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III

BOILEAU MORALISTE.

D

Boileau adorait Horace. « Il l'aima trop, si l'on peut trop l'aimer. J'entends qu'il a voulu être l'Horace français, de la tête aux pieds, ce qui était trop d'ambition. Horace avait fait des satires littéraires, Boileau en fit. Horace avait fait des satires et des épîtres morales qui sont des causeries en vers sur les ridicules des hommes, les consolations de la sagesse, les douceurs de la médiocrité, les délices du bon sens; œuvres charmantes, d'un abandon gracieux, d'une bonhomie fine, d'un enjouement facile et délié. Boileau voulut faire des satires et des épîtres morales. Il y fallait un La Fontaine, ou un Montaigne sachant le vers. Boileau n'y échoua point; il y languit un peu. Il était spirituel plutôt que fin, ou fin plutôt que délicat. Une nuance de grâce légère et de demisourire lui manquait. Il fut bon, dans un genre d'ouvrage où il faut être exquis. Il y a de la banalité dans ces poèmes, où les idées générales, qui en sont le fond, devaient être relevées d'un tour léger de paradoxe discret ou de fine boutade. Cela sent la dissertation.

Esprit vigoureux, Boileau pouvait avoir, en ce

genre, la pénétration, la profondeur des vues sur l'humaine misère, qui eussent suppléé à la grâce. Il n'a pas montré ces fortes qualités non plus. Ces poèmes sont sainement pensés, bien composés, écrits d'une langue forte et sûre. Ce sont bien quelques bons écrits, comme a dit dédaigneusement Voltaire. Ce n'est ni du Voltaire du Pauvre Diable, ni du Voltaire des Discours sur l'homme.

Euvres graves, correctes, spirituelles même parfois, d'une raison droite et d'un esprit cultivé, mais qui apprennent peu de chose, ne peignent point bien vivement, et intéressent plus qu'elles ne plai sent. L'absence de défaut n'est pas une qualité, en chose d'art, et les qualités moyennes même n'y sont presque comptées que comme absence de défauts.

IV

BOILEAU THÉORICIEN LITTÉRAIRE.

En 1674, Boileau, qui combattait depuis 14 ans, avait déjà poussé loin ses avantages. Il avait attaqué et à peu près vaincu, du moins pour un temps: le genre romanesque et fade, les je vous hais dits tendrement, les grâces molles de Quinault, l'esprit de pointes, l'élégie maniérée et fausse, les « Iris en l'air

et les « sottises champêtres », les trivialités

et le burlesque, les Saint-Amand, les d'Assoucy et les François Colletet, les mauvaises mœurs de la basse littérature, les poètes à gages « vendant au plus offrant leur encens et leurs vers »>, les auteurs trottant << de cuisine en cuisine », les « rimeurs affamés et cyniques. Le terrain était déblayé. Il restait à coucher sur le champ de bataille. Résumer les satires, les confirmer et les consacrer, en formulant avec netteté ce qu'on prétendait mettre à la place de ce qui avait été attaqué, c'était la seconde partie de la tâche.

L'Art poétique est à la fois une dernière œuvre de polémique et un code littéraire. C'est la dernière des satires, et ce sont les tables de la loi. Il faut le considérer à ce double point de vue, parce que (et c'est ce qui en fait l'intérêt et le piquant) la loi y sort constamment de la satire, la règle édictée d'une dernier critique faite, l'arrêt d'un réquisitoire. C'est là à la fois l'esprit général et la méthode de cet ouvrage. C'en est l'esprit, parce que Boileau était toujours et partout, et dans le Lutrin comme dans les Epitres, et dans l'Epitaphe d'Arnauld comme dans les Epigrammes, et dans l'Art poétique comme dans l'Ode sur Namur, un satirique. - C'en est la méthode, d'abord parce que Boileau imite Horace, dont le prétendu Art poétique n'est qu'une épître satirique; ensuite parce que, de lui-même, il a bien senti que le moyen de rendre la règle intéressante, c'est de la présenter comme une critique de ceux qui

la méconnaissent; que le moyen de faire un code amusant, c'est d'y montrer les coupables qu'il atteint.

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Ce que Boileau attaque dans l'Art poétique, nous le savons déjà. C'est ce qu'il a attaqué dans les Satires: c'est le genre romanesque, l'abus de l'esprit, la froideur, qui est le plus souvent une suite de l'abus de l'esprit, les trivialités, le genre burlesque.

Toutes ces attaques se retrouveront dans les quatre chants de son poème didactique. Il voit, par exemple, la déclamation des romans et des tragédies romanesques s'introduire dans l'Eglogue. On peut être étonné de ce vers du chant II :

Au milieu de l'Églogue entonne la trompette.

C'est un souvenir de Ménage qui, dans une conversation de bergers sur la reine de Suède, idée bizarre et procédé faux emprunté au xvie siècle, fait dire à Daphnis ou à Ménalque:

Un jour qui n'est pas loin, ses superbes armées
Joindront à ses lauriers les palmes idumées.

Tout le morceau sur l'Elégie (chant 11, 45) est inspiré par le souvenir des vers fades de l'hôtel de Rambouillet.

LES GRANDS MAITRES.

Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,
Que bénir leur martyre, adorer leur prison,
Et faire quereller les sens et la raison,

dit Boileau. C'est que Voiture, moins aveuglément aimé de Boileau qu'on ne croit, Voiture évidemment visé dans ce passage, avait écrit dans le fameux sonnet d'Uranie, qui était dans toutes les mémoires :

Je bénis mon martyre, et content de mourir,
Je n'ose murmurer contre sa tyrannie....
Quelquefois ma raison par de faibles discours
M'invite à la révolte......

Après beaucoup de peine et d'efforts impuissants,
Elle dit qu'Uranie est seule aimable et belle,

Et m'y rengage plus que n'ont fait tous mes sens.

C'est au nom de la simplicité que Boileau repousse la tragédie irrégulière et romanesque, les pastorales, les tragi-comédies pleines d'aventures merveilleuses et invraisemblables:

Des héros de roman fuyez les petitesses [dans la tragédie].

Peignez donc, j'y consens, les héros amoureux;
Mais ne m'en formez point de bergers doucereux.

C'est qu'il songe à Quinault, à l'Astrate, à « l'anneau royal », fable des Mille et une nuits dans un drame, aux héros fades qui disent tendrement : « Je vous hais », etc.

Comme dans les satires, il s'en prend énergiquement à l'abus de l'esprit, à la recherche de l'ori

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