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suite à mesure que nous avons réfléchi sur nos propres sentimens intérieurs, et que nous les avons réduits à certaines classes, nous avons apelé afirmation cette manière uniforme dont notre esprit est afecté quand il acquiesce, quand il consent; et nous avons apelé négation la manière dont notre esprit est afecté, quand il sent qu'il refuse de consentir à quelque jugement.

Les termes abstraits, qui sont en très-grand nombre, ne marquent donc que des afections de l'entendement; ce sont des opérations naturèles de l'esprit, par lesquelles nous nous formons autant de classes diférentes des diverses sortes d'impressions particulières dont nous somes afectés par l'usage de la vie. Tel est l'home. Les noms de ces classes diférentes ne désignent point de ces êtres réels qui subsistent hors de nous les objets blancs sont des êtres réels; mais la blancheur n'est qu'une idée abstraite les expressions métaphoriques sont tous les jours en usage dans le langage des homes, mais la métaphore n'est que dans l'esprit des Grammairiens et des Rhéteurs.

Les idées abstraites que nous acquérons par l'usage de la vie, sont en nous autant d'idées exemplaires qui nous servent ensuite de règle et de modèle pour juger si un objet a ou n'a pas telle ou telle propriété, c'est-à-dire, s'il fait ou s'il ne fait pas en nous une impression semblable à celle que d'autres objets nous ont

causée, et dont ils nous ont laissé l'idée ou afection habituèle. Nous réduisons chaque sorte d'impression que nous recevons, à la classe à laquelle il nous paroît qu'elle se raporte; nous raportons toujours les nouvèles impressions aux anciènes, et si nous ne trouvons pas qu'elles puissent s'y raporter, nous en fesons une classe nouvèle ou une classe à part, et c'est de-là que viènent tous les noms apellatifs, qui marquent des genres ou des espèces particulières; ce sont autant de termes abstraits quand on n'en fait pas l'aplication à quelque individu particulier, ainsi quand on considère en général le cercle, une ville, cercle et ville sont des termes abstraits; mais s'il s'agit d'un tel cercle, ou d'une telle ville en particulier, le terme n'est plus abstrait.

Ce que nous venons de dire, que nous acquérons ces idées exemplaires par l'usage de la vie, fait bien voir qu'il ne faut point élever les jeunes gens dans des solitudes, et qu'on doit ne leur montrer que du bon et du beau autant qu'il est possible. C'est un avantage que les enfans des grands ont au-dessus des enfans des autres homes; ils voient un plus grand nombre d'objets, et il y a plus de choix dans ce qu'on leur montre; ainsi ils ont plus d'idées. exemplaires, et c'est de ces idées que se forme le goût. Un jeune home qui n'auroit vu que d'excélens tableaux, n'admireroit guère les médiocres,

En termes d'arithmétique, quand on dit trois louis, dix hommes, en un mot, quand on aplique le nombre à quelque sujet particulier, ce nombre est apelé concret; au lieu que si l'on dit deux et deux font quatre, ce sontlà des nombres abstraits, qui ne sont unis à aucun sujet particulier. On considère alors par abstraction le nombre en lui-même, ou plutôt l'idée de nombre que nous avons acquise par l'usage de la vie.

Tous les objets qui nous environnent et dont nous recevons des impressions, sont autant d'êtres particuliers que les philosophes apèlent des individus, les uns sont semblables aux autres en certains points: de-là les idées abstraites de genre et d'espèce.

Remarquez qu'un individu est un être réel que vous ne sauriez diviser en un autre luimême : Platon ne peut être que Platon. Un diamant de mille écus peut être divisé en plusieurs autres diamans, mais il ne sera plus le diamant de mille écus: cette table, si vous la divisez, ne sera plus cette table; de- là l'idée d'unité, c'est-à-dire, l'afection de l'esprit qui conçoit l'individu dans un sens abstrait.

Observez encore qu'il n'est pas nécessaire que j'aie vu tous les objets blancs pour me former l'idée abstraite de blancheur; un seul objet blanc pouroit me faire naître cette idée, et dans la suite je n'apelerois blanc que ce LS

qui y seroit conforme, come le peuple n'atribue les propriétés du soleil qu'à l'astre qui fait le jour. Ainsi, il n'est pas nécessaire que j'aie vu tous les cercles possibles, pour vérifier si dans tout cercle les lignes tirées du centre à la circonférence sont égales; un objet,qui n'a pas cette propriété, n'est point un cercle, parce qu'il n'est pas conforme à l'idée exemplaire que j'ai aquise du cercle, par l'usage de la vie, et par les réflexions que cet usage fait naître dans mon esprit.

La fortune, le hasard et la destinée, que l'on personifie si souvent dans le langage ordinaire, ne sont que des termes abstraits. Cette multitude d'évènemens qui nous arivent tous les jours, sans que la cause particulière qui les produit nous soit conue, a afecté notre esprit de manière qu'elle a excité en nous l'idée indéterminée d'une cause inconue que le vulgaire a apelée fortune, hasard, ou destinée : ce sont des idées d'imitation formées à l'exemple des idées que nous avons des causes réèles.

Les impressions que nous recevons des objets, et les réflexions que nous fesons sur ces impressions par l'usage de la vie et par la méditation, sont la source de toutes nos idées c'est-à-dire, de toutes les afections de notre esprit quand il conçoit quelque chose, de quelque manière qu'il la conçoive: c'est ainsi que l'idée de Dieu nous vient par les créatures qui nous anoncent son existence et ses perfec

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tions (1) Cali enarrant gloriam Dei (2). Invisibilia enim ipsius per ea quæ facta sunt intellecta conspiciuntur, sempiterna quoque ejus virtus et divinitas. Une montre nous dit qu'il y a un ouvrier qui l'a faite; l'idée qu'elle fait naître en moi de cet ouvrier, quelque indéterminée qu'elle soit, n'est pas l'idée d'un être abstrait, elle est l'idée d'un être réel qui doit avoir de l'intelligence et de l'adresse ainsi l'Univers nous aprend qu'il y a un Créateur qui l'a tiré du néant, qui le conserve, qu'il doit avoir des perfections infinies, et qu'il exige de nous de la reconoissance et des adorations.

Les abstractions sont une faculté particulière de notre esprit, qui doit nous faire reconoître combien nous somes élevés au-dessus des êtres purement corporels.

Dans le langage ordinaire, on parle des abstractions de l'esprit come on parle des réalités; les termes abstraits n'ont même été inventés qu'à l'imitation des mots qui expriment des êtres physiques. C'est peut-être ce qui a doné lieu à un grand nombre d'erreurs où les homes sont tombés, faute d'avoir reconu que les mots dont ils se servoient en ces ocasions > n'étoient que les signes des afections de leag esprit, en un mot, de leurs abstractions, et non l'expression d'objets réels; de-là l'ordre

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