Page images
PDF
EPUB

ouvrages où l'auteur (1) s'est interdit successivement par chapitres, et selon l'ordre de l'alphabet, l'usage d'une lettre, c'est-à-dire, que dans le premier chapitre il n'y a point d'a, et dans le second point de b, ainsi de suite. Un autre (2) a fait un Poëme dont tous les mots comencent par un p.

Plaudite porcelli; porcorum pigra propago
Progreditur, plures porci pinguedine pleni
Pugnantes pergunt. Pecudum pars prodigiosa
Perturbat pede petrosas plerumque plateas;

etc. etc.

Dans le IX. siècle, Hubaud, religieux bénédictin de St. Amand, dédia à l'empereur Charles le Chauve un Poëme composé à l'honeur des chauves, dont tous les mots comencent par la lettre c.

Carmina, clarisonæ, calvis cantate Camenæ.

(3) Un autre s'est mis dans une contrainte

(1) Liber absque litteris, de Atatibus mundi et hominis; autore Fabio, Claudio, Gordiano, Fulgentio Edidit P. Jacobus Hommey Augustinianus, Pictavii. Prostat Parisiis apud Viduam Caroli Coignard, 1696. Le titre du manuscrit promet ad A usque in Z; mais l'Imprimeur n'a mis au jour que XIV chapitres, c'est-à-dire, jusqu'à l'O inclusivement; et il déclare que le copiste a égaré le reste. Huc usque codex, cujus scriptor addit: ii decem de quibus fit mentio in titulo, nescio ubi sunt.

(2) Pugna Porcorum per P. Porcium Ce Poème est composé de 248 vers. Je l'ai vu dans un recueil qui à pour titre Nuga Venales. Moreri attribue ce Poeme à Leo Placentius, V. PLAISANT, dans l'édition de Moreri de 1718.

(3) Bernardi Morlanensis, Monachi ordinis Cluniacen

encore plus grande, il a fait un Poëme de 2956 vers de six piés, dont le dernier seul est un spondée, les cinq autres sont autant de dactiles. Le second pié rime avec le quatrième, et le dernier mot d'un vers rime avec le dernier mot du vers qui le suit à la manière de nos vers français à rimes suivies ; et voici le comencement :

[ocr errors]

Hora novissima, tempora pessima sunt, vigilemus. Ecce minaciter imminet arbiter ille supremus. Imminet, imminet at mala terminet, æqua coronet, Recta remuneret, anxia liberet, æthera donet : Auferat aspera, duraque pondera mentir onusta, Sobria muniat, improba puniat, utraque juste, Ille piissimus, ille gravissimus ecce venit Rex. Surgat homo reus, instat homo Deus, à patre judex. Les Poëmes dont je viens de parler sont aujourd'hui au même rang que les acrostiches et les anagrames (1). Le goût de toutes ces sortes sis, ad Petrum Cluniacensen Abbatem qui claruit anno 1140, de Contemptu Mundi, libri tres, ex veteribus membranis reçens descripti. Breme anno 1595.

[ocr errors]

(1) L'acrostiche est une sorte d'ouvrage en vers dont chaque vers comence par chacune des lettres qui forment un certain mot. A la tête de chaque comédie de Plante, il y a un argument fait en acrostiche: c'est le nom de la pièce qui est le mot de l'acrostiche; par exemple : Amphitruo: le premier vers de l'argument comence par un A, le second par une M, ainsi de suite. Ces argumens soat anciens, et Madame Dacier dans ses Remarques sur celui de l'Amphitryon, fait entendre que Plaute en est l'auteur.

Cicéron nous apprend qu'Ennius avoit fait des acrostiches, acrostichis dicitur, cum deinceps ex primis versuun litteris aliquid connectitur ut in quibusdam Ennianis. Cic, de Divinatione. 1. 2, n. 111, aliter, LIV.

