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notre cerveau, et en a excité l'idée: d'un autre côté, le son du mot pain a fait aussi son impression par les oreilles, de sorte que ces deux idées accessoires, c'est-à-dire, excitées en nous en même temps, ne sauroient se réveiller séparément, sans que l'une excite l'autre.

2. Mais, parce que la conoissance des autres mots qui signifient des abstractions ou des opé rations de l'esprit,ne nous a pas été donée d'une manière aussi sensible; que d'ailleurs la vie des homes est courte, et qu'ils sont plus occupés de leurs besoins et de leur bien être, que de cultiver leur esprit, et de perfectioner leur langage; come il y a tant de variété et d'inconstance dans leur situation, dans leur état, dans leur imagination, dans les diférentes relations qu'ils ont les uns avec les autres; que par la dificulté que les homes trouvent à prendre les idées précises de ceux qui parlent,ils retranchent ou ajoutent presque toujours à ce qu'on leur dit ; que d'ailleurs la mémoire n'est ni assez fidèle, ni assez scrupuleuse pour retenir et rendre exactement les mêmes mots et les mêmes sons, et que les organes de la parole n'ont pas dans tous les homes une conformation assez uniforme pour exprimer les sons précisément de la même manière ; enfin, come les langues ne sont point assez fécondes pour fournir à chaque idée un mot précis qui y réponde: de tout cela, il est arivé que les enfans se sont insensiblement écartés de la manière de parler de leurs pères, come ils se sont écartés de leur manière de vivre et de s'habiller; ils ont lié au même

mot des idées diférentes et éloignées, ils ont dané à ce même mot des significations empruntées, y ont ataché un tour diférent d'imagination : ainsiles mots n'ont pu garder long-temps une simplicité qui les restraignit à un seul usage, c'est ce qui a causé plusieurs irrégularités aparentes dans la grammaire et dans le régime des mots; on n'en peut rendre raison que par la conoissance de leur première origine, et de l'écart,pour ainsi dire, qu'un mot a fait de sa première signification et de son premier usage: ainsi cette figure mérite une attention particulière, elle règne en quelque sorte sur toutes les autres figures.

Avant de finir cet article ; je crois qu'il n'est pas inutile d'observer que la catachrèse n'est pas toujours de la même espèce.

I. Il y a la catachrèse quise fait, lorsqu'on done à un mot une signification éloignée, qui n'est qu'une suite de la signification primitive: c'est ainsi que succurrere signifie aider,secourir: Petere, atáquer: Animadvertere, punir: ce qui peut être souvent raporté à la métalepse, dont nous parlerans dans la suite.

II. La seconde espèce de catachrèse n'est proprement qu'une sorte de métaphore, c'est lorsqu'il y a imitation et comparaison, comme quand en dit ferrer d'argent,feuille de papier, etc.

I I.

LA MÉTONYM I E.

LE mot de Métonymie signifie transposition, ou changement de nom un nom pour un

autre.

En ce sens cette figure comprend tous les tropes: car dans tous les autres tropes, un mot n'étant pas pris dans le sens qui lui est propre, il réveille une idée qui pourroit être exprimée par un autre mot. Nous remarquerons dans la suite ce qui distingue proprement la métonymie des tropes.

Les maîtres de l'art restreignent la métonymie aux usages suivans.

I. LA CAUSE POUR L'ÉFET; par exemple : vivre de son travail, c'est-à-dire, vivre de ce qu'on gagne en travaillant.

Les Païens regardoient Cérès come la déesse qui avoit fait sortir le blé de la terre, qui avoit apris aux homes la manière d'en faire du pain; ils croyoient que Bacchus étoit le Dieu qui avoit trouvé l'usage du vin; ainsi ils donoient au blẻ le nom de Cérès, et au vin le nom de Bacchus; on en trouve un grand nombre d'exemples dans les poëtes: Virgile a dit, un vieux Bacchus, pour dire du vin vieux. Implentur veteris Bacchi (1).

. Æn. 1. v. 219.

Madame des Houlières a fait une balade dont le

refrein est,

L'amour languit sans Bacchus et Cérès.

C'est la traduction de ce passage de Térence sine Cerere et Libero friget Venus (1). C'est-àdire,qu'on ne songe guère à faire l'amour quand on n'a pas de quoi vivre. Virgile a dit :

Tum Cererem corruptam undis cerealiaque arma,
Expediunt fessi rerum. (2)

Scarron, dans sa traduction burlesque, se sert d'abord de la même figure; mais voyant bien que cette façon de parler ne seroit point entendue en notre langue, il en ajoute l'explication:

Lors fut des vaisseaux descendue

Toute la Cérès corrompue;

En langage un peu plus humain,

C'est ce de quoi l'on fait du pain (3).

Ovide a dit, qu'une lampe prête à s'éteindre se ralume quand on y verse Pallas (4), c'est-à-dire de l'huile ce fut Pallas, selon la fable, qui la première fit sortir l'olivier de la terre, et enseigna aux homes l'art de faire de l'huile ; ainsi Pallas se prend pour l'huile, come Bacchus pour le vin.

(1) Ter. Eun. Act, 5. sc. 4. (2) En. I. v. 181.

(3) Scarron, Virgile, travesti,

L. I.

(4) Cujus ab alloquiis anima hæc moribunda revixit, Ut vigil infusâ Pailade flamma solet. Ovid. Trist. L.

iv, El. 5. v. 4.

On raporte à la même espèce de figure les façons de parler, où le nom des dieux du paganisme se prend pour la chose à quoi ils présidoient, quoiqu'ils n'en fussent pas les inventeurs. Jupiter se prend pour l'air, Vulcain pour le feu: ainsi pour dire, où vas-tu avec ta lanterne ? Plaute a dit, Quod ambulas tu, qui Vulcanum in cornu conclusum geris (1)? Où vas-tu toi qui portes Vulcain enfermé dans une corne ? Et Virgile,furit Vulcanus (2), et encore au premier livre des Géorgiques, voulant parler du vin cuit ou du raisiné que fait une ménagère de la campagne, il dit qu'elle se sert du Vulcain pour disposer l'humidité du vin doux.

Aut dulcis musti Vulcano decoquit humorem (3).

Neptune se prend pour la mer; Mars, le Dieu de la guerre, se prend souvent pour la guerre même, ou pour la fortune de la guerre, pour l'évènement des combats, l'ardeur, l'avantage des combatans. Les historiens disent souvent qu'on a combatu avec un Mars égal, æquo Marte pugnatum est, c'est-à-dire, avec un avantage égal ancipiti Marte, avec un succès douteux: vario Marte, quand l'avantage est tantôt du côté, et tantôt de l'autre.

C'est encore prendre la cause pour l'éfet, que de dire d'un général ce qui, à la lettre, ne doit être entendu que de son armée; il en est de même

(1) Plaut. Amph. Act. 1. sc. I. v. 185.

(2) En. 5. v. 666.

(3) Georg. I. v. 295.

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