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la possession et jouissance de tous ses biens: ce droit, qui est une espèce de droit de retour s'apeloit en latin jus post liminii; de post, après, et de limen, le senil de la porte, l'entrée.

Porte, par synecdoque, et par antonomase, signifie aussi la cour du Grand-Seigneur, de l'Empereur Turc. On dit faire un traité avec la Porte, c'est-à-dire, avec la Cour Ottomane. C'est une façon de parler qui nous vient des Turcs: ils noment Porte par excélence la porte du sérail, c'est le palais du Sultan ou Empereur Turc, et ils entendent par ce mot, ce que nous apelons la Cour,

Nous disons il y a cent feux dans ce village, c'est-à-dire cent familles.

de

On trouve aussi des noms de villes fleuves, ou de pays particuliers, pour des noms de provinces et de nations (1). Les Pélasgiens, les Argiens, les Doriens, peuples particuliers de la Grèce, se prènent pour tous les Grecs, dans Virgile et dans les autres poëtes anciens.

On voit souvent dans les poëtes le Tibre (2) pour les Romains; le Nil pour les Egyptiens; la Seine pour les Français.

Chaque climat produit des favoris de Mars (3);
La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars.
Fouler aux piés l'orgueil et du Tage et du Tibre (4).

(1) Eurus ab auroram Nabathæaque regna recessit.
Ovid. Metam. l. 1, v. 61.

(2) Cum Tiberi, Nilo gratia nulla fuat. Prop. I. 2. Eleg. 33, v. 20. Per Tiberim Romanos, per Nilum Egyptios intelligito. Beroald. in Propert.

(3) Boileau. Ep. 1.

(4) Idem. Discours au Roi.

Par le Tage, il entend les Espagnols; le Tage est une des plus célèbres rivières d'Espagne, V. On sesert souvent du nom de LA MATIÈRE, pour marquer LA CHOSE QUI EN EST FAITE : le pin ou quelqu'autre arbre se prend dans les poëtes pour un vaisseau; on dit comunément de l'argent, pour des pièces d'argent, de la monoie. Le fer se prend pour l'épée: périr par le fer. Virgile s'est servi de ce mot pour le soc de la charue :

At prius ignotum ferro quam scindimus æquor (1).

M. Boileau dans son ode sur la prise de Namur, a dit l'airain pour dire les canons.

Et par cent bouches horribles

L'airain sur ces monts terribles
Vomit le fer et la mort.

L'airain, en latin as, se prend aussi fréquemment pour la monoie, les richesses: la première monoie des Romains étoit de cuivre : as alienum le cuivre d'autrui ; c'est-à-dire, le bien d'autrui, qui est entre nos mains, nos dettes nous devons.

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ce que

Enfin, æra se prend pour des vases de cuivre, pour des trompètes, des armes; en un mot pour tout ce qui se fait de cuivre.

et tu

Dieu dit à Adam, tu es poussière retourneras en poussière (2), pulvis es et in

(1) Georg. I. v. 50.

(2) Cor. c. 3, v. 19.

pluverem reverteris, c'est-à-dire, tu as été fait de poussière, tu as été formé d'un peu de terre.

Virgile s'est servi du nom de l'éléphant, pour marquer simplement de l'ivoire (1); c'est ainsi que nous disons tous les jours un castor dire un chapeau fait de poil de castor, etc.

, pour

Le pieux Enée, dit Virgile (2), lança sa haste (3) avec tant de force contre Mézence qu'elle perça le bouclier fait de trois plaques de cuivre, et qu'elle traversa les piqûres de toile, et l'ouvrage fait de trois taureaux, c'està-dire, de trois cuirs. Cette façon de parler ne seroit pas entendue en notre langue.

:

Mais il ne faut pas croire qu'il soit permis de prendre indiférement un nom pour un autre, soit par métonymie, soit par synecdoque il faut encore un coup, que les expressions figurées soient autorisées par l'usage; ou du moins que le sens litéral qu'on veut faire entendre, se présente naturèlement à l'esprit sans révolter la droite raison, et sans blesser les oreilles acoutumées à la pureté du langage. Si l'on disoit qu'une armée navale étoit composée de cent mâts, ou de cent avirons, au lieu de dire

(1) Ex auro, solidoque elephanto. Georg. III v. 26,
Dona dehinc auro gravia secto que elephanto.
En. III, v, 464.

(2) Tum pius Æneas hastam jacit: illa per orbem Ære cavum triplici per linea terga, tribusque Transiit intextum tauris opus. Æn. 1. X, v. 783. (3) Haste, pique, lance. Voy. le P. de Montfaucon, tome IV, p. 65.

cent voiles pour cent vaisseaux, on se rendroit : ridicule chaque partie ne se prend pas pour le tout, et chaque nom générique ne se prend pas pour une espèce particulière, ni tout nom d'espèce pour le genre; c'est l'usage seul qui done à son gré ce privilège à un mot plutôt qu'à un autre.

Ainsi, quand Horace a dit que les combats sont en horreur aux mères, bella matribus detes tata (1), je suis persuadé que ce poëte n'a voulu parler précisément que des mères. Je vois une mère alarmée pour son fils, qu'elle sait être à la guerre ou dans un combat, dont on vient de lui aprendre la nouvelle : Horace excite ma sensibilité en me fesant penser aux larmes où les mères sont alors pour leurs enfans; il me semble même que cette tendresse des mères est ici le seul sentiment qui ne soit pas susceptible de foiblesse ou de quelqu'autre interprétation peu favorable : les alarmes d'une maîtresse pour son amant, n'oseroient pas toujours se montrer avec la même liberté, que la tendresse d'une mère pour son fils. Ainsi, quelque déférence que j'aie pour le savant P. Sanadon, javoue que je ne saurois trouver une synecdoque de l'espèce dans bella matribus detestata. Le P. Sanadon croit que matribus (2) comprend ici, même les jeunes filles: voici sa traduction. Les combats, qui sont pour les femmes un objet d'horreur.

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(2) Poësies d'Horace, tome, I, p. 7.

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Et dans les remarques il dit, » que (1) les mères » redoutent la guerre pour les époux et pour » leurs enfans; mais les jeunes filles, ajoute» t-il, ne doivent pas moins la redouter pour » les objets d'une tendresse légitime que la » gloire leur enlève, en les rangeant sous les » drapeaux de Mars. Cette raison m'a fait » prendre matres dans la signification la plus » étendue, comme les poëtes l'ont souvent ›› employé. Il me semble, ajoute-t-il, que ce " sens fait ici un bel éfet ".

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en les

Il ne s'agit pas de doner ici des instructions aux jeunes filles, ni de leur aprendre ce qu'elles doivent faire, lorsque la gloire leur enlève les objets de leur tendresse rangeant sous les drapeaux de Mars; c'est-à-dire, lorsque leurs amans sont à la guerre; il s'agit de ce qu'Horace a pensé; or, il me semble que le terme de mères n'est relatif qu'à enfans; il ne l'est pas même à époux, encore moins aux objets d'une tendresse légitime. J'ajouterois volontiers, que les jeunes filles s'opposent à ce qu'on les confonde sous le nom de mères ; mais pour parler plus sérieusement j'avoue que lorsque je lis dans la traduction du P. Sanadon, que les combats sont pour les femmes un objet d'horreur, je ne vois que des femmes épouvantées; au lieu que les paroles d'Horace me font voir une mère attendrie: ainsi je ne sens point que l'une de ces expressions puisse jamais être l'image de l'autre;

(1) Poésies d'Horace, page 12,

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