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Par tous ces exemples on peut observer : I. Qu'il ne faut point que l'hypallage aporte de l'obscurité ou de l'équivoque à la pensée. Il faut toujours qu'au travers du dérangement de construction, le fonds de la pensée puisse être aussi facilement démêlé, que si l'on se fût servi de l'arangement ordinaire. On ne doit parler que pour être entendu par ceux qui conoissent le génie d'une langue.

2. Ainsi quand la construction est équivoque, ou que les paroles expriment un sens contraire à ce que l'auteur a voulu dire; on doit convenir qu'il y a équivoque, que l'auteur a fait un contre-sens, et qu'en un mot il s'est mal exprimé. Les anciens étoient homes, et par conséquent sujets à faire des fautes come nous. Il y a de la petitesse et une sorte de fanatisme à recourir aux figures pour excuser des expressions qu'ils condaneroient eux-mêmes, et que leurs contemporains, ont souvent condânées. L'hypallage ne prête pas son nom aux contre-sens et aux équivoques; autrement tout seroit confondu, et cette figure deviendroit un asile pour l'erreur et pour l'obscurité.

3. L'hypallage ne se fait que quand on ne suit point dans les mots l'arangement établi dans une langue; mais il ne faut point juger de l'arangement et de la signification des mots d'une langue par l'usage établi en une autre langue pour exprimer la même pensée. Nous disons en français, je me repens, je m'aflige de ma faute: Je est le sujet de la proposition,

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c'est le nominatif du verbe : en latin on prend un autre tour, les termes de la proposition ont un autre arangement: je, devient le terme de l'action; ainsi, selon la destination des cas, je, se met à l'acusatif; le souvenir de ma faute m'aflige, m'afecte de repentir, tel est le tour latin, pœnitet me culpæ, c'est-à-dire, recordatio, ratio, respectus, vitium culpæ pœnitet me (1) Phèdre a dit (2), malis nequitiæ pour nequitiq; res cibi pour cibus. Voyez les observations que nous avons faites sur ce sujet dans la syntaxe.

Il n'y a donc point d'hypallage dans pœnitet me culpa, ni dans les autres façons de parler semblables je ne crois pas non plus, quoi qu'en disent les Comentateurs d'Horace, qu'il y ait une hypallage dans ces vers de l'Ode 17 du livre premier.

Velox amænum sæpè Lucretilem
Mutat Lycao Faunus.

C'est-à-dire, que Faune prend souvent en échange le Lucrétile pour le Lycée, il vient souvent habiter le Lucrétile (auprès de la maison de campagne d'Horace ), et quite pour cela le Lycée, sa demeure ordinaire. Tel est le sens d'Horace, come la suite de l'ode le done nécessairement à entendre. Ce sont les paroles du P. Sanadon, qui trouve dans cette

(1) L. III. f. 8. v. 15. (2) L. III. f. 7. v. 4.

façon de parler (1) une vraie hypallage ou un renversement de construction.

Mais il ne paroît pas que c'est juger du latin par le français, que de trouver une hypallage dans ces paroles d'Horace, Lucretilem mutat Lycao Faunus. On comence par atacher à mutare la même idée que nous atachons à notre verbe changer; doner ce qu'on a pour ce qu'on n'a pas; ensuite, sans avoir égard à la phrase latine, on traduit, Faune change le Lucrétile pour le Lycée et come cette expression signifie en français, que Faune passe du Lucrétile au Lycée, et non du Lycée au Lucrétile, ce qui est pourtant ce qu'on sait bien qu'Horace a voulu dire, on est obligé de recourir à l'hypallage pour sauver le contresens que le français seul présente. Mais le renversement de construction ne doit jamais renverser le sens, come je viens de le remarquer, c'est la phrase même, et non la suite du discours, qui doit faire entendre la pensée, si ce n'est dans toute son étendue, c'est au moins dans ce qu'elle présente d'abord à l'esprit de ceux qui savent la langue.

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sens ni

Jugeons donc du latin par le latin même et nous ne trouverons ici ni contre hypallage, nous ne verrons qu'une phrase latine fort ordinaire en prose et en vers.

On dit en latin donare munera alicui, doner

(1) Voyez les remarques du P. Sanadon, à l'occasion de Lucana mutet pascuis, vers 28, de l'Ode Ibis liburnis. Poésies d'Horace, tom. I. p. 175.

des présens à quelqu'un, et l'on dit aussi donare aliquem munere, gratifier quelqu'un d'un présent on dit également circumdare urbem mnibus, et circumdare monia urbi; de même, on se sert de mutare; soit pour doner, soit pour prendre une chose au lieu d'une autre,

Muto (1), disent les étymologiens, vient de motu; mutare quasi motare. L'ançiène manière d'acquérir ce qu'on n'avoit pas, se faisoit par des échanges; de- là muto signifie également acheter ou vendre, prendre ou doner quelque chose au lieu d'une autre, emo aut vendo, dit Martinius, et il cite Columelle, qui a dit porcus lactens aere mutandus est il faut acheter un cochon de lait.

Ainsi, mutat Lucretilem, signifie vient prendre, vient posséder, vient habiter le Lucrétile; il achète, pour ainsi dire, le Lucrétile par le Lycée.

M. Dacier, sur ce passage d'Horace, remarque qu'Horace parle souvent de même, et je suis bien, ajoute-t-il, que quelques historiens l'ont imité.

Lorsqu'Ovide fait dire à Médée qu'elle voudroit avoir acheté Jason pour toutes les richesses de l'univers, il se sert de mutare.

Quemque ego cum rebus quas totus possidet orbis
Asenidem mutasse velim (2).

Où vous voyez que come Horace, Ovide

(1) Mart. Lex. V. muto. (2) Met. 1. VII. v. 59.

emploie mutare dans le sens d'aquérir ce qu'on n'a pas, de prendre, d'acheter une chose en en donnant une autre (1). Le P. Sanadon remarque qu'Horace s'est souvent servi de mutare en ce sens, mutavit lugubre sagum punico (2), pour punicum sagum lugubri, mutet lucana calabris pascuis (3), pour calabra pascua lucanis mutat uvam strigili (4), pour strigilim uva.

L'usage de mutare aliquid aliquâ re dans le sens de prendre en échange, est trop fréquent pour être autre chose qu'une phrase latine, come donare aliquem aliquâ re, gratifier quelqu'un de quelque chose, et circumdare mania urbi, doner des murailles à une ville tout autour, c'est-à-dire, entourer une ville de murailles l'hypallage ne se met pas ainsi à tous

:

les tours.

X I X.

L'ONOMATOPÉE.

L'ONOMATOPÉE est une figure par laquelle un mot imite le son naturel de ce qu'il signifie. On réduit sous cette figure les mots for

(1) Tome I. p. 175. (2) L. V. Od. IX. 13) L. V. Od. I.

(4) L. II. Sat. VII. v. 110.

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