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Le ciel, où les anges et les saints jouissent de la présence de Dieu, se prend souvent pour Dieu même : implorer le secours du ciel;grace au ciel: j'ai péché contre le ciel et contre vous (1), dit l'enfant prodigue à son père. Le ciel se prend aussi pour les Dieux du Paganisme.

Laterre se tut devant Alexandre (2);c'est-à-dire, les peuples de la terre se soumirent à lui: Rome désaprouva la conduite d'Appius,c'est-à-dire,les Romains désaprouvèrent: Toute l'Europe s'est réjouie à la naissance du Dauphin : c'est-à-dire, tous les souverains, tous les peuples de l'Europe se sont réjouis.

Lucrèce a dit que les chiens de chasse mettoient une forêt en mouvement (3); où l'on voit qu'il prend la forêt pour les animaux qui sont dans la forêt..

Un nid se prend pour les oiseaux qui sont encore au nid.

Carcer, prison, se dit en latin d'un home qui mérite la prison.

IV. LE NOM DU LIEU où une chose se fait, se prend POUR LA CHOSE MÊME: on.dit un Caudebec, au lieu de dire, un chapeau fait à Caudebec, ville de Normandie.

On dit de certaines étofes, c'est une Marseille,

(1) Pater peccavi in cœlum et coram te. Luc. c. XV. v. 18.

(2) Siluit terra in conspectu ejus. Macab. L. X. c. I, v. 3.

(3) Sepire plagis saltum canibusque ciere. Lucr. L. V. v. 1250.

c'est-à-dire, une étofe de la manufacture de Marseille: c'est une Perse, c'est-à-dire, une toile peinte qui vient de Perse.

A propos de ces sortes de noms, j'observerai ici une méprise de M. Ménage, qui a été suivie par les auteurs du Dictionaire Universel, apelé comunément Dictionaire de Trévoux, c'est au sujet d'une sorte de lame d'épée qu'on apèle olinde: les olindes nous viènent d'Alemagne, et sur-tout de la ville de Solingen, dans le cercle de Westphalie on prononce Solengue. Il y a aparence que c'est du nom de cette ville que les épées dont je parle, ont été apelées des olindes, par abus. Le nom d'olinde, nom romanesque, étoit déjà conu, come le nom de Silvie; ces sortes d'abus sont assez ordinaires en fait d'étymologie. Quoi qu'il en soit, M. Ménage et les auteurs du dictionaire de Trévoux n'ont point rencontré heureusement, quand ils ont dit que les olindes ont été ainsi apelées de la ville d'Olinde dans le Brésil, d'où ils nous disent que ces sortes de lames: sont venues. Les ouvrages de fer ne vienent point de ce pays-là: il nous vient du Brésil une sorte de bois que nous apelons brésil, il en vient aussi du sucre, du tabac, du baume, de l'or, de l'argent, etc. mais on y porte le fer de l'Europe, et sur-tout le fer travaillé.

La ville de Damas en Syrie, au pié du mont Liban, a doné son nom à une sorte de sabres ou de couteaux qu'on y fait : il a un vrai damas, c'est-à-dire, un sabre ou un couteau qui a été fait à Damas.

On done aussi le nom de damas à une sorte d'étofe de soie,qui a été fabriquée originairement dans la ville de Damas; on a depuis imité cette sorte d'étofe à Venise, à Gènes, à Lyon, etc., ainsi on dit damas de Venise, de Lyon, etc. On done encore ce nom à une sorte de prune, dont la peau est fleurie de façon qu'elle imite l'étofe dont nous venons de parler.

Fayence est une ville d'Italie dans la Romagne: on y a trouvé la manière de faire une sorte de vaissèle de terre vernissée, qu'on apèle de la fayence; on a dit ensuite par métonymie, qu'on fait de fort belles fayences en Holande, à Nevers, à Rouen, etc.

