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cent maisons; il aime la bouteille, c'est-à-dire, il aime le vin; le fer pour l'épée; la plume ou le style pour la manière d'écrire, etc.the

2. Les tropes donnent plus d'énergie à nos expressions. Quand nous somes vivement frapés de quelque pensée, nous nous exprimons rarement avec simplicité; l'objet qui nous ocupe se présente à nous, avec les idées accessoires qui l'accompagnent, nous prononçons les noms de ces images qui nous frapent, ainsi nous avons naturellement recours aux tropes, d'où il arrive que nous fesons mieux sentir aux autres ce que nous sentons nous-mêmes : de-là viènent ces façons de parler, il est enflamé de colère, il est tombé dans une erreur grossière, flétrir la réputation, s'enivrer de plaisir, etc.

3. Les tropes ornent le discours. M. Fléchier voulant parler de l'instruction qui disposa M. le duc de Montausier à faire abjuration de l'hérésie, au lieu de dire simplement qu'il se fit instruire, que les ministres de J. C. lui aprirent les dogmes de la religion catholique, et lui découvrirent les erreurs de l'hérésie, s'exprime en ces termes : « Tombez, tombez, voiles im "portuns qui lui couvrez la vérité de nos mys » tères et vous prêtres de J. C. prenez le glaive » de la parole, et coupez sagement jusqu'aux ›› racines de l'erreur, que la naissance et l'édu»cation avoient fait croître dans son ame. Mais » par combien de liens étoit-il retenu » ?

Outre l'apostrophe, figure de pensée, qui se trouve dans ces paroles, les tropes en font le

principal ornement: Tomber voiles, couvrez, prenez le glaive, coupez jusqu'aux racines, croltre, liens, retenu, toutes ces expressions sont autant de tropes qui forment des images, dont l'imagination est agréablement ocupée.

4. Les tropes rendent le discours plus noble: les idées comunes auxquelles nous somes acou tumés, n'excitent point en nous ce sentiment d'admiration et de surprise, qui élève l'ame: en ces ocasions on a recours aux idées accessoires, qui prêtent, pour ainsi dire, des habits plus nobles à ces idées comunes. Tous les hommes meurent également ; voilà une pensée commune: Horace a dit :

Pallida mors, æquo pede pulsat pauperum tabernas
Regumque turres (1)

1

On sait la paraphrase simple et naturèle que Malherbe a faite de ces vers.

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles,
On a beau la prier;

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier (a).

Le pauvre en sa cabanne, où le chaume le couvre
Est sujet à ses lois,

Et la garde qui veille aux barières du Louvre,

N'en défend pas nos rois.

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Au lieu de dire que c'est un Phénicien qui a inventé les caractères de l'écriture, ce qui seroit une expression trop simple pour la poésie, Brébeuf a dit :

(1) Lib. I. Od. 4..
(2) Malherbe, VI.

C'est de lui que nous vient cet art ingénieux (1),
De peindre la parole et de parler aux yeux,
Et par les traits divers de figures tracées,

Donner de la couleur et du corps aux pensées (2).

5. Les tropes sont d'un grand usage pour déguiser des idées dures, désagréables, tristes, ou contraires à la modestie; on en trouvera des exemples dans l'article de l'euphémisme, et dans celui de la périphrase.

6. Enfin les tropes enrichissent une langue en multipliant l'usage d'un même mot, ils donent à un mot une signification nouvelle, soit parce qu'on l'unit avec d'autres mots, auxquels souvent il ne peut se joindre dans le sens propre, soit parce qu'on s'en sert par extension et par ressemblance, pour supléer aux termes qui manquent dans la langue.

Mais il ne faut pas croire avec quelques savans, que les tropes n'aient d'abord été inventés que par nécessité, à cause du défaut et de la disette des mots propres, et qu'ils aient con tribué depuis à la beauté et à l'ornement du discours, de même à peu près que les vêtemens ont été employés dans le comencement pour couvrir corps et le défendre contre le froid, et ensuite ont servi à l'embélir et à l'orner (3.) Je ne crois

le

(1) Pharsale, Lib. III.

