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Remarques sur le mauvais usage des
Métaphores.

LES métaphores sont défectueuses

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1. Quand elles sont tirées de sujets bas Le P. de Colonia reproche à Tertullien d'avoir dit que le déluge universel fut la lessive de la nature (1).

2. Quand elles sont forcées, prises de loin, et que le raport n'est point assez naturel, ni la comparaison assez sensible; come quand Théophile a dit: Je baignerai mes mains dans les ondes de tes cheveux et dans un autre endroit, il dit que la charue écorche la plaine. "Théophile, dit M. de la Bruyère (2), charge »ses descriptions, s'apesantit sur les détails; le vrai dans la nature, il exagère, il passe » il en fait le roman. ››

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On peut raporter à la même espèce les métaphores qui sont tirés de sujets peu conus.

3. Il faut aussi avoir égard aux convenances des diférens styles; il y a des métaphores qui conviènent au style poétique, qui seroient déplacées dans le style oratoire. Boilean a dit :

Acourez troupe savante (3);

Des sons que ma lyre enfante..
Ces arbres sont réjouis.

(1) Ignobilitatis vitio laborare videtur celebris illa Tertulliani metaphora, quâ diluvium appellat natura generale lixivium. De arte Rhet. p. 148,

(2) Caract. des ouvrages de l'esprit.

(3) Ode sur la prise de Namur,

On ne diroit pas en prose, qu'une lyre enfante des sons. Cette observation a lieu aussi à l'égard des autres tropes; par exemple : Lumen, dans le sens propre, signifie lumière : les Poëtes latins ont donné ce nom à l'œil par métonymie, les yeux sont l'organe de la lumière, et sont, pour ainsi dire, le flambeau de notre corps (1). Un jeune garçon fort aimable étoit borgne; il avoit une sœur fort belle qui avoit le même défaut; on leur apliqua ce distique, qui fut fait à une autre ocasion sous le règne de Philippe II, roi d'Espagne.

Parve puer,
lumen quod habes concede sorori :
Sic tu cocus Amor, sic erit illa Venus.

Où vous voyez que lumen signifie l'ail; il n'y a rien de si ordinaire dans les Poëtes latins, que de trouver lumina pour les yeux; mais ce mot ne se prend point en ce sens dans la prose.

4. On peut quelquefois adoucir une métaphore, en la changeant en comparaison, ou bien en ajoutant quelque corectif : par exemple, en disant, pour ainsi dire, si l'on peut parler ainsi, etc. « L'art doit être, pour ainsi dire 9 »enté sur la nature; la nature soutient l'art » et lui sert de base; et l'art embélit et per"fectione la nature. »

(1) Lucerna corporis tui est oculus tuus. Luc. c. XI. v. 34.

5. Lorsqu'il y a plusieurs métaphores de suite, il n'est pas toujours nécessaire qu'elles soient tirées exactement du même sujet, come on vient de le voir dans l'exemple précédent : enté est pris de la culture des arbres, soutien, base, sont pris de l'architecture; mais il ne faut pas qu'on les prène de sujets oposés; ni que les termes métaphoriques dont l'un est dit de l'autre, excitent des idées qui ne puissent point être liées, come si l'on disoit d'un orateur, c'est un torrent qui s'alume, au lieu de On a dire, c'est un torrent qui entraîne (1). reproché à Malherbe d'avoir dit :

Prens ta foudre Louis et va comme un lion. Il faloit plutôt dire come Jupiter.

Dans les premières éditions du Cid, mène disoit :

Chi

Malgré des feux st beaux qui rompent ma colère. Feux et rompent ne vont point ensemble: c'est une observation de l'Académie sur les vers du Cid. Dans les éditions suivantes on a mis troublent au lieu de rompent; je ne sais si cette corection répare la première faute.

Écorce, dans le sens propre, est la partie extérieure des arbres et des fruits, c'est leur couverture: ce mot se dit fort bien dans un sens méthaphorique, pour marquer les dehors, l'aparence des choses; ainsi l'on dit que les ignorans

(1) Malk. 1. II. Voy. les observations de Ménage, sur les poésies de Malherbe, Act. III. sc. 4.

s'arêtent à l'écorce, qu'ils s'atachent, qu'ils s'amusent à l'écorce. Remarquez que tous ces verbes s'arétent, s'atachent, s'amusent, conviènent fort bien avec écorce pris au propre; mais vous ne diriez pas au propre, fondre l'écorce: fondre se dit de la glace ou du métal, vous ne devez donc pas dire au figuré fondre l'écorce. J'avoue que cette expression me paroît trop hardie dans une ode de Rousseau. Pour dire que l'hiver est passé, et que les glaces sont fondues, il s'exprime de cette sorte:

L'hiver qui si long-temps a fait blanchir nos plaines,
N'enchaîne plus le cours des paisibles ruisseaux ;
Et les jeunes zéphirs, de leurs chaudes haleines,
Ont fondu l'écorce des eaux. (1)

6. Chaque langue a des métaphores particulières qui ne sont point en usage dans les autres langues; par exemple : les Latins disoient d'une armée dextrum et sinistrum cornu, et nous disons l'aile droite et l'alle gauche.

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Il est si vrai que chaque langue à ses métaphores propres et consacrées par l'usage, que si vous en changez les termes par les équivalens même qui en aprochent le plus, vous vous rendez ridicule.

Un étranger, qui depuis devenu un de nos citoyens, s'est rendu célèbre par ses ouvrages, écrivant dans le premier tems de son arivée en France, à son protecteur, lui disoit, Mon(1) Liv. III. Ode 6.

seigneur, vous avez pour moi des boyaux de père; il vouloit dire des entrailles.

On dit mettre la lumière sous le boisseau, pour dire cacher ses talens, les rendre inutiles; l'auteur du poëme de la Madeleine (1) ne devoit donc pas dire, mettre le flambeau sous le mui.

X I.

LA SYLLE PSE ORATOIRE.

LA Syllepse oratoire est une espèce de métaphore ou de comparaison, par laquelle un même mot est pris en deux sens dans la même phrase, l'un au propre, l'autre au figuré; par exemple, Corydon dit que Galathée est pour lui plus douce que le thym du mont Hybla (2); ainsi parle ce berger dans une éclogue de Virgile le mot doux est au propre par raport au thym, et il est au figuré par raport à l'impression que ce berger dit que Galathée fait sur lui. Virgile fait dire ensuite à un autre berger, et moi quoique je paroisse à Galathée

(1) Poëme de la Madeleine, 1. VII , P. 117.

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Galathea thymo mihi dulcior Hyblæ.
Virg. Ecl. VII, v. 37.

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