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idéal confondu avec l'ordre physique ; de-là enfin l'erreur (1) de ceux qui croient savoit ce qu'ils ignorent, et qui parlent de leurs imaginations métaphysiques avec la même assurance que les autres homes parlent des objets réels.

y

Les abstractions sont un pays où il encore bien des découvertes à faire, et dans lequel on feroit quelques progrès, si l'on ne prenoit pas pour lumière ce qui n'est qu'une séduction délicate de l'imagination, et si l'on pouvoit se rapeler, sans prévention, la manière dont nous avons acquis nos idées et nos conoissances dans les premières années de notre vie; mais cela n'est pas maintenant dans mon sujet.

Réflexions sur les abstractions, par raport à la manière d'enseigner.

COME c'est aux Maîtres que j'adresse cet ouvrage, je crois pouvoir ajouter ici quelques réflexions par raport à la manière d'enseigner, Le grand art de la didactique, c'est de savoir profiter des conoissances qui sont déjà dans l'esprit de ceux qu'on veut instruire, pour les mener à celles qu'ils n'ont point; c'est ce qu'on apèle alors du conu à l'inconu. Tout le

A

(1) Absit error opinantium se scire quod nesciunt. Aug. in Enchirid. ad Laur. de Fide, Spe, et Char. cap, $9, tom. VI. pag. 218. Paris, 1685.

monde convient du principe, mais dans la pratique on s'en écarte, ou faute d'atention, ou parce qu'on supose dans les jeunes gens des conoissances qu'ils n'ont point encore aquises. Un Métaphysicien qui a médité sur l'infini, sur l'être en général, etc. persuadé que ce sont-là autant d'idées innées, parce qu'elles sont faciles à aquérir, et qu'elles lui sont familières, ne doute point que ces conoissances ne soient aussi familières au jeune home qu'il instruit, qu'elles le sont à lui-même; sur ce fondement, il parle toujours; on ne l'entend -point, il s'en étone; il élève la voix, il s'épuise, et on l'entend encore moins. Que ne se rapèle-t-il les premières années de son enfance? Avoit-il à cet âge des conoissances auxquelles il n'a pensé que dans la suite, par le secours des réflexions, et après que son cerveau a eu aquis un certain degré de consistance? En un mot, conoissoit-il alors ce - qu'il ne conoît pas encore, et ce qui lui a - paru nouveau dans la suite, quelque facilité qu'il ait eue à le concevoir ?

Nous avons besoin d'impressions particulières, et pour ainsi dire, préliminaires, pour nous élever ensuite par le secours de l'expérience et des réflexions, jusqu'à la sublimité des idées abstraites parmi celles-ci, les unes sont plus faciles à aquérir que les autres, l'usage de la vie nous mène à quelques-unes presque sans réflexion et quand nous ve

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nons ensuite à nous apercevoir que nous les avons aquises, nous les regardons come nées

avec nous.

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Ainsi, il me paroît qu'après qu'on a aquis un grand nombre de conoissances particulières dans quelque art ou dans quelque science que ce soit on ne sauroit rien faire de plus utile pour soi-même, que de se former des principes d'après ces conoissances particulières, et de mettre par cette voie, de la néteté, de l'ordre, et de l'arangement dans ses pensées.

Mais quand il s'agit d'instruire les autres, il faut imiter la Nature; elle ne comence point par les principes et par les idées abstraites, ce seroit comencer par l'inconu; elle ne nous done point l'idée d'animal avant que de nous montrer des oiseaux, des chiens, des chevaux, etc. Il faut des principes: oui sans doute; mais il en faut en tems et lieu. Si par principes vous entendez des règles, des maximes, des notions générales, des idées abstraites qui renferment des conoissances particulières, alors je dis qu'il ne faut point comencer par de tels principes.

Que si par principes vous entendez des notions comunes, des principes faciles, des opérations aisées qui ne suposent dans votre élève d'autre pouvoir ni d'autres conoissances que celles que vous savez bien qu'il a déjà; alors je conviens qu'il faut des principes, et ces prin

cipes ne sont autre chose que les idées particulières qu'il faut lui doner, avant que de passer aux règles et aux idées abstraites.

Les règles n'aprènent qu'à ceux qui savent déjà, parce que les règles ne sont que des observations sur l'usage: ainsi comencez par faire lire les exemples des figures avant que d'en doner la définition.

Il n'y a rien de si naturel que la Logique et les principes sur lesquels elle est fondée; cependant les jeunes Logiciens se trouvent come dans un monde nouveau dans le premier tems qu'ils étudient la Logique, lorsqu'ils ont des des maîtres qui comencent par leur doner en abrégé le plan général de toute la Philosophie; qui parlent de science, de perception, d'idée, de jugement, de fin, de cause, de catégorie, d'universaux, de degrés métaphysiques, etc. come si c'étoient - là autant d'êtres réels, et non de pures abstractions de l'esprit. Je suis persuadé que c'est se conduire avec beau→ coup plus de méthode, de comencer par mettre, pour ainsi dire, devant les yeux quelques-unes des pensées particulières qui ont doné lieu de former chacune de ces idées abstraites.

J'espère traiter quelque jour cet article plus en détail, et faire voir que la méthode analytique est la vraie méthode d'enseigner, et que celle qu'on apèle synthétique ou de doctrine, qui comence par les principes, n'est

bone que pour mettre de l'ordre dans ce qu'on sait déjà, ou dans quelques autres ocasions qui ne sont pas maintenant de mon sujet.

X I I.

DERNIÈRE OBSERVATION.

S'il y a des mots synonymes.

Nous avons vu qu'un même mot peut avoir par figure d'autres significations que celle qu'il a dans le sens propre et primitif : voiles peut signifier vaisseaux. Ne suit-il pas de-là qu'il y a des mots synonymes, et que voiles est synonyme à vaisseaux ?

Monsieur l'Abbé Girard a déjà examiné cette question, dans le discours préliminaire qu'il a mis à la tête de son Traité de la justesse de la langue française. Je ne ferai guère ici qu'un extrait de ses raisons, er je prendrai même la liberté de me servir souvent de ses termes, me contentant de tirer mes exemples de la langue latine. Le Lecteur trouvera dans le livre de M. l'Abbé Girard de quoi se satisfaire pleinement sur ce qui regarde le français.

« On entend comunément par synonymes » les mots qui, ne diférant que par l'arti»culation de la voix, sont semblables par

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