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se prête ensuite au sens figuré. Les laboureurs du pays latin conoissoient les bourgeons des vignes et des arbres, et leur avoient doné un nom avant que d'avoir vu des perles et des pierres, précieuses: mais come on dona ensuite par figure et par imitation ce même nom aux perles et aux pierres précieuses, et qu'apparemment Cicéron, Quintilien et M. Rollin ont va plus de perles que de bourgeons de vignes, ils ont cru que le nom de ce qui leur étoit plus conu, étoit le nom propre, et que le figuré étoit celui de ce qu'ils conoissoient moins.

III.

Ce qu'on doit observer, et ce qu'on doit éviter dans l'usage des Tropes, et pourquoi ils plaisent.

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LES Tropes qui ne produisent pas les effets que je viens de remarquer, sont défectueux. Ils doivent sur-tout être clairs, faciles, se présenter naturellement, et n'être mis en œuvre qu'en tems et lieu. Il n'y a rien de plus ridicule en tout genre, que l'affectation et le défaut de convenance. Molière dans ses Précieuses nous fournit un grand nombre d'exemples de ces expressions recherchées et déplacées. La convenance demande qu'on dise simplement à un laquais, donez des siéges, sans aler chercher le détour de lui dire (1): voiturez-nous ici les comodités de la conversation. De plus, les idées

(1) Les Précieuses ridicules, SC. IX.

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accessoires ne jouent point, si j'ose parler ainsi, dans le langage des Précieuses de Molière, ou ne jouent point come elles jouent dans l'imagination d'un home sensé : Le conseiller des graces (1), pour dire le miroir : contentez l'envie qu'a ce fauteuil de vous embrasser (2), pour dire asséyez-vous.

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Toutes ces expressions tirées de loin et hors de leur plaće, marquent une trop grande contention d'esprit, et font sentir toute la peine qu'on a eue à les rechercher : elles ne sont pas, s'il est permis de parler ainsi, à l'unisson du bon sens, je veux dire qu'elles sont trop éloignées de la manière de penser de ceux qui ont l'esprit droit et juste, et qui sentent les convenances. Ceux qui cherchent trop l'ornement dans le distombent souvent dans ce défaut sans s'en apercevoir; ils se savent bon gré d'une expression qui leur paroît brillante et qui leur a coûté, et se persuadent que les autres en doivent être aussi satisfaits qu'ils le sont euxmêmes.

cours,

On ne doit donc se servir de tropes que lorsqu'ils se présentent naturellement à l'esprit ; qu'ils sont tirés du sujet ; qué les idées accessoires les font naître; ou que les bienséances' les inspirent ils plaisent alors, mais il ne faut point les aller chercher dans la vue de plaire. ย Je ne crois donc pas que ces sortes de figures

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(1) Ibid. sc. vI. (2) Ibid. sc. IX.

plaisent extrémement (1), par l'ingénieuse hardiesse qu'il y a d'aller au loin chercher des expressions étrangères à la place des naturelles qui sont sous la main, si l'on peut parler ainsi. Quoique ce soit là une pensée de Cicéron, adoptée par M. Rollin, je crois plutôt que les expressions figurées donent de la grace au discours, parce que, comme ces deux grands homes le remarquent, elles donent du corps (2), pour ainsi dire, aux choses les plus spirituelles, et les font presque toucher au doigt et à l'ail par les images qu'elles en tracent à l'imagination; en un mot, par les idées sensibles et accessoires.

IV.

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Suite des Réflexions générales sur le Sens figuré. - I.-IL n'y a peut-être point de mot qui ne se prène en quelque sens figuré, c'est-à-dire, éloigné de sa signification propre et primitive. 1 Les mots les plus comuns et qui reviènent souvent dans le discours, sont ceux qui sont pris le plus fréquemment dans un sens figuré, et qui ont un plus grand nombre de ces sortes de sens tels sont corps, ame, tête, couleur, avoir, faire, etc.

2. Un mot ne conserve pas dans la traduction tous les sens figurés qu'il a dans la langue originale: chaque langue a des expressions figurées qui lui sont particulières, soit parce que ces (1) Manière d'enseigner, tom. II. p. 247. (2) Ibid. p. 248.

expressions sont tirées de certains usages établis dans un pays, et inconus dans un autre; soit par quelque autre raison purement arbitraire. Les différens sens figurés du mot voix, que nous avons remarqués, ne sont pas tous en usage en latin, on ne dit point vox pour suffrage. Nous disons porter envie, ce qui ne seroit pas entendu en latin par ferre invidiam: au contraire, mo→ rem gerere alicui, est une façon de parler latine, qui ne seroit pas entendue en français, si on se contentoit de la rendre mot à mot, et que l'on traduisît, porter la coutume à quelqu'un, au lieu de dire, faire voir à quelqu'un qu'on se con→ forme à son goût, à sa manière de vivre, être complaisant, lui obéir. Il en est de même de vicem gerere, verba dare, et d'un grand nombre d'autres façons de parler que j'ai remarquées ailleurs, et que la pratique de la version interlinéaire aprendra.

Ainsi, quand il s'agit de traduire en une autre langue quelque expressión figurée, le traducteur trouve souvent que sa langue n'adopte point la figure de la langue originale, alors il doit avoir recours à quelque autre expression figurée de sa propre langue, qui réponde, s'il est possible, à celle de son auteur.

Le but de ces sortes de traductions, n'est que de faire entendre la pensée d'un auteur; ainsi on doit alors s'atacher à la pensée et non à la lettre, et parler comme l'auteur lui-même auroit parlé, si la langue dans laquelle on le traduit avoit été sa langue naturelle. Mais quand il s'agit

de faire entendre une langue étrangère, on doit alors traduire litéralement, afin de faire com prendre le tour original de cette langue.

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Nos dictionaires n'ont point assez remarqué ces diférences je veux dire, les divers sens que { l'on done par figure à un même mot dans une même langue; et les diférentes significations que celui qui traduit est obligé de doner à un même mot ou à une même expression, pour faire entendre la pensée de son auteur. Ce sont deux idées fort diférentes que nos dictionaires confondent, ce qui les rend moins utiles et souvent nuisibles aux començans. Je vais faire entendre ma pensée par cet exemple:

Porter, se rend en latin dans le sens propre par ferre: mais quand nous disons porter envie, porter la parole, se porter bien ou mal, etc. on ne se sert plus de ferre pour rendre ces façons de parler en latin: la langue latine a ses expressions particulières pour les exprimer; porter ou ferre ne sont plus alors dans l'imagination de celui qui parle latin: ainsi, quand on considère porter, tout seul et séparé des autres mots qui lui donent un sens figuré, on manqueroit d'exactitude dans les dictionaires français-latins, si l'on disoit d'abord simplement que porter se rend en latin par ferre, invidere, alloqui, valere, etc.

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