C'est ainsi que le Lycée se prend pour les disciples d'Aristote, ou pour la doctrine qu'Aristote enseignoit dans le Lycée. Le Portique se prend pour la philosophie que Zénon enseignoit à ses disciples dans le Portique.

Le Lycée étoit un lieu près d'Athènes, où Aristote enseignoitla philosophie en se promenant avec ses disciples; ils furent apelés Péripatéticiens du grec peripateo, je promène on ne pense point ainsi dans le Lycée, c'est-à-dire que les disciples d'Aristote ne sont point de ce sentiment.

Les anciens avoient de magnifiques portiques. publics où ils aloient se promener; c'étoient des galeries basses, soutenues par des colones ou par des arcades, à-peu-près come la place royale de Paris, et come les cloîtres de certaines maisons religieuses. Il y en avoit un entr'autres fort célèbre à Athènes, cù le philosophe Zénon tenoit

son école ainsi par le Portique on entend souvent la philosophie de Zénon, la doctrine des Stoïciens; car les disciples de Zénon furent apelés Stoïciens du grec stoa, qui signifie portique. Le Portique n'est pas toujours d'accord avec le Lycée, c'est-à-dire, que les sentimens de Zénon ne sont pas toujours conformes à ceux d'Aristote. Rousseau, pour dire que Cicéron dans sa maison de campagne méditoit la philosophie d'Aristote et celle de Zénon, s'explique en ces

termes :

C'est là que ce Romain, dont l'éloquente voix,
D'un joug presque certain, sauva sa République,
Fortifioit son cœur dans l'étude des lois,

Et du Lycée, et du Portique (1).

Académus laissa près d'Athènes un héritage où Platon enseigna la philosophie. Ce lieu fut apelé Académie,du nom de son ancien possesseur; delà la doctrine de Platon fut apelée l'Académie. On done aussi par extension le nom d'Académie à diférentes assemblées de savans qui s'apliquent à cultiver les langues, les sciences, ou les beaux

arts.

Robert Sorbon, confesseur et aumônier de St. Louis,institua dans l'Université de Paris cette fameuse école de Théologie, qui du nom de son fondateur est apelée Sorbone : le nom de Sorbone se prend aussi par figure, pour les docteurs de Sorbone, ou pour les sentimens qu'on y enseigne. La Sorbone enseigne que la puissance Ec

1) Rousseau, L. 2, Od. 3.

eclésiastique ne peut ôter aux Rois les courones que Dieu a mises sur leurs tétes, ni dispenser leurs sujets du serment defidélité. Regnum meum non est de hoc mundo (1).

V. LE SIGNE POUR LA CHOSE SIGNIFIÉE.

Dans ma vieillesse languissante

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Le Sceptre que je tiens pèse à ma main tremblante (2). C'est-à dire, je ne suis plus dans un âge convenable pour me bien acquiter des soins que demande la Royauté. Ainsi le Sceptre se prend pour l'autorité royale, le bâton de Maréchal de France, pour la dignité de Maréchal de France; le chapeau de Cardinal, et même simplement le chapeau se dit pour le Cardinalat.

L'épée se prend pour la profession militaire; la Robe pour la Magistrature, et pour l'état de ceux qui suivent le bareau.

A la fin, j'ai quité la Robe pour l'Epée (3).

Cicéron a dit que les armes doivent céder à la robe.

Cedant arma toga; concedat laurea lingua.

C'est-à-dire,comme il l'explique lui-même (4). que la paix l'emporte sur la guerre, et que les vertus civiles et pacifiques sont préférables aux vertus militaires.

(1) Joan. ch. XVIII, v. 36.

(2) Quinault, Phaéton, act. II, sc. 5.

(3) Corn. e Menteur, act. I

, SC.

V. I. 9

(4) More. Poetarum locutus hoc intelligi volui, belluin ac tumultum paci atque otio concessurum, Cic. Orat, in Pison. n. 73, aliter XXX.

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