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Madame Dacier comence le XVII, livre de l'Odyssée d'Homère par ce vers :

Dès que la belle aurore eut annoncé le jour.

Et ailleurs elle dit : (1) « La brillante Aurore "sortoit à peine du sein de l'Océan, pour " anoncer aux Dieux et aux homes le retour » du soleil. »

Pour dire que le jour finit, qu'il est tard, advesperascit, Virgile dit qu'on voit déjà fumer de loin les cheminées, que déjà les embres s'alongent et semblent tomber des montagnes.

Et jam summa procul villarum culmina fumant ̧
Majoresque cadunt altis de montibus umbræ (2).

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Les ombres cependant sur la ville épandues

Du faîte des maisons descendent dans les rues (3)•

On pourra remarquer un plus grand nombre d'exemples pareils dans les auteurs. Je me contenterai d'observer ici qu'on ne doit se servir de périphrases que quand elles rendent le discours plus noble ou plus vif par le secours des images. Il faut éviter les périphrases qui

(1) Iliade, 1. XIX.

(2) Ecl. I. v. 83.
(3) Lutrin, ch. II,

ne présentent rien de nouveau, qui n'ajoutent aucune idée accessoire, elles ne servent qu'à rendre le discours languissant: si après avoir dit d'un home accablé de remords, qu'il est toujours triste; vons vous servez de quelque périphrase qui ne dise autre chose, sinon que eet home est toujours sombre, rêveur, mélancolique et de mauvaise humeur, vous ne rendrez guère votre discours plus vif par de telles expressions. M. Boileau, sur un sujet pareil, a fait d'après Horace une espèce de périphrase, qui tire tout son prix de la peinture dont elle ocupe l'imagination du lecteur.

Ce fou rempli d'erreurs que le trouble acompagne (1): Et malade à la ville ainsi qu'à la campagne

En vain monte à cheval pour tromper son ennui (2); Le chagrin monte en croupe et galope avec lui.

Le même poëte, au lieu de dire, pendant que je suis encore jeune, se sert de trois périphrases qui expriment cette même pensée sous trois. images diférentes.

Tandis que libre encor, malgré les destinées,

Mon corps n'est point courbé sous le faix des années ; Qu'on ne voit point mes pas sous l'âge chanceler, Et qu'il reste à la Parque encor de quoi filer (3).

(1) Ep. V.

(2) Post equitem sedet atra cura. Hor. 1. III. od. I¿ v. 40.

(3) Sat. I.

On doit aussi éviter les périphrases obscures et trop enflées. Celles qui ne servent ni à la clarté, ni à l'ornement du discours, sont défectueuses. C'est une inutilité désagréable qu'une périphrase à la suite d'une pensée vive, claire, solide et noble. L'esprit qui a été frapé d'une pensée bien exprimée, n'aime point à la retrouver sous d'autres formes moins agréables, qui ne lui aprènent rien de nouveau, ou rien qui l'intéresse. Après que le père des trois Horaces, dans l'exemple que j'ai déjà raporté, a dit qu'il mourut, il devoit en demeurer là, et ne pas ajouter :

Ou qu'un beau désespoir enfin le secourût.

Marot, dans une de ses plus belles épitres, raconte agréablement au roi François Ier le malheur qu'il a eu d'avoir été volé par son valet, qui lui avoit pris son argent, ses habits, et son cheval; ensuite il dit :

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N'est pour vous faire ou requête ou demande :
Je ne veux point tant de gens ressembler,

Qui n'ont souci autre que d'assembler ;
Tant qu'ils vivront ils demanderont, eux :
Mais je comence à devenir honteux,
Et ne veux point à vos dons m'arêter.
Je ne dis pas, si voulez rien prêter,
Que ne le prène : il n'est point de prêteur,
S'il veut prêter, qui ne fasse un debteur.

Et savez-vous, Sire, come je paie ?

Nul ne le sait si premier ne l'essaie.
Vous me devrez, si je puis, de retour;
Et vous ferai encore, un bon tour;
A celle fia qu'il n'y ait faute nulle.
Je vous ferai une belle cédule,

A vous payer, sans usure il s'entend,
Quand on verra tout le monde content;
Ou si voulez, à payer ce fera,
Quand votre loz et renom cessera.

Voilà où le génie conduisit Marot, et voilà où l'art devoit le faire arrêter ce qu'il dit ensuite que les deux princes Lorains le plaige

ront et encore :

Avisez donc, si vous avez désir

De rien prêter, vous me ferez plaisir ;

Tout cela, dis-je, n'ajoute plus rien à la pensée ; c'est ce que Cicéron apèle verborum vel optimorum atque ornatissimorum sonitus inanis (1) Que s'il y avoit quelque chose de plus à dire, ce sont les douze derniers vers qui font un nouveau sens, et ne sont plus une périphrase qui regarde l'emprunt.

Voilà le point principal de ma lettre,

Vous savez tout, il n'y faut plus rien mettre.

Rien mettre las Certes, et si ferai,

En ce faisant mon style j'enflerai,

(1) Cic. de Orat. 1. I. n. VII. aliter. 51.

Disant, ô Roi amoureux des neuf Muses,
Roi, en qui sont leurs sciences infuses,
Roi, plus que Mars, d'honeurs environé,
Roi, le plus Roi qui fut onc couronné ;
Dieu tout puissant te doint, pour t'estréner,
Les quatre coins du monde à gouverner "
Tant pour le bien de la ronde machine,
Que pour autant que sur tous en es digne.

4. On se sert de périphrase par nécessité, quand il s'agit de traduire, et que la langue du traducteur n'a point d'expression propre qui réponde à la langue originale : par exemple, pour exprimer en latin une péruque, il faut dire coma adscititia, une chevelure empruntée, des cheveux qu'on s'est ajustés. Il y a en latin des verbes qui n'ont point de supin, et par conséquent point de participe; ainsi au lieu de s'exprimer par le participe, on est obligé de recourir à la périphrase fore ut, esse futurum ut ; j'en ai doné plusieurs exemples dans la syntaxe.

X VIII.

L'HY PALLAGE.

VIRGILE, pour dire mettre à la voile, a dit (1), dare classibus austros: l'ordre naturel demandoit qu'il dit plutôt, dare classes austris. (1) Æneidos.

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