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l'idée qu'ils expriment. Mais y a-t-il de ces sortes de mots ? Il faut distinguer :

"Si vous prenez le terme de synonyme , dans un sens étendu pour une simple res› semblance de signification (1), il y a des

termes synonymes, c'est-à-dire, qu'il y a > des mots qui expriment une idée principale » ferre, bajulare, portare, tollere sustinere, gerere, gestare, seront en ce sens autant de synonymes.

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Mais si par synonymes vous entendez des mots qui ont une ressemblance de signification si entière et si parfaite, que le sens pris dans toute sa force et dans toutes ses circonstances soit toujours et absolument >> le même ensorte qu'un des synonymes ne signifie ni plus ni moins que l'autre qu'on puisse les employer indiférament dans toutes les ocasions, et qu'il n'y ait pas plus de ›› choix à faire entre eux pour la signification et pour l'énergie, qu'entre les goutes d'eau d'une même source pour le goût et pour la ,, qualité : dans ce second sens, il n'y a point de mots synonymes en aucune langue,, : ainsi ferre, bajulare, portare, tollere, sustinere, gerere, gestare, auront chacun leur destination particulière en éfet,

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Ferre, signifie porter, c'est l'idée principale.

(1) Traité de la Justesse de la langue française, p. 26 et 27.

Bajulare, c'est porter sur les épaules ou sur le cou.

Portare, se dit proprement lorsqu'on fait porter quelque chose sur des bêtes de some, sur des charètes ou par des crocheteurs. Portari dicimus ea quæ quis jumento secum ducit. Voyez le titre XVI du cinquantième livre du Digeste, de verborum significatione.

Tollere (1), c'est lever en haut; d'où vient le substantif tolleno, onis, c'est une machine à tirer de l'eau d'un puits.

Sustinere, c'est soutenir, porter pour empêcher de tomber.

Gerere, c'est porter sur soi : Galeam gerere in capite (2).

Gestare vient de gerere, c'est faire parade de ce qu'on porte.

Malgré ces diférences, il arive souvent que dans la pratique on emploie ces mots l'un pour l'autre, par figure, en conservant toujours l'idée principale, et en ayant égard à l'usage de la langue; mais ce qui fait voir qu'à parler exactement, ces mots ne sont pas synonymes, c'est qu'il n'est pas toujours permis de mettre indiférament l'un pour l'autre. Ainsi quoiqu'on dise morem gerere, on ne diroit pas morem ferre, ou morem portare, etc. Les Latins sentoient mieux que nous ces diférences délicates,

(1) Tite-Live, 1. XXXVIII, n. 5. Festus, v. Tolleno. (2) Corn. Nep. 14. 3.

dans le tems même qu'ils ne pouvoient les exprimer (1), nihil inter factum et gestum interest, licet videatur quædam subtilis differentia, dit un ancien Jurisconsulte. D'autres ont remarqué que acta propriè ad togam spectant, gesta ad militiam. Varron dit que c'est une erreur de confondre, agere, facere et gerere, et qu'ils ont chacun leur destination particulière (2).

Nous avons quelques recueils des anciens Grammairiens, sur la propriété des mots latins tels sont Festus, de verborum significatione. Voyez Grammatici veteres.

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On peut encore consulter un autre recueil qui a pour titre, Auctores linguæ latina. De plus, nous avons un grand nombre d'observations répandues dans Varron, de linguâ latind, dans les Comentaires de Donat et de Servius elles font voir les diférences qu'il y a entre plusieurs mots que l'on prend comunément pour synonymes. Quelques auteurs modernes ont fait des réflexions sur le même sujet,

(1) L. licet 58. Digest. de verborum significatione.

(2) Propter similitudinem agendi, et faciendi, et gerendi, quidam error his qui putant esse unum : potest enim quis aliquid facere et non agere: ut poëta facit, fabulam et non agit; contra actor agit et non facit et sic à poëta fabula fit et non agitur, ab actore agitur et non fit contra Imperator qui dicitur res gerere in eo neque facit, sed gerit, id est sustinet: translatum ab his qui onera gerunt quod sustinent. Varr, de ling. lat. 1. V. sub finem.

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tels sont le P. Vavasseur Jésuite, dans ses Remarque ssur la langue latine, Sciopius, Henri Etiène, de latinitate falso suspecta, et plusieurs

autres.

On tire aussi la même conséquence de plusieurs passages des meilleurs auteurs; voici deux exemples tirés de Cicéron qui font voir la diférence qu'il y a entre amare et diligere.

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Quis erat qui putaret ad eum amorem quem erga te habebam, posse aliquid accedere? Tantum accessit ut mihi nunc denique amare videar, anteà dilexisse (1). " Qui l'auroit pu croire, dit Cicéron, que l'afection que j'a

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pour vous eût pu recevoir quelque degré de plus ? cependant elle est si fort augmentée, ,, que je sens bien qu'à la vérité vous m'étiez cher autrefois, mais qu'aujourd'hui je vous aime tendrement.

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Et au livre XIII. Epi. 47. Quid ego tibi commendem eum quem tu ipse diligis: sed tamen, ut scires eum non à me diligi solum, verum etiam amari, ab eam rem tibi hæc scribo. "Vous l'aimez, mais je l'aime encore davan,, tage; et c'est pour cela que je vous le recomande

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Voilà une diférence bien marquée entre amare et diligere (2); Cicéron observe ailleurs qu'il y a de la diférence entre dolere et laborare,

(1) Cicer. Ep. ad fam. 1. IX. Ep. 14.

(2) Tuscul. 1. II. n. 15.

lors même que ce dernier mot est pris dans le sens du premier: Interest aliquid inter laborem et dolorem; sunt finitima omninò, sed tamen differt aliquid labor est functio quædam vel animi vel corporis, gravioris operis vel muneris; dolor autem motus asper in corpore... aliud inquam est dolere, aliud laborare varices secabantur Cn. Mario, doleret : cum astu magno ducebat agmen, laborabat.

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Les savans ont observé de pareilles diférences entre plusieurs autres mots, que les jeunes gens et ceux qui manquent de goût et de réflexion regardent come autant de synonymes. Ce qui fait voir qu'il n'est peut être pas aussi utile qu'on le pense de faire le thème en deux façons.

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M. de la Bruyère remarque "qu'entre toutes les diférentes expressions (1) qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bone: que tout ce qui ne l'est " point est foible, et ne satisfait point un home ,, d'esprit Ainsi ceux qui se sont donés la peine de traduire les auteurs latins en un autre latin, en afectant d'éviter les termes dont ces auteurs se sont servis, auroient pu s'épargner un travail qui gâte plus le goût qu'il n'aporte de lumière. L'une et l'autre pratique est une fécondité stérile qui empêche de sentir la propriété des termes, leur énergie, et la finesse de la langue, come je l'ai remarqué ailleurs.

Lucus veut dire un bois consacré à quelque (1) Caract, des Ouvr. de l'Esprit.

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