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ses enfans, voilà ses brebis; le chien dont elle parle, c'est son mari qu'elle avoit perdu; le Dieu Pan, c'est le Roi.

Cet exemple fait voir combien est peu juste la remarque de M. Dacier, qui prétend qu'une allégorie qui rempliroit toute une pièce est un monstre (1); et qu'ainsi l'Ode 14 du premier livre d'Horace, O navis referent, etc. n'est point allégorique, quoiqu'en ait cru Quintilien (2) et les Comentateurs. Nous avons des pièces entières toutes allégoriques. On peut voir dans l'oraison de Cicéron contre Pison (3), un exemple de l'allégorie, où, come Horace, Cicéron compare la République Romaine à un vaisseau agité par la tempête.

L'allégorie est fort en usage dans les proverbes. Les proverbes allégoriques ont d'abord un sens propre qui est vrai, mais qui n'est pas ce qu'on veut principalement faire entendre on dit familièrement, tant va la 'cruche

Dacier, Euvres d'Horace, tome I. p. 211, troisième édition, 1709.

(2) Quint. 1. VIII. v. 6. alleg.

(3) Neque tam fui timidus, ut qui in maximis turbinibus ac fluctibus Reipublicæ navem gubernassem; salvamque in portu collocassem; frontis tuæ nubeculam, tum collegæ tui contaminatum spiritum pertimescerem. Alios ego vidi ventos, alias prospexi animo procellas : aliis impendentibus non cessi, sed his unum ine pro omnum salute obtuli. Cic. in Pis. n. 9. aliter, 20

et 21.

à l'eau, qu'à la fin elle se brise; c'est-à-dire, que quand on afronte trop souvent les dangers, à la fin on y périt; ou que, quand on s'expose fréquement aux ocasions de pécher, on finit par y sucomber.

Les fictions que l'on débite come des histoires pour en tirer quelque moralité, sont des allégories qu'on apèle apologues, paraboles ou fables morales; tels que sont les fables d'Esope. Ce fut. par un apologue que Ménénius Agrippa rapela autrefois la populace Romaine, qui, mécontente du sénat, s'étoit retirée sur une montagne. Ce que ni l'autorité des lois, ni la dignité des magistrats Romains n'avoient pu faire, se fit par les charmes de l'apologue.

Souvent les anciens ont expliqué par une histoire fabuleuse les effets naturels dont ils ignoroient les causes; et dans la suite on a doné des sens allégoriques à ces histoires.

Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonerre (1),
C'est Jupiter armé pour éfrayer la terre;
Un orage terrible aux yeux des matelots,
C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots;
Echo n'est plus un son qni dans l'air retentisse,
C'est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.

Cette manière de philosopher flate l'imagination elle amuse le peuple, qui aime le merveilleux, et elle est bien plus facile que les

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(1) Boileau, Art Poét. chant III.

recherches exactes que l'esprit méthodique a introduites dans ces derniers tems. Les amateurs de la simple vérité aiment bien mieux avouer qu'ils ignorent, que de fixer ainsi leur esprit à des illusions.

Les chercheurs de la pierre philosophale s'expriment aussi par allégorie dans leurs livres ; ce qui done à ces livres un air de mystère et de profondeur, que la simplicité de la vérité ne pouroit jamais leur concilier. Ainsi ils couvrent sous les voiles mystérieux de l'allégorie, les uns leur fourberie, et les autres leur fanatisme, je veux dire, leur fole persuasion. En éfet, la nature n'a qu'une voie dans ses opérations; voie unique que l'art peut contrefaire à la vérité, mais qu'il ne peut jamais imiter parfaitement. Il est aussi impossible de faire de l'or par un moyen diférent de celui dont la nature se sert pour faire l'or, qu'il est impossible de faire un grain de blé d'une manière différente que celle qu'elle emploie pour produire le blé.

Le terme de matière générale n'est qu'une idée abstraite qui n'exprime rien de réel, c'està-dire, rien qui existe hors de notre imagination. Il n'y a point dans la nature une matière générale dont l'art puisse faire tout ce qu'il veut c'est ainsi qu'il n'y a point une blancheur générale d'où l'on puisse former des objets blancs. C'est des divers objets blancs qu'est venue l'idée de blancheur, come nous l'expli

querons dans la suite; et c'est des divers corps particuliers dont nous somes afectés en tant de manières diférentes, que s'est formée en nous l'idée abstraite de matière générale. C'est passer de l'ordre idéal à l'ordre physique, que d'imaginer un autre systême.

Les énigmes sont aussi une espèce d'allégorie nous en avons de fort belles en vers français. L'énigme est un discours qui ne fait point conoître l'objet à quoi il convient, et c'est cet objet qu'on propose à deviner. Ce discours ne doit point renfermer de circonstance qui ne convièné pas au mot de l'énigme.

Observez que l'énigme cache avec soin ce qui peut la dévoiler, mais les autres espèces d'allégories ne doivent point être des énigmes, elles. doivent être exprimées de manière qu'on puisse aisément en faire l'application.

X II I.

L'ALLUSION.

LES allusions (1) et les jeux de mots ont encore du raport avec l'allégorie : l'allégorie présente un sens, et en fait entendre un autre : c'est ce qui arive aussi dans les allusions, et dans la plupart des jeux de mots, rei alterius

(1) Alludere R. ad, et ludere.

ex alterâ notatio. On fait allusion à l'histoire, à la fable, aux coutumes, et quelquefois même on joue sur les mots.

Ton Roi, jeune Biron, te sauve enfin la vie ;
Il t'arache sanglant aux fureurs des soldats,
Dont les coups redoublés achevoient ton trépas;
Tu vis; songe du moins à lui rester fidèle (1).

Ce dernier vers fait allusion à la malheureuse conspiration du maréchal de Biron; il en rapèle le souvenir.

Voiture étoit fils d'un marchand de vin : un jour qu'il jouoit au proverbe avec des dames, madame des Loges lui dit (2), celui-là ne vaut rien, percez-nous en d'un autre. On voit que cette dame fesoit une maligne allusion aux toneaux de vin car percer, se dit d'un toneau, et non pas d'un proverbe; ainsi elle réveilloit malicieusement dans l'esprit de l'assemblée le souvenir humiliant de la naissance de Voiture. C'est en cela que consiste l'allusion; elle réveille les idées accessoires.

A l'égard des allusions qui ne consistent que dans un jeu de mots, il vaut mieux parler et écrire simplement, que s'amuser à des jeux de mots puérils, froids et fades: en voici un exemple dans cette épitaphe de Despautère :

Grammaticam scivit, multos docuitque per annos;
Declinare tamen non potuit tumulum.

(1) Henriade, chant 7.

(2) Hist de l'Acad. tome I. p. 277.

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