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ore; et de garder plutôt le silence, que de prononcer quelque mot funeste qui pût déplaire aux Dieux et c'est de-là que favete linguis, signifie par extension, faites silence.

Par la même raison, ou plutôt par le même fanatisme, lorsqu'un oiseau avoit été de bon augure, et que ce qu'on devoit atendre de eet heureux présage, étoit détruit par un augure contraire; ce second augure ne s'apeloit point mauvais augure, mais simplement l'autre augure (1), ou l'autre oiseau. C'est pourquoi, dit Festus, ce terme alter, veut dire quelquefois contraire, mauvais.

Il y avoit des mots consacrés pour les sacrifices, dont le sens propre et litéral étoit bien diférent de ce qu'ils signifioient dans les cérémonies superstitieuses; par exemple: mactare, qui veut dire magis auctare, augmenter davantage, se disoit des victimes qu'on sacrifioit. On n'avoit garde de se servir alors d'un mot qui pût faire naître l'idée funeste de la mort; on se servoit par euphémisme, de mactare, augmenter; soit que les victimes augmentassent alors en honeur, soit que leur volume fut grossi par les ornemens dont on les paroit; soit enfin que le sacrifice augmentât en quelque sorte l'honeur qu'on rendoit aux

(1) Alter, et pro non bono ponitur, ut in auguriis, altera cum appellatur avis quæ utique prospera non est ; sic alter nonnunquàm pro adverso dicitur et malo.

Festus, V. alter.

Dieux. Nous avons sur ce point un beau passage de Varron, que l'on peut voir ici au bas de la page (1).

De même, parce que cremari, être brûlé, auroit été un mot de mauvais augure, et que l'autel croissoit, pour ainsi dire, par les herbes, par les entrailles des victimes, et par-tout ce qu'on mettoit dessus pour être brûlé (2); au lieu de dire on brûle sur les autels, ils disoient, les autels croissent, car adolere et adolescere, signifient proprement croître; et ce n'est que par euphémisme que ces mots signifient brûler.

C'est ainsi que les persones du peuple disent quelquefois dans leur colère, que le bon Dieu vous emporte, n'osant prononcer le nom du malin esprit.

Dans l'Ecriture-Sainte, le mot de bénir est mis quelquefois au lieu de maudire, qui est

(1) Mactare, verbum et sacrorum kat'euphemismon dictum, quasi magis augere, ut adolere; undè et magmentum quasi majus augmentum : nam hostiæ tanguntur molâ salsa, et tum immolatæ dicuntur; cum verò ictæ sunt et aliquid ex illis in aram datum est, mactate dicuntur per laudationem, iteinque boni omnis significationem. Et cum illis mola salsa imponitur, dicitur, macte esto. Varro, de vitâ Pop. Rom. 1. II. dans les fragmens qui sont à la fin des œuvres de Varron, de l'édition de J. Janson, Amst. 1723. p. 63.

(2) Adolescunt ignibus aræ. Virg. Georg. IV. v. 379

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précisément le contraire. Come il n'y a rien de plus afreux à concevoir, que d'imaginer quelqu'un qui s'emporte jusqu'à des imprécations sacrilèges contre Dieu même; au lieu du terme de maudire, on a mis le contraire par euphémisme.

Naboth n'ayant pas voulu vendre au roi Achab, une vigne qu'il possédoit, et qui étoit l'héritage de ses pères; la reine Jézabel, femme d'Achab, suscita deux faux témoins, qui déposèrent que Naboth avoit blasphêmé contreDieu et contre le Roi: or, l'Ecriture, pour exprimer ce blasphême, fait dire aux témoins, que Naboth a béni Dieu et le Roi (1).

Job dit dans le même sens, peut-être que mes enfans ont péché, et qu'ils ont béni Dieu dans leur cœur (2).

C'est ainsi que dans ces paroles de Virgile (3), auri sacra fames, sacra se prend pour execrabilis, selon Servius, soit par euphémisme, soit par extension : car il est à observer que souvent par extension, sacer vouloit dire exécrable. Ceux que la justice humaine avoit condânés , et ceux qui se dévouoient pour le

(1) Viri diabolici dixerunt contra eum testimonium corain maltitudine; benedixit Naboth Deuin et Regem.

Reg. III. c. XXI. v. 10 et 13.

(2) Ne fortè peccaverint filii mei et benedixerint Deg in cordibus suis. Job. I. v. 5.

(3) En. 1. III. v. 57.

peuple, étoient regardés come autant de persones sacrées. De-là, dit Festus (1) tout méchant home est apelé sacer. O le maudit boufon, dit Afranius, en se servant de saerum (2) O sacrum scurram, et malum. Et Plaute, parlant d'un marchand d'esclaves, s'exprime en ces termes, Homini ( si leno est homo) quantum hominum terra sustinet, sacerrimo.

On peut encore raporter à l'euphémisme ces périphrases ou circonlocutions, dont un orateur délicat enveloppe habilement une idée ? qui, toute simple, exciteroit peut-être dans l'esprit de ceux à qui il parle, une image ou des sentimens peu favorables à son dessein principal. Cicéron n'a garde de dire au Sénat que les domestiques de Milon tuèrent Clodius (1);

ex.

(1) Homo sacer is est quem populus judicavit ob maleficium, neque fas est eum immolari. quo quivis homo, malus atq e improbus, sacer appellari solet. Festus, v. sacer.

Massilienses, quoties pestilentia laborabant, unus se ex pauperibus offerebat, alendus anno integro publicis et purioribus cibis. Hic posteà, ornatus verbenis et vestibus sacris, circunducebatur per totam civitatem, cum execrationibus; ut in ipsum reciderent mala totius civitatis; et sic projiciebatur. Servius, in Æn. III. v. 57.

(2) Fragm. Vet. Poët. Lond. 1713. p. 1512, Plaut. Pon. Prolog. v. 90.

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(3) Fecerint id servi Milonis ::. quod suos quisque servos in tali re facere voluisset. Cic. pro Milone, Ruin. 29.

ils firent, dit-il, ce que tout maître eût voulu que ses esclaves eussent fait en pareille ocasion ». De même, lorsqu'on ne done pas à un mercenaire tout l'argent qu'il demande, au lieu de lui dire, je ne veux pas vous en doner davantage, souvent on lui dit par euphémisme, je vous en donerai davantage une autre fois; cela se trouvera : je chercherai les ocasions de vous récompenser, etc.

X V I.

L'ANTI PHRASE.

:

L'EUPHEMISME et l'Ironie ont doné lieu aux Grammairiens d'inventer une figure qu'ils apèlent Antiphrase, c'est-à-dire, contrevérité; par exemple la Mer noire sujète à des fréquens naufrages, et dont les bords étoient habités par des homes extrêmement féroces, étoit apelée Pont-Euxin, c'est-à-dire, mer favorable à ses hôtes, mer hospitalière. C'est pourquoi Ovide a dit que le nom de cette mer étoit menteur.

Quem tenet Euxini, mendax cognomine littus (1).
Et ailleurs: Pontus Euxini falso nomine dictus (2).

(1) Ovid. Trist. 1. V. Eleg. X. v. 13.

(2) Idem. 1. III. Eleg. XIII. v. ult.

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