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fait? veut dire en ces occasions qu'avez-vous fait ainsi nous dans ces exemples n'est pas le sens propre, il ne renferme point celui qui parle. On ménage par ces expressions l'amour propre de ceux à qui on adresse la parole, en paroissant partager avec eux le blâme de ce qu'on leur reproche; la remontrance étant moins personèle, et paroissant comprendre celui qui l'a fait, en est moins aigre, et devient souvent plus utile.

Les louanges qu'on se done blessent toujours l'amour propre de ceux à qui l'on parle. Il y a plus de modestie à s'énoncer d'une manière qui fasse tomber sur d'autres une partie du bien qu'on veut dire de soi: ainsi un capitaine dit quelquefois que sa compagnie a fait telle ou telle action, plutôt que d'en faire retomber la gloire sur sa seule personne.

On peut regarder cette figure come une espèce particulière de synecdoque, puisqu'on dit le plus pour tourner l'atention au moins.

VII.

LA LITO T E.

La litote ou diminution est un trope par lequel on se sert de mots, qui à la lettre, paroissent afoiblir une pensée dont on sait bien que les idées accessoires feront sentir toute la force :

on dit le moins par modestie ou par égard; mais on sait bien que ce moins réveillera l'idée du plus.

Quand Chimène dit à Rodrigue, va, je ne te hais point (1), elle lui fait entendre bien plus que ces mots-là ne signifient dans leur sens propre.

Il en est de même de ces façons de parler; je ne puis vous louer, c'est-à-dire, je blâme votre conduite je ne méprise pas vos présens, signifie que j'en fais beaucoup de cas il n'est pas sot, veut dire qu'il a plus d'esprit que vous ne croyez il n'est pas poltron, fait entendre qu'il a du courage: Pythagore n'est pas un auteur méprisable (2); c'est-à-dire, que Pythagore est un auteur qui mérite d'être estimé. Je ne suis pas diforme (3), veut dire modestement qu'on est bien fait, ou du moins qu'on le croit ainsi.

On apèle aussi cette figure exténuation : elle est oposée à l'hyperbole.

(1) Corn. le Cid, act. III, sc. 4.

(2) Non sordibus auctor

Nature, verique. Hor. 1. I. od. 28.

(3) Nec sum adeò informis. Virg. Ecl. II, v. 25.

VIII.

L'HYPERBOLE.

LORSQUE nous somes vivement frapés de quelque idée que nous voulons représenter, et que les termes ordinaires nous paroissent trop foibles pour exprimer ce que nous voulons dire, nous nous servons de mots qui, à les prendre à la lettre, vont au-delà de la vérité, et représentent le plus ou le moins, pour faire entendre quelque excès en grand ou en petit. Ceux qui nous entendent rabatent de notre expression ce qu'il en faut rabatre, et il se forme dans leur esprit une idée plus conforme à celle que nous voulons y exciter, que si nous nous étions servis de mots propres : par exemple, si nous voulons faire comprendre la légèreté d'un cheval qui court extrêmement vîte, nous disons qu'il va plus vite que le vent. Cette figure s'apèle hyperbole, mot grec qui signifie excès.

Julius Solinus dit qu'un certain Ladas étoit d'une si grande légèreté, qu'il ne laissoit sur le sable aucun vestige de ses piés (1).

(1) Primam palmam velocitatis Ladas quidamn adeptus est, qui ita suprà cavum pulverem cursitavit, ut arenis pendentibus nulla indicia relinqueret vestigiorum. Jul. Solin, c. 6.

Virgile dit de la princesse Camille, qu'elle surpassoit les vents à la course, et qu'elle eût couru sur des épis de blé sans les faire plier, ou sur les flots de la mer sans enfoncer, et même sans se mouiller la plante des piés (1).

Au contraire, si l'on veut faire entendre qu'une persone marche avec une extrême lenteur, on dit qu'il marche plus lentement qu'une

tortue.

Il y a plusieurs hyperboles dans l'Ecriture Sainte