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RACINE

I

SA VIE.

Jean Racine naquit à la Ferté-Milon (aujourd'hui département de l'Aisne), à quelques lieues du pays natal de La Fontaine, le 22 décembre 1639. Il était de famille bourgeoise, et ne fut gentilhomme que plus tard, par création du roi. Il fut orphelin de très bonne heure et élevé chez son grand-père paternel. Vers l'âge de douze ans, il fut placé au collège de Beauvais, à Beauvais (qu'il ne faut pas confondre avec le collège de Beauvais à Paris) et, à seize ans, grâce à sa grand'mère et à sa tante, religieuse de Port-Royal, il eut la rare fortune d'entrer dans la petite école de « Messieurs de Port-Royal », qui élevaient quelques jeunes gens de distinction (1655).

C'est là qu'il fit véritablement ses études littéraires, là qu'il prit son grand goût pour la langue et la littérature grecques, là qu'il apprit par cœur des

romans grecs (Théagène et Chariclée), toujours confisqués, toujours retrouvés. Ses professeurs principaux étaient Nicole, Lancelot et le Maître de Saci. Dès cette époque il faisait des vers, la plupart très faibles, célébrant les beautés un peu tristes de la campagne aux alentours de Port-Royal, traduisant les hymnes latines de saint Ambroise ou de Prudence qu'il entendait à Vêpres. Au sortir des « humanités », il alla faire sa « logique (philosophie) au collège d'Harcourt à Paris (1658). Sa logique terminée, il hésita sur sa carrière. Sa famille songeait pour lui aux ordres, au barreau. Son goût était à la littérature et surtout, à cet âge, à la vie de plaisirs. Il fit une ode à propos du mariage du roi (1660), « la Nymphe de la Seine », ode bien mauvaise, mais qui le fit pourtant connaître et lui valut une gratification royale. Dès cette époque, il connut La Fontaine, son compatriote, et Molière, le nouveau directeur de théâtre, très à la mode alors et en pleine lumière. Déjà il ébauchait une tragédie.

Il avait vingt ans. Sa famille, effrayée de ces goûts et de ces fréquentations, le retira à Uzès, auprès d'un de ses oncles, chanoine régulier, qui promettait de lui laisser son bénéfice (1661). En conséquence, le jeune Racine se mit à étudier la théologie, non sans de vifs regrets de sa vie de Paris, que nous retrouvons exprimés dans un certain nombre de lettres adressées à La Fontaine. Les affaires de son oncle se dérangèrent, l'espérance du bénéfice

s'évanouit, la rigueur des parents se lassa. Racine était relativement libre de ses actions, étant orphelin: il revint à Paris et reprit sa plume de poète.

Nouvelle ode à l'occasion de l'établissement des trois académies, « La Renommée aux Muses », plus faible que la première, également récompensée; puis amitié renouée avec Molière, établie avec Boileau, et nouvelle tentative dramatique. Son roman favori de Théagène et Chariclée lui restait sans doute en l'esprit, car il eut l'idée d'en faire une tragédie pour la troupe de Molière. Le sujet avait déjà été traité par Hardy en 1601; c'était une histoire romanesque et invraisemblable. Nous savons déjà que Molière avait peu de tendresse pour ce genre de sujets. Il le repoussa, et conseilla à Racine la tragédie des Frères ennemis (Etéocle et Polynice), ou le confirma dans le projet de l'écrire. On croit même qu'il eut une certaine part de collaboration dans la disposition du plan.

Racine écrivit la pièce, non sans habileté de plume, mais sans la moindre originalité, et en s'inspirant du goût de Corneille. Elle fut représentée en 1664 avec un certain succès qui encouragea le jeune auteur.

Dès l'année suivante (1665), Alexandre le Grand était écrit, et joué chez Molière. Ce fut un très grand succès et un événement de la vie parisienne. On discuta beaucoup le nouveau venu. On le compara à Corneille comme, dès lors, on devait faire pendant deux siècles. Saint-Evremond, de Londres, entendit

le bruit de la conversation de Paris sur ce sujet, et écrivit une dissertation sur l'Alexandre de Racine et la Sophonisbe de Corneille (qui était de 1663). Au milieu du succès, Racine, fort ombrageux et capricieux à cette époque, enleva brusquement la pièce aux comédiens de Molière pour la porter à la troupe rivale de l'hôtel de Bourgogne. Les deux poètes se brouillèrent à cette occasion et ne se réconcilièrent pas. C'est l'honneur de Molière de n'avoir jamais cependant attaqué personnellement Racine, quelque raison qu'il eût de lui en vouloir, et d'avoir même applaudi à ses pièces.

A partir de cette date (1665), Racine passe de la tutelle littéraire de Molière à celle de Boileau. Celuici fut très sévère pour son ami, le mit en défiance contre la facilité, et lui fut très utile comme critique sincère et judicieux. On peut croire que Boileau songe à lui-même et à Racine quand il vante avec complaisance, et d'ailleurs avec justesse, le profit que les poètes ont à tirer d'un censeur sévère et intelligent. En 1667, Racine donna Andromaque, qui fut un des succès de premier ordre. « Andromaque, dit un contemporain peu suspect (Perrault), fit autant de bruit à peu près que le Cid. »

Cette fois, les inimitiés éclatèrent avec violence. Les malins propos tombèrent de tous côtés. Racine y répondit par d'autres épigrammes d'une verve et d'une malice cruelles. Une parodie de Subligny, «< la Folle querelle», fut jouée chez Molière.

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