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Il a été, il a vécu (1), veut dire souvent il est mort; c'est l'antécédent pour le conséquent. C'en est fait, madame, et j'ai vécu. (3) c'est-à-dire, je me meurs.

Un mort est regreté par ses amis, ils vou droient qu'il fût encore en vie, ils souhaitent celui qu'ils ont perdu, ils le désirent: ce sentiment supose la mort, ou du moins l'absence de la persone qu'on regrète. Ainsi la mort, la perte ou l'absence sont l'antécédent ; et le désir, le regret sont le conséquent. Or, en latin, desiderari, être souhaité, se prend, pour être mort, étre perdu, être absent,c'est le conséquent pour l'antécédent, c'est une métalepse. Ex parte Alexandri triginta omninò et duo (3), ou selon d'autres, trecenti omninò, expeditibus desiderati sunt; du côté d'Alexandre, il n'y eut que trois cens fantassins de tués, Alexandre ne perdit que trois cens homes d'infanterie. Nulla navis desiderabatur (4). : aucun vaisseau n'étoit désiré, c'est-à-dire, aucun vaisseau ne périt, il n'y eut aucun vaisseau de perdu.

«Je vous avois 'promis que je ne serois que » cinq ou six jours à la campagne, dit Horace » à Mécénas, et cependant j'y ai déjà passé "tout le mois d'Août ».

Quinque dies tibi pollicitus me rure futurum
Sextilem totum mendax desideror (5).

(1) Plaute. Amphi. act. IV. sc. 3, v. 13.
(2) Rac. Mithrid. act. V. v. sc. dern.
(3) Q. Curt. liv. III, c. II, fin.

(4) Cæsar, comm. de bell, gall.
(5) Hor. liv. I, ep. 7.

Où vous voyez que desideror veut dire par métalepse, je suis absent de Rome; je me tiens à la campagne.

Par la même figure, desiderari signifie encore manquer (deficere), être tel que les autres aient besoin de nous. « Les Thébains, par des intrigues particulières, n'ayant point mis Epaminondas à la tête de leur armée, reconurent bien-tôt le besoin qu'ils avoient de son habileté dans l'art militaire»: Desiderari capta est Epaminonda diligentia (1). Cornélius Népos dit encore que Ménéclide, jaloux de la gloire d'Epaminondas, exhortoit continuèlement les Thébains à la paix, afin qu'ils ne sentissent point le besoin qu'ils avoient de ce général. Hortari solebat Thebanos; ut pacem bello anteferrent, ne illius imperatoris opera desideraretur.

La métalepse se fait donc lorsqu'on passe come par degrés d'une signification à une autre: par exemple, quand Virgile a dit (2), après quelques épis, c'est-à-dire, après quelques années: les épis suposent le tems de la moisson, le tems de la moisson supose l'été, et l'été supose la révolution de l'année. Les Poëtes prènent les hivers, les étés, les moissons, les autones, et tout ce qui n'arive qu'une fois en une année, pour l'année même. Nous disons dans le discours ordinaire, c'est un vin de quatre feuilles, pour dire, c'est un vin de quatre ans; et dans les

(1) Corn. Nep. Epam. c. 7. ib. c. 5.

(2) Post aliquot mea regna videns mirabor aristas. Virg. Ecl. IV. 70.

coutumes on trouve bois de quatre feuilles (1), c'est-à-dire, bois de quatre années.

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Ainsi, le nom des diférentes opérations de l'agriculture se prend pour le tems de ces opérations, c'est le conséquent pour l'antécédent : la moisson se prend pour le tems de la moisson, la vendange pour le tems de la vendange; il est mort pendant la moisson, c'est-à-dire dans le tems de la moisson. La moisson se fait ordinairement dans le mois d'Août, ainsi par métonymie ou par métalepse, on apèle la moisson l'Août, qu'on prononce l'oût, alors le tems dans lequel une chose se fait, se prend pour la chose même, et toujours à cause de la liaison que les idées accessoires ont entr'elles.

On raporte aussi à cette figure ces façons de parler des Poëtes, par lesques ils prènent l'antécédent pour le conséquent, lorsqu'au lieu d'une description, ils nous mètent devant les yeux le fait que la description supose.

« O Ménalque ! si nous vous perdions, dit » Virgile, qui émailleroit la terre de fleurs: qui » feroit couler les fontaines sous une ombre ver⚫ » doyante (2)? c'est-à-dire, qui chanteroit la terre émaillée de fleurs? qui nous en feroit des descriptions aussi vives et aussi riantes que celles que vous en faites? Qui nous peindroit come vous ces ruisseaux qui coulent sous une ombre verte?

(1) Cout. de Loudun, tit, 14, art. 3.

(2) Quis caneret nymphas ? Quis humum florentibus herbis Spargeret, aut viridi fontes induceret umbrâ?

Virg. Ecl. IX, v. 19.

"

Le même Poëte a dit (1), que « Silène enve"lopa chacune des sœurs de Phaéton avec une » écorce amère, et fit sortir de terre de grands » peupliers ; c'est-à-dire, que Silène chanta d'une manière si vive la métamorphose des sœurs de Phaéton en peuplier, qu'on croyoit voir ce changement. Ces façons de parler peuvent être raportées à l'hypotypose dont nous parlerons dans la suite.

I V.

LA SYNEC DOQUE.

Le terme de Synecdoque, signifie compréhen sion, conception: en éfet dans la Synecdoque on fait recevoir à l'esprit plus ou moins que le mot dont on se sert ne signifie dans le sens propre.

Quand au lieu de dire d'un home qu'il aime le vin, je dis qu'il aime la bouteille, c'est une simple métonymie, c'est un nom pour un autre: mais quand je dis cent voiles pour cent vaisseaux, non seulement je prens un nom pour un autre, mais je done au mot voiles une significa tion plus étendue que celle qu'il a dans le sens propre ; je prens la partie pour le tout.

La Synecdoque est donc une espèce de métonymie, par laquelle on done une signification

(1) Tum Phaetontiadas musco circumdat amare
Corticis, atque solo proceras erigit alnos.

Virgil. Ecl. VI. v. 63.

particulière à un mot, qui dans le sens propre a une signification plus générale; ou au contraire, on done une signification générale à un mot qui dans le sens propre n'a qu'une signification particulière. En un mot dans la métonymie je prens un nom pour un autre, au lieu que dans la Synecdoque, je prens le plus pour le moins ou le moins pour le plus. Voici les diférentes sortes de Synecdoques que les Grammairiens ont remarquées.

I. SYNECDOQUE DU GENRE: come quand on dit les mortels pour les homes, le terme de mortels devroit pourtant comprendre aussi les animaux qui sont sujets à la mort aussi bien que nous ainsi quand par les mortels on n'entend que les homes, c'est une Synecdoque du genre: on dit le plus pour le moins.

Dans l'Ecriture Sainte (1), créature ne signifie ordinairement que les homes; c'est encore ce qu'on apèle la Synecdoque du genre, parce qu'alors un mot générique ne s'entend que d'une espèce particulière: créature est un mot générique, puisqu'il comprend toutes les espèces de choses créées, les arbres, les animaux, les métaux, etc. Ainsi lorsqu'il ne s'entend pas des hommes, c'est une Synecdoque du genre, c'est-à-dire, que sous le nom du genre, on ne conçoit, on n'exprime qu'une espèce particulière; on restreint le mot générique à

(1) Euntes in mundum universum prædicate evange lium omni creaturæ, Marc, c. XV, v. 16.

DS

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