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FÉNELON

VIE DE FÉNELON.

François de Salignac de la Motte-Fénelon naquit au château de Fénelon dans le Périgord,le 6 août 1651. Il fut élevé dans sa famille d'abord, puis à l'Université de Cahors, enfin au collège du Plessis à Paris. Sa famille le destinait à l'Eglise, son caractère tendre et enclin au mysticisme l'y poussait. Il entra au séminaire de Saint-Sulpice, dirigé par le célèbre abbé Tronson, qui eut sur lui une grande influence. Il songeait alors à se consacrer aux missions du Levant et à aller convertir les infidèles. Il semble avoir regretté toute sa vie de n'avoir pas su donner suite à ce dessein. Parlant des missionnaires, quinze ans plus tard, avec un saint respect, et un enthousiasme où l'on sent une pieuse jalousie, il s'écriait (Sermon) sur l'Epiphanie): « Ils sont beaux les pieds de ces hommes qui vont porter jusqu'au bout du monde les lumières de la vérité et de la foi ».

Les circonstances dirigèrent sa vie à l'encontre de ses desseins. Ordonné prêtre à vingt-quatre ans (1675), il fut bientôt (1678) nommé supérieur des nouvelles catholiques (protestantes converties), et, dirigé d'abord et encouragé par Bossuet, il resta dix ans dans ces délicates fonctions. A cette période de sa vie se rapportent son remarquable Traité de l'Education des filles, resté classique, son Traité du ministère des pasteurs et sa Réfutation du système de Malebranche. Il fut chargé ensuite (1685) de la direction des Missions du Poitou et de la Saintonge, instituées pour ramener à la foi catholique les calvinistes de ces contrées. Il porta dans ces fonctions périlleuses un esprit de modération et de sagesse qui eut les plus grands et les plus heureux effets.

Proposé, à la suite de cette campagne, pour l'évêché de Poitiers et celui de la Rochelle, des intrigues de cour empêchèrent sa nomination, ce qui fut pour lui et pour nous une bonne fortune. Car on lui donna comme compensation le poste de précepteur du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV (1689), et nous devons à cette éducation qu'il entreprit, des livres d'instruction enfantine, qui sont parmi les meilleurs qu'il ait écrits. Ce sont les Fables en prose, les Dialogues des morts, modèles charmants d'un genre assez faux, et le fameux Télémaque, trop admiré pendant deux siècles, trop décrié depuis, et qui reste un des livres les plus originaux et les plus distingués de notre littérature. Récompensé comme

écrivain par le choix unanime de l'Académie française (1693), comme précepteur par l'abbaye de Saint-Valery, il était au comble de la faveur, lorsqu'un concours de circonstances resté obscur le jeta dans une disgrâce relative d'abord, puis complète.

Des copies manuscrites du Télémaque circulaient et les envieux y signalaient ou imaginaient des allusions un peu défavorables à la politique conquérante et aux habitudes fastueuses de Louis XIV. Bossuet peut-être commençait à être jaloux de l'influence de son ancien disciple. L'esprit même de Fénelon, qui ne laissait pas d'avoir quelque chose d'aventureux, déplut à Louis XIV, à qui on attribue ce mot, d'une authenticité très douteuse : « Je viens de causer avec le plus bel esprit et le plus chimérique de mon. royaume ». Toujours est-il que Fénelon, qui aspirait, dit-on, à l'archevêché de Paris, fut nommé archevêque de Cambrai (1695).

C'était un très beau poste, mais qui l'éloignait de la cour, de son royal disciple, tout dévoué et plein de sa pensée, de M. de Beauvilliers, de M. de Chevreuse, de ce groupe ambitieux, brillant et influent, tout inspiré de l'esprit de Fénelon, qui fondait son espoir sur l'avènement futur du duc de Bourgogne. Le coup fut sensible à Fénelon. Il ne faut pas oublier que la monarchie française, qui devait être gouvernée successivement au xviie siècle par deux prélats (Dubois, Fleury), l'avait été au XVIIe siècle par deux hommes d'Eglise aussi (Richelieu, Mazarin). Entre

ces deux périodes, Louis XIV gouverna par luimême. Mais deux évêques, Bossuet, Fénelon, ne pouvaient s'empêcher de songer à cette sorte de tradition et ont espéré tous deux la continuer, Bossuet comptant sur l'avènement de son élève le Dauphin, Fénelon sur celui du sien, le Petit Dauphin, duc de Bourgogne. Tous deux furent trompés dans leurs espérances, ou tout au moins dans leur expectative. Jusqu'alors la promotion à l'archevêché de Cambrai n'était qu'un éloignement. Elle devint un véritable et très sévère exil, à l'affaire du Quiétisme.

Il est très difficile d'expliquer brièvement ce qu'est le quiétisme et surtout ce qu'il a été, c'est-à-dire à un degré très faible, dans l'esprit et le cœur de Fénelon. Nous n'en donnerons qu'une idée approximative. Qu'on se figure le fatalisme oriental, l'abandon absolu et passif aux volontés impénétrables de Dieu. Qu'on réduise cet état d'esprit à n'être qu'un alanguissement de l'âme ne voulant compter que sur Dieu pour arriver à l'état de sainteté, et cherchant à perdre la volonté humaine dans la vo lonté divine: on aura à peu près la notion du mysticisme espagnol. Qu'on atténue encore, et qu'on se figure une sorte de « silence de l'âme », une résignation muette dans l'adoration, ne supprimant point, mais émoussant la volonté personnelle et pouvant conduire à un état extatique dangereux pour la santé et la vigueur du cœur, voilà une esquisse du quiétisme français, tel que madame Guyon, femme distinguée

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