuse encore. Sa mère, femme distinguée et courageuse, semble ne l'avoir point aimée, ou sans rien de cette douceur tendre qui est nécessaire aux enfants. Elle avait une tante,

LES GRANDS MAITRES,

II**

Mm de Villette, qu'elle aimait fort, avec qui elle passa plusieurs années au château de Mursay dans le Poitou, qui resta toujours le seul souvenir chéri et caressé de son enfance, mais qui lui fut encore une cause de grandes misères. Françoise avait été baptisée catholique; Mme de Villette, héritière du cœur et en partie de l'esprit du fanatique calviniste Agrippa, éleva la petite fille dans la religion protestante. Plus tard, vers l'âge de douze ans, retirée à Mmo de Villette, et confiée à une autre tante, Madame de Neuillant, la petite d'Aubigné fut ramenée, et un peu rudement, paraît-il, à sa religion première. Elle résista longtemps. Madame de Neuillant était avare, dure et méchante, et, pour la petite fille, le protestantisme c'était sa tante Villette, et le catholicisme sa tante Neuillant. On la convainquit enfin, en glissant provisoirement sur une restriction d'enfant naïve et bien touchante. Françoise ne consentit à redevenir catholique qu'à la condition qu'il lui serait loisible de ne point croire que la tante Villette serait damnée.

Devenue jeune fille, Mademoiselle d'Aubigné vint à Paris partager la pauvreté, la misère même de sa mère, qui vivait d'une rente de deux cents livres, sauvée des naufrages, et de quelques charités discrètes. On habitait le Marais cependant, qui était le quartier aristocratique d'alors, et on allait un peu dans le monde, chez les d'Albret, chez les Richelieu. Car les d'Aubigné étaient de grande noblesse, et cette

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