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mon fils? Il répondit, rectè mater. Tout va bien ma mère. Madame Dacier traduit, rien ma mère; tel est le tour français.

Dans une autre comédie de Térence, Clitiphon dit que quand sa maîtresse lui demande. de l'argent, il se tire d'affaire en lui répondant rectè, c'est-à-dire, en lui donnant de belles espérances: car, dit-il, je n'oserois lui avouer que je n'ai rien : le mot de rien est un mot funeste.

Madame Dacier a mieux aimé traduire, lorsqu'elle me demande de l'argent, je ne fais que marmoter entre les dents; car je n'ai garde de lui dire que je n'ai pas

le sou.

Si Madame Dacier eût été plus entendue qu'elle ne l'étoit en galanterie, elle auroit bien senti que marmoter entre les dents, n'étoit pas une contenance trop propre à faire naître dans une coquète l'espérance d'un présent.

Il y avoit toujours un verbe sous-entendu avec rectè. Rectè admones (1). Ego istæc rectè ut fiant videro (2). Rectè suades (3), etc.

A l'égard du rectè de la II. scène du III. acte de l'Hécyre, il faut sous-entendre ou valeo, rectè valeo, ou rectè mihi consulo, ou eafin quelqu'autre mot pareil, come res benè se habet, etc. Pamphile vouloit exciter cette

(1) Andr. act. V. sc. IV. v. 50. (2) Ibid. act. II. sc. VI. v. 25.

(3) Heaut. act. V. sc. II. v. 43.

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idée dans l'esprit de sa mère pour en éluder la demande.

Pour ce qui est de l'autre rectè (1), Clitiphon vouloit faire entendre à sa maîtresse, qu'il avoit des ressources pour lui trouver de l'argent; que tout iroit bien, et que ses désirs seroient satisfaits.

Ainsi, quoique madame Dacier nous dise (2) que nous n'avons point de mot en notre langue, qui puisse exprimer la force de ce recte, je crois qu'il répond à ces façons de parler, cela va bien, cela ne va pas si mal que vous pensez; courage, il y a espérance, cela est bon; tout ira bien etc. ce sont là autant d'euphé

mismes,

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Dans toutes les nations policées, cn a toujours évité les termes qui expriment des idées deshonêtes. Les persones peu instruites croient que les Latins n'avoient pas cette délicatesse : c'est une erreur. Il est vrai qu'aujourd'hui on a quelquefois recours au latin pour exprimer des idées dont on n'oseroit dire le mot propre en français mais c'est que come nous n'avons apris les mots latins que dans les livres, ils se présentent à nous avec une idée accessoire d'érudition et de lecture, qui s'empare d'abord de l'imagination; elle la partage, elle enve

(1) Heaut. act. I. sc. I,

(2) Dans les remarques sur la sc. II. du III, acte de l'Hécyre.

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lope, en quelque sorte, l'image déshonête elle l'écarte, et ne la fait voir que de loin: ce sont deux objets que l'on présente alors à l'imagination, dont le premier est le mot latin qui couvre l'idée qui le suit; ainsi ces mots servent come de voile et de périphrase à ces idées peu honêtes : au lieu que come nous somes accoutumés aux mots de notre langue, l'esprit n'est pas partagé. Quand on se sert des termes propres, il s'occupe directement des objets que ces termes signifient. Il en étoit de même à l'égard des Grecs et des Romains, les honêtes gens ménageoient les termes come nous les ménageons en français, et leur scrupule aloit même quelquefois si loin, qu'ils évitoient la rencontre des syllabes, qui, jointes ensemble, auroient pu réveiller des idées déshonêtes (1). Quia si ita diceretur, obscanitùs concurrerent litteræ, dit Cicéron (2); et Quintilien a fait la même remarque.

"Ne devrois-tu point mourir de honte, dit » Chrémès à son fils (3), d'avoir eu l'inso

(1) Orat. n. 154. aliter XLV.

(2) Inst. Orat. VIII. c. III.

(3) Non mihi per fallacias adducere ante oculos... pudet dicere hâc presente verbum turpe; at te id nullo modo puduit facere. Heaut. act. V. sc. IV. v. 18.

Ego servo et servabo Platonis verecundiam. Itaque tectis verbis, ea ad te scripsi, quæ apertissimis agunt Stoici. Illi etiam crepitus aiunt æquè liberos, ac rucesse oportere. Cic. 1. IX. Epist. 22.

tus

"lence d'amener à mes yeux,

dans ma propre

» maison, une...: je n'ose prononcer un mot » déshonête en présence de ta mère, et tu as » bien osé comettre une action infâme dans »notre propre maison !

C'étoit par la même figure qu'au lieu de dire, je vous abandone, je ne me mets point en peine de vous, je vous quitte, les Anciens disoient souvent, vivez, portez-vous bien. Vivez foréts (1) cette expression, dans l'endroit où Virgile s'en est servi, ne marque pas un souhait que le berger fasse aux forêts, il veut dire simplement qu'il les abandone.

Ils disoient aussi quelquefois, avoir vécu, avoir été, s'en être alé, avoir passé par la vie, [vità functus ] (2), au lieu de dire être

Equè eadem modestia, potlus cum muliere fuisse, quam concubuisse, dicebant. Varro de ling. lat. 1. v. sub fin.

Mos fuit, res turpes er fœdas prolatu, honestiorum convestirier dignitate. Amob. 1. V.

(1) Omnia vel medium fiant mare vivite, sylvæ.

Virg. Ec. VII. v. 58.

Valeant

Qui inter nos dissidium volunt; Ter. And.. act. IV. sc. II. v. 13.

Castra peto valeatque Venus, valeantque puellæ.

Tibull. 1. II. El, 6. v. 9:

(2) Fungi, fungor, signifie passer par, dans un sens métaphorique être délivré de, s'être acquitté de.

mort; le terme de mourir leur paroissoit en certaines ocasions un mot funeste.

Les Anciens portoient la superstition jusqu'à croire qu'il y avoit des mots, dont la seule prononciation pouvoit atirer quelque malheur : come si les paroles, qui ne sont qu'un air mis en mouvement, pouvoient produire, par ellesmêmes, quelqu'autre éfet dans la nature, que celui d'exciter dans l'air un ébranlement, qui, se comuniquant à l'organe de l'ouïe, fait naître dans l'esprit des homes les idées dont ils sont convenus par l'éducation qu'ils ont reçue.

Cette superstition paroissoit encore plus dans les cérémonies de la religion on craignoit de doner aux Dieux quelque nom qui leur fut désagréable. On étoit averti (1) au comencement du sacrifice ou de la cérémonie, de prendre garde de prononcer aucun mot qui pût atirer quelque malheur, de ne dire que de bones paroles, bona verba fari, enfin d'être favorable de la langue, favete linguis ou lingud, ou

(1) Malè ominatis parcite verbis, ou selon d'autres malè nominatis. Hor. 1. III. od. 14.

Favete linguis. Hor. 1. III. od. 1.

Ore favete omnes. Virg. Æn. 1. V. v. 71.
Dicamus bona verba, venit natalis, ad aras.
Quisquis ades, linguâ, vir mulierque fave.

Tibul. 1. II. El. II. v. 1:

Prospera lux oritur, linguisque animisque favete

Nunc discenda bono, sunt bona verba, die.

Ovid. Fast. 1. I. v. 71.

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