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Pourquoi donc tombe-t-on dans la même faute dans les dictionaires latins- français quand il s'agit de traduire un mot latin ? Pour quoi joint-on à la signification propre d'un mot, quelqu'autre signification figurée qu'il n'a jamais tout seul en latin? La figure n'est que dans notre français; parce que nous nous servons d'une autre image, et par conséquent de mots tout diférens ; par exemple (1) Mittere signifie, dit-on, envoyer, retenir, afrêtér, écrire 'est-ce pas comme si l'on disoit dans le dictionaire français-latin', que porter se rend en latin par ferre, invidere, alloqui, valere? Jamais mittere n'a eu la signification de retenir d'arrêter, d'écrire, dans l'imagination d'une kome qui parloit latin. Quand Térence a dit? lacrymas mitte (2), et missam iram faciet (3); mittere avoit toujours dans son esprit la signification d'envoyer: envoyez loin de vous vos larmes, votre colère, come on renvoye tout ce dont on veut se défaire. Que's si en ces occa sions, nous disons plutôt, retenez vos larmes, retenez votre colère, c'est que pour exprimer ce sens, nous avons récours à une métaphore prise de l'action que l'on fait quand on retient un cheval avec le frein, ou quand on empêche qu'une chose ne tombe ou ne s'échappé. Ainsi

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(1): Voyez le dictionaire latin-français, imprimé sous le nom du R. P. Tachart, en 1727, et quelques autres dictionaires nouveaux.

(2) Adelph. Act. 3, sc. 2, v. 37. (3) Hec. Act. 5, sc, 2, v. 14.

il faut toujours distinguer les deux sortes de traductions dont j'ai parlé ailleurs. Quand on ne traduit que pour faire entendre la pensée d'un auteur, on doit rendre, s'il est possible, figure par figure, sans s'attacher à traduire litéralement; mais quand il s'agit de doner l'intelligence d'une langué, ce qui est le but des dictionaires, on doit traduire litéralement, afin de faire entendre le sens figuré qui est en usage en cette langue à l'égard d'un certain mot; autrement c'est tout confondre : les dictionaires nous diront que aqua signifie le feu, de la même manière qu'ils nous disent que mittere veut dire 'arrêter, retenir; car enfin les latins crioient aquas, aquas (1), c'est-à-dire, afferte aquas, quand le feu avoit pris à la maison, et nous 'crions alors au feu, c'est-à-dire, accourez au feu pour aider à l'éteindre. Ainsi quand il s'agit d'aprendre la langue d'un auteur, il faut d'abord doner à un mot sa signification propre, 'c'est-à-dire, celle qu'il avoit dans l'imagination de l'auteur qui s'en est servi, et ensuite on le traduit, si l'on veut, selon la traduction des 'pensées, c'est-à-dire, à la manière dont on rend le même fonds de pensée, selon l'usage d'une autre langue.

Mittere ne signifie donc point en latin retenir, non plus que pellere, qui veut dire chasser. Si Térence a dit lacrymas mitte, Virgile a dit dans

(1): Territa vicinas, Téia clamat aquas. Prop. L. 4, El. 9, v. 32. dd extinguendum incendium, inquit Bew roaldus. Ibid.

le même sens, lacrymas dilecta pelle Creusa (1), Chassez les larmes de Créüse, c'est-à-dire, les larmes que vous répandez pour l'amour de Créüse, cessez de pleurer votre chère Créüse, retenez les larmes que vous répandez pour l'amour d'elle, consolez-vous.

Mittere ne veut pas dire non plus en latin écrire et quand on trouve mittere epistolam alicui, cela veut dire dans le latin, envoyer une lettre à quelqu'un, et nous disons plus ordinai rement écrire une lettre à quelqu'un. Je ne finirois point si je voulois rapporter ici un plus grand nombre d'exemples du peu d'exactitude de nos meilleurs dictionaires;. merces punition, nox la mort, pulvis le bareau, etc.

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Je voudrois donc que nos dictionaires donassent d'abord à un mot latin la signification propre que ce mot avoit dans l'imagination des auteurs latins; qu'ensuite ils ajoutassent les divers sens figurés que les Latins donoient à ce mot. Mais quand il arrive qu'un mot joint à un autre, forme une expression figurée, un sens une pensée que nous rerdons en notre langue, par une image diférente de celle qui étoit en usage en latin; alors je voudrois distinguer :

1. Si l'explication litérale qu'on a déjà donée du mot latin, suffit pour faire entendre à la lettre l'expression figurée, ou la pensée littérale du latin; en ce cas, je me contenterois de rendre la pensée à notre manière; par exemple: mit(1) Eneid. lib. II, v. 785.

sere envoyer, mitte iram, retenez votre colère, mittere epistolam alicui, écrire une lettre à quelqu'un.

Provincia province, de pro ou procul, et de vincire lier, obliger, ou selon d'autres, de vincere, vaincre : c'étoit le nom générique que les Romains donoient aux pays dont ils s'étoient rendus maîtres hors de l'Italie. On dit dans le sens propre, provinciam capere, suscipere prendre le gouvernement d'une province, en être fait gouverneur ; et on dit par métaphore, provinciam suscipere, être dans un emploi, dans une fonction, faire quelque entreprise (1). * Provinciam cepisti duram, tu t'es chargé d'une mauvaise commission, d'un emploi difficile.

2. Mais lorsque la façon de parler latine est trop éloignée de la française, et que la lettre n'en peut pas être aisément entendue, les dictionaires devroient l'expliquer d'abord littéralement, et ensuite ajouter la phrase française qui répond à la latine, par exemple laterem crudum lavare, laver une brique crue, c'està-dire, perdre son temps et sa peine, perdre son latin. Qui laveroit une brique avant qu'elle fût cuite, ne feroit que de la boue, et perdroit la brique. On ne doit pas conclure de cet exemple, que jamais lavare ait signifié en latin perdre, ni later temps ou peine.

Au reste, il est évident que ces diverses significations qu'une langue done à un même mot d'une autre langue, sont étrangères à ce mot (1) Ter. Phorm. Act, 1, sc. 2.

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dans la langue originale, ainsi elles ne sont point de mon sujet : je traite seulement ici des différens sens que l'on done à un même mot dans une même langue, et non pas des diférentes images dont on peut se servir en traduisant, pour exprimer le même fonds de pénsée. 10

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SECONDE PARTIE.

1

Des Tropes en particulier.

I. LA CAT A CHRISE.

Abus, Extension, ou Imitation..

ES langues les plus riches n'ont point un assez grand nombre de mots pour exprimer chaque idée particulière, par un terme qui ne "soit que le signe propre de cette idée; ainsi -P'on est souvent obligé d'emprunter le mos propre de quelqu'autre idée, qui a le plus de raport à celle qu'on veut exprimer; par exemple: l'usage ordinaire est de clouer des fers sous les piés des chevaux, ce qui s'apèle ferrer an cheval, que s'il arive qu'au lieu de fer, on se serve d'argent, on dit alors que les chevaux sont ferrés d'argent, plutôt que d'inventer un nouveau mot qui ne seroit pas entendu on * ferre aussi d'argent une cassette, etc. alors ferrer signifié par extension, garnir d'argent

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