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Cicéron, dans l'oraison pour Marcellus, dit à César qu'on n'a jamais vu dans la ville son épée vuide du foureau, gladium vaginá vacuum in urbe non vidimus. Il ne s'agit pas du fonds de la pensée, qui est de faire entendre que César n'avoit exercé aucune cruauté dans la ville de Rome, il s'agit de la combinaison des paroles qui ne paroissent pas liées entre elles come elles le sont dans le langage ordinaire, car vacuus se dit plutôt du foureau que de l'épée.

Ovide comence ses métamorphoses par ces paroles :

In nova fert animus matatas dicere formas
Copora.

La construction est animus fert ad me dicere formas mutatas in nova corpora. Mon génie me porte à raconter les formes changées en de nouveaux corps: il étoit plus naturel de dire, à raconter les corps, c'est-à-dire, à parler des corps changés en de nouvelles formes.

Vous voyez que dans ces sortes d'expressions, les mots ne sont pas construits, ni combinés entr'eux, come ils le devroient être, selon la destination des terminaisons et la construction ordinaire. C'est cette transposition on changement de construction qu'on apèle Hypallage, mot grec qui signifie changement.

Cette figure est bien malheureuse : les Rhétheurs disent que c'est aux Grammairiens à en

parler (1), Grammaticorum potius schema est quam tropus, dit Vossius; et les Grammairiens, la renvoient aux Rhéteurs (2) l'hypallage, à vrai dire, n'est point une figure de Grammaire dit la nouvèle méthode de Port Royal. C'est une trope ou une figure d'élocution.

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Le changement qui se fait dans la construction des mots par cette figure, ne regarde pas leur signification, ainsi en ce sens cette figure n'est point un trope, et doit être mise dans la classe des idiotismes ou façons de parler particulières à la langue latine mais j'ai cru qu'il n'étoit pas inutile d'en faire mention parmi les tropes; le changement que l'hypallage fait dans la combinaison et dans la construction des mots, est une sorte de trope ou de conversion. Après tout, dans quelque rang qu'on juge à propos de placer l'hypallage, il est certain que c'est une figure très-remarquable.

Souvent la vivacité de l'imagination nous fait parler de manière, que quand nous venons ensuite à considérer de sang-froid l'arangement dans lequel nous avons construit les mots dont nous nous somes servis, nous trouvons que nous nous somes écartés de l'ordre naturel et de la manière dont les autres homes construisent les mots quand ils veulent exprimer la

(1) Inst. Orat. 1. IV. c. XIII. art. 12. (a) Des fig. de Const. ch. VI. p. 558.

même

même pensée ; c'est un manque d'exactitude dans les modernes, mais les langues anciennes autorisent souvent ces transpositions: ainsi dans les anciens la transposition dont nous parlons est une figure respectable qu'on apèle hypallage, c'est-à-dire, changement, transposition, ou renversement de construction. Le besoin d'une certaine mesure dans les vers, a souvent obligé les anciens poëtes d'avoir recours à ces façons de parler, il faut convenir qu'elles ont quelquefois de la grace, aussi les a-t-on élevées à la dignité d'expressions figurées; et en ceci les anciens l'emportent bien sur les modernes, à qui on ne fera pas de long-tems le même honeur.

Je vais ajouter encore ici quelques exemples de cette figure, pour la faire mieux conoître. Virgile fait dire à Didon:

Et cum frigida mors animâ seduxerit artus (1).

Après que la froide mort aura séparé de mon ame les membres de mon corps, il est plus ordinaire de dire aura séparé mon ame de mon corps le corps demeure, et l'ame le quitte, ainsi Servius et la plupart des comentateurs trouvent un hypallage dans ces paroles de Virgile.

Le même poëte parlant d'Enée et de la Sibylle qui conduisit ce héros dans les enfers, dit :

Ibant obscuri solâ sub nocte per umbram (2).

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Pour dire qu'ils marchoient tout seuls dans les ténèbres d'une nuit sombre. Servius et le P. de la Rue disent que c'est ici une hypallage, pour ibant soli sub obscurâ nocte.

Horace a dit :

Pocula lethæos ut si ducentia somnos
Traxerim (1).

Come si j'avois bu les eaux qui amènent le someil du fleuve Lethé. Il étoit plus naturel de dire pocula Lethea, les eaux du fleuve Léthé. Virgile a dit qu'Enée ralume des feux presque éteints.

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Il n'y a point là d'hypallage, car sopitos, selon la construction ordinaire, se raporte à ignes: mais quand pour dire qu'Enée ralume sur l'autel d'Hercule le feu presque éteint, Virgile s'exprime

en ces termes :

Excitat (3).

Herculeis sopitas ignibus aras

Alors il y a une hypallage; car selon la combinaison ordinaire, il auroit dit, excitat ignes sopitos in aris Herculeis, id est, Herculi sacris.

Au livre XII, pour dire, si au contraire Mars fait tourner la victoire de notre côté, il s'expríme

en ces termes :

(1) Hor. 1. V. od. XIV. v. 3.

(2) Æn. 1. V. v. 743.

(3) Æn. 1. VIII. v. $43.

Sin nostram annuerit nobis victoria Martem (1).

Ce qui est une hypallage (2), selon Servius. Hypallage: pro sin noster Mars annuerit nobis victoriam nam Martem victoria comitatur.

On peut aussi regarder come une sorte d'hypallage, cette façon de parler selon laquelle on remarque par un adjectif, une circonstance qui est ordinairement exprimée par un adverbe : c'est ainsi qu'au lieu de dire qu'Enée envoya promptement Achate, Virgile dit :

Ascanio (3)

Rapidum ad naves præmittit Achaten,,

Rapidum est pour promptement, en diligence. Age diversas, c'est-à-dire, chassez-les cà et là (4).

Jamque ascendebant collem qui plurimus urbi immi-. net (5).

Plurimus, c'est-à-dire, en long, une coline qui domine, qui règne tout le long de la ville.

Medius, summus, infimus, sont souvent employés en latin dans un sens que nous rendons des adverbes, et de même nullus pour non; memini (6), tametsi nullus moneas pour

par

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(5) Æn. l. I. v. 423.

(6) Ter, Eun. Act. II. sc. I. v. 10.

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