[ocr errors]

d'ouvrages, heureusement, est passé. Il y a eu un tems où les ouvrages d'esprit tiroient leur principal mérite de la peine qu'il y avoit à les produire, et souvent la montagne étoit récompensée de n'enfanter qu'une souris, pourvu qu'elle eût été long-temps en travail (1) Aujourd'hui le tems et la difficulté ne font rien à l'affaire; on aime ce qui est vrai, ce qui instruit, ce qui éclae, ce qui intéresse, ce qui a un objet raisonable; et l'on ne regarde plus les mots que come des signes auxquels on ne s'arête que pour aler droit à ce qu'ils signifient. La vie est si courte, et il y a tant à aprendre à tout âge, que si l'on a le bonheur de surmonter la paresse et l'indolence naturèles de l'esprit, on ne doit pas le mettre à la torture sur des riens, ni l'apliquer en pure perte.

X I.

SENS ABSTRAIT, SENS CONCRET.

CE mot abstrait vient du latin abstractus;

A l'égard de l'anagrame, ce mot est encore grec : il est composé de la préposition ana, qui dans la composition des mots, répond souvent à retrò, rè; et de grama lettre. L'anagrame se fait lorsqu'en déplaçant les lettres d'un mot, on en forme un autre mot, qui a une signification diférente; par exemple, de Loraine on a fait Alérion,

(1) Molière, Misan. act, I. sc. II.

participe d'abstrahere, qui veut dire tirer aracher, séparer de.

Tout corps est réèlement étendu en longueur, largeur et profondeur, mais souvent on pense à la longueur sans faire atention à la largeur ni à la profondeur, c'est ce qu'on apèle faire abstraction de la largeur et de la profondeur; c'est considérer la longueur dans un sens abstrait : c'est ainsi qu'en géométrie ont considère le point, la ligne, le cercle, sans avoir égand ni à un tel point, ni à une telle ligne, ni à un tel cercle physique,

Ainsi en général le sens abstrait est celui par lequel on s'ocupe d'une idée, sans faire atention aux autres idées qui ont un raport naturel et nécessaire avec cette idée.

1. On peut considérer le corps en général sans penser à la figure, ni à toutes les autres propriétés particulières du corps physique : c'est considérer le corps dans un sens abstrait, c'est considérer la chose sans le mode, come parlent les philosophes, res absque modo.

2. On peut au contraire considérer les propriétés des objets, sans faire atention à aucun sujet particulier auquel elles soient atachées, modus absque re. C'est ainsi qu'on parle de la blancheur, du mouvement, du repos, sans faire aucune atention particulière à quelque objet blanc, ni à quelque corps qui soit en mouvement ou en repos.

L'idée dont on s'ocupe par abstraction, est tirée, pour ainsi dire, des autres idées qui

ont

qui ont raport à celle-là, elle en est come séparée, et c'est pour cela qu'on l'apèle idée abstraite.

- L'abstraction est donc une sorte de séparation qui se fait par la pensée. Souvent on considère un tout par parties, c'est une espèce d'abstraction; c'est ainsi qu'en anatomie on fait des démonstrations particulières de la tête, ensuite de la poitrine, etc. mais c'est plutôt diviser qu'abstraire, on apèle plus particuliè rement faire abstraction, lorsque l'on considère quelque propriété des objets sans faire atention ni à l'objet, ni aux autres propriérés, ou lorsque l'on considère l'objet sans les propriétés.

Le sens concret, au contraire', c'est lorsque l'on considère le sujet uni au mode, ou le mode upi au sujet ; c'est lorsque l'on regarde un sujet tel qu'il est, et que l'on pense que ce sujet et sa qualité ne font ensemble qu'une même chose, et forment un être particulier; par exemple: ce papier blanc, cette table quarée, cette boite ronde; blanc, quarée, ronde, sont dits alors dans un sens concret.

Ce mot concret vient du latin concretus, participe de concrescere, croître ensemble, s'épaissir, se coaguler, être composé de; en éfet, dans le sens concret, les adjectifs ne forment qu'un tout avec leurs sujets; on ne les sépare point l'un de l'autre par la pensée.

Le concret renferme donc toujours deux idées, celle du sujet, et celle de la propriété.

L

« PreviousContinue »