(2) Phenices primi, fama si creditur, ausi.

Mansuram rudibus vocem signare figuris. Lib. 111. V. 220. Lucan.

(3) Manière d'enseigner et d'étudier les Belles-Lettres, par M. Rollin, tome II, p. 246. et Cic. de Oratore, n. 155. aliter XXXVIII. Voss. inst. orat. L. v. C. vb. n. 14.

pas

pas qu'il y ait un assez grand nombre de mots qui supléent à ceux qui manquent, pour pou voir dire que tel ait été le premier et le principal usage des tropes. D'ailleurs ce n'est point là, ce me semble, la marche, pour ainsi dire, de la nature; l'imagination a trop de part dans le langage et dans la conduite des hommes, pour avoir été précédée en ce point par la nécessité. Si nous disons d'un homme qui marche avec trop de lenteur, qu'il ya plus lentement qu'une tortue, d'un autre, qu'il va plus vite que le yent, d'un passioné, qu'il se laisse emporter au torrent de ses passions, etc, c'est que la vivacité avec laquelle nous ressentons ce que nous voulons exprimer, excite en nous ces images, nous en somes ocupés les premiers, et nous nous en servons ensuite pour mètre en quelque sorte devant les yeux des autres ce que nous voulons leur faire entendre. Les homes n'ont point consulté, s'ils avoient ou s'ils n'avoient pas des termes propres pour exprimer ces idées, ni si l'expression figurée seroit plus agréable que l'expression propre, ils ont suivi les mou vemens de leur imagination, et ce que leur inspiroit le désir de faire sentir vivement aux autres ce qu'ils sentoient eux-mêmes vivement. Les rhéteurs ont ensuite remarqué, que telle expression étoit plus noble, telle autre plus énergique, celle-là plus agréable, celle-ci moins dure; en un mot, ils ont fait leurs observations sur le langage des homes. Je prendrai la liberté à ce sujet, de m'arêter un moment sur une remarque de peu d'impor

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tance : c'est que pour faire voir que l'on subssitue quelquefois des termes figurés à la place des mots propres qui manquent (1), cé qui ést très-véritable, Cicéron, Quintilien et M. Rollin, qui pense et qui parle comme ces grands homes, disent que c'est par emprunt et par métaphore qu'on a appelé gemma le bourgeon de la vigne: parce, disent-ils, qu'il n'y avoit poins de mot propre pour l'exprimer. Mais si nous en eroyons les étymologistes, gemma (2) est le mot propre pour signifier le bourgeon de la vigne, et ç'a été ensuite par figure que les Latins ont donné ce nom aux perles et aux pierres précieuses. En effet, c'est toujours le plus commun et le plus connu qui est le propre, et qui

(1) M. Rollin, tome II, p. 246.

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(2) Verbi translatio instituta est inopiæ causa, quentata delectationis. Nam gemmare vites, luxuriem esse in herbis, lætas segetes, etiam rustici dicunt. Cic. de Oratore, L. 111. n. 155. aliter XXXVIII.

Necessitate rustici dicunt gemmam in vitibus. Quid enim dicerent aliud? Quintil. instit, orat. lib. VIII. cap. 6. Methaph.

Gemma est id quod in arboribus tumescit cum parere incipiunt, à geno, id est, gigno: hinc Margarita et deinceps omnis lapis pretiosus dicitur gemma.... quod habet quoque Perottus, cujus hæc sunt verba, «lapil»los gemma vocavêre à similitudine gemmarum quas >> in vitibus sive arboribus cernimus; gemmæ enim pro» priè sunt pupuli quos primò vites emittunt'; et gemmare » vites dicuntur, dum gemmas emittunt. » Martinii Lexicon, voce gemma.

Gemma oculus vitis propriè. 2. gemma deinde generale nomen est lapidum pretiosorum, Bas. Fabri Thesaur, voc. gemma.

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