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"Cette figure est la ressource des petits esprits » qui écrivent pour le bas peuple.

Juvénal élevé dans les cris de l'école,

Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole (1).

Mais quand on a du génie et de l'usage » du monde, on ne se sent guère de goût pour » ces sortes de pensées fausses et outrées ».

I X.

L'HY POTY POSE.

L'HYPOTYPOSE est un mot grec qui signifie image, tableau. C'est lorsque dans les descriptions on peint les faits dont on parle, come si ce qu'on dit étoit actuèlement devant les yeux; on montre, pour ainsi dire, ce qu'on ne fait que raconter; on done en quelque sorte l'original pour la copie, les objets pour les tableaux vous en trouverez un bel exemple dans le récit de la mort d'Hippolyte..

Cependant sur le dos de la plaine liquide,
S'élève à gros bouillons une montagne humide
L'onde aproche, se brise, et yomit à nos yeux
Parmi les flots d'écume, un monstre furieux ;
Son front large est armé de cornes menaçantes
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes

(1) Boil. Art. poétique, chant. 4.

Indomtable taureau, dragon impétueux,

Sa croupe se recourbe en replis tortueux :
Ses longs mugissemens font trembler le rivage;
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s'en émeut, l'air en est infecté,
Le flot qui l'aporta recule épouvanté (1).

Ce dernier vers a paru afecté; on a dit que les flots de la mer aloient et venoient sans le motif de l'épouvante, et que dans une ocasion aussi triste que celle de la mort d'un fils, il ne convenoit point de badiner avec une fiction aussi' peu naturèle. Il est vrai que nous avons plusieurs exemples d'une semblable prosopopée; mais il est mieux de n'en faire usage que dans les ocasions où il ne s'agit que d'amuser l'imagination, et non quand il faut toucher le cœur. Les figures qui plaisent dans un épithalame, déplaisent dans un oraison funèbre; la tristesse doit parler simplement (2), si elle veut nous intéresser: mais revenons à l'hypotypose.

Remarquez que tous les verbes de cette narration sont au présent; l'onde aproche, se brise, etc. c'est ce qui fait l'hypotypose, l'image, la peinture; il semble que l'action se

passe sous vos yeux.

M. l'abé Ségui, dans son panégyrique de Saint-Louis, prononcé en présence de l'Aca-

(1) Rac. Phèdre. act. V. sc. 6. (2) Hor. Art Poét. v. 97.

démie française, nous présente encore un bel exemple d'hypotypose, dans la description qu'il fait du départ de S. Louis, du voyage de ce prince, et de son arivée en Afrique.

«Il part baigné de pleurs (1), et comblé » des bénédictions de son peuple: déjà gémissent "les ondes sous le poids de sa puissante flotte; » déjà s'ofrent à ses yeux les côtes d'Afrique; » déjà sont rangées en bataille les innombrables » troupes des Sarasins. Ciel et terre ! soyez » témoins des prodiges de sa valeur. Il se jette » avec précipitation dans les flots, suivi de son » armée que son exemple encourage, malgré "les cris éfroyables de l'énemi furieux, au » milieu des vagues et d'une grèle de dards quí » le couvrent il s'avance come un géant vers " les champs où la victoire l'apèle, il prend » terre, il aborde, il pénètre les bataillons épais » de barbares; et couvert du bouclier invisible » du Dieu qui fait vivre et qui fait mourir, » frapant d'un bras puissant à droite et à gauche, » écartant la mort, et la renvoyant à l'énemi; » il semble encore se multiplier dans chacun » de ses soldats. La terreur que les infidèles » croyoient porter dans les cœurs des siens, » s'empare d'eux-mêmes. Le Sarasin éperdu » le blasphême à la bouche, le désespoir dans », le cœur, fuit et lui abandonne le rivage».

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Je ne mets ici cette figure au rang des tropes, que parce qu'il y a quelque sorte de trope à

(1) Panég. de S. Louis, en 1729, p. 22.

parler du passé come s'il étoit présent; car, d'ailleurs les mots qui sont employés dans cette figure, conservent leur signification propre. De plus, elle est si ordinaire, que j'ai cru qu'il· n'étoit pas inutile de la remarquer ici.

X..

LA MÉTAP MORE.

LA métaphore est une figure par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification. propre d'un nom à un autre signification qui ne lui convient qu'en vertu d'une comparaison qui est dans l'esprit. Un mot pris dans un sens métaphorique, perd sa signification propre, et en prend une nouvèle qui ne se présente à l'esprit que par la comparaison que l'on fait entre le sens propre de ce mot, et ce qu'on lui compare par exemple, quand on dit que le mensonge se pare souvent des couleurs de la vérité; en cette phrase, couleurs n'a plus sa signification propre et primitive; ce mot ne marque plus cette lumière modifiée qui nous fait voir les objets ou blancs, ou rouges, ou jaunes, etc il signifie les dehors, les aparences; et cela par comparaison entre le sens propre de couleurs, et les dehors que prend un home qui nous en impose sous le masque de la sincérité. Les couleurs font connoître les objets

sensibles, elles en font voir les dehors et les aparences un kome qui ment, imite quelquefois si bien la contenance et les discours de celui qui ne ment pas, que lui trouvant les mêmes dehors, et, pour ainsi dire, les mêmes couleurs, nous croyons qu'il nous dit la vérité : ainsi come nous jugeons qu'un objet qui nous paroît blanc est blanc, de même nous somes souvent la dupe d'une sincérité aparente, et dans le temps qu'un imposteur ne fait que prendre les dehors d'home sincère, nous croyons qu'il nous parle sincèrement.

Quand on dit la lumière de l'esprit, ce mot de lumière est pris méthaphoriquement; car come la lumière dans le sens propre nous fait voir les objets corporels, de même la faculté de conoître et d'apercevoir éclaire l'esprit, et le met en état de porter des jugemens sains.

La métaphore (1) est donc une espèce de trope, le mot dont on se sert dans la métaphore est pris dans un autre sens que dans le sens propre, il est, pour ainsi dire, dans une demeure empruntée, dit un ancien, ce qui est comun et essentiel à tous les tropes.

De plus, il y a une sorte de comparaison ou quelque raport équivalent entre le mot auquel on done un sens métaphorique, et l'objet à quoi on veut l'apliquer par exemple, quand

(1) Metaphoram quam Græci vocant, nos translatio nem, id est, demo mutuatum verbum quo utimur inquit Verius. Festus. v. Metaphoram.

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