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Tous les substantifs qui sont pris adjectivement sont alors des termes concrets : ainsi quand on dit Petrus est homo; homo est alors un terme concret, Petrus est habens humanitatem.

Observez qu'il y a de la diférence entre faire abstraction et se servir d'un terme abstrait. On peut se servir de mots qui expriment des objets, réels, et faire abstraction, come quand on examine quelque partie d'un tout, sans avoir égard aux autres parties on peut, au contraire, se servir de termes abstraits, sans faire abstraction, come quand on dit que la fortune est aveugle.

Des termes abstraits.

Dans le langage ordinaire, abstrait se prend pour subtil, métaphysique : ces idées sont abstraites, c'est-à-dire, qu'elles demandent de la méditation, qu'elles ne sont pas aisées à comprendre, qu'elles ne tombent point sous le sens.

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On dit aussi d'un home, qu'il est abstrait quand il ne s'ocupe que de ce qu'il a dans l'esprit, sans se prêter à ce qu'on lui dit. Mais ce que j'entens ici par termes abstraits, ce sont les mots qui ne marquent aucun objet qui existe hors de notre imagination.

Que les homes pensent au soleil, ou qu'ils n'y pensent point, le soleil existe, ainsi le mot de soleil n'est point un terme abstrait.

Mais beauté, laideur, etc. sont des termes abstraits. Il y a des objets qui nous plaisent et que nous trouvons beaux; il y en a d'autres au contraire qui nous afectent d'une manière désagréable, et que nous apelons laids; mais il n'y a aucun être réel qui soit la beauté ou la laideur. Il y a des homes, mais l'humanité n'est point; c'est-à-dire, qu'il n'y a point un être qui soit l'humanité.

Les abstractions ou idées abstraites suposent les impressions particulières des objets, et la méditation, c'est-à-dire, les réflexions que nous faisons naturèlement sur ces impressions. C'est à l'ocasion de ces impressions que nous considérons ensuite séparément, et indépendament des objets, les diférentes afections qu'elles ont fait naître dans notre esprit, c'est ce que nous apelons les propriétés des objets : je ne considérerois pas le mouvement en lui-même, si je n'avois jamais vu de corps en mouve

ment.

Nous somes acoutumés à doner des noms particuliers aux objets réels et sensibles; nous en donons aussi par imitation aux idées abstraites, come si elles représentoient des êtres réels; nous n'avons point de moyen plus facile pour nous comuniquer nos pensées.

Ce qui a sur-tout doné lieu aux idées abstraites, c'est l'uniformité des impressions qui ont été excitées dans notre cerveau par des objets diférens, et pourtant semblables en un

certain point les homes ont inventé des mots particuliers pour exprimer cette ressemblance, cette uniformité d'impressions dont ils se sont formés une idée abstraite. Les mots qui expriment ces idées nous servent à abréger le discours et à nous faire entendre avec plus de facilité; par exemple, nous avons vu plusieurs objets blancs; ensuite pour exprimer l'impression uniforme que ces diférens objets nous ont causée, et pour marquer le point dans lequel ils se ressemblent, nous nous servons du mot de blancheur.

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Nous somes acoutumés dès notre enfance à voir des corps qui passent successivement d'une place à un autre; ensuite pour exprimer cette propriété et la réduire à une sorte d'idée générale, nous nous servons du terme de mouvement. Ce que je veux dire s'entendra mieux par cet exemple.

Les noms que l'on done aux tropes ou figures dont nous avons parlé, ne représentent point des êtres réels. Il n'y a point d'être, point de substance, qui soit une métaphore, ni une métonymie; ce sont les diférentes expressions métaphoriques, et les autres façons de parler figurées qui ont doné lieu aux maîtres de l'art, d'inventer le terme de métaphore, et les autres noms des figures: par-là ils réduisent à une espèce, à une classe particulière les expressions qui ont un tour pareil, selon lequel elles se ressemblent, et c'est sous ce ra

port de ressemblance qu'elles sont comprises dans chaque sorte particulière de figure, c'està-dire, dans la même manière d'exprimer les pensées toutes les expressions métaphoriques sont comprises sous la métaphore, elles s'y raportent; l'idée de métaphore est donc une idée abstraite qui ne présente aucune expression métaphorique en particulier, mais seuleEment cette sorte d'idée générale que les homes se sont faite pour réduire à une classe à part les expressions figurées d'une même espèce, ce qui met de l'ordre et de la néteté dans nos pensées, et abrège-nos discours.

Il en est de même de tous les autres noms d'arts et de sciences : la physique, par exemple, n'existe point, c'est-à-dire, qu'il n'y a point = un être particulier qui soit la physique mais les homes ont fait un grand nombre de réflexions sur les diférentes opérations de la nature; et ensuite ils ont doné le nom de science physique au recueil ou assemblage de ces réflexions, ou plutôt à l'idée abstraite à laquelle ils raportent toutes les observations qui regardent les êtres naturels.

Il en est de même de douceur, amertume être, néant, vie, mort, mouvement, repos, etc. Chacune de ces idées générales, quoiqu'on en dise, est aussi positive que l'autre, puisqu'elle peut être également le sujet d'une proposition.

Come les diférens objets blancs ont doné

lieu à notre esprit de se former l'idée de blancheur, idée abstraite, qui ne marque qu'une sorte d'afection de l'esprit, de même, les divers objets qui nous afectent en tant de manières diférentes, nous ont doné lieu de nous former l'idée d'être, de substance, d'existence; sur-tout, lorsque nous ne considérons les objets que come existans, sans avoir égard à leurs autres propriétés particulières : c'est le point dans lequel les êtres particuliers se ressemblent le plus.

Les objets réels ne sont pas toujours dans la même situation, ils changent de place, ils disparoissent, et nous sentons réèlement ce changement et cette absence: alors il se passe en nous une afection réèle, par laquelle nous sentons que nous ne recevons aucune impression d'un objet dont la présence excitoit en nous deux éfets sensibles; de-là l'idée d'absence, de privation, de néant : de sorte que quoique le néant ne soit rien en lui-même, cependant ce mot marque une afection réèle de l'esprit, c'est une idée abstraite que nous acquérons par l'usage de la vie, à l'ocasion de l'absence de l'objet, et de tant de privations qui nous font plaisir ou qui nous afligent.

Dès que nous avons eu quelque usage de notre faculté de consentir ou de ne pas consentir à ce qu'on nous proposoit, nous avons consenti, ou nous n'avons pas consenti, nous avons dit oui, ou nous avons dit non

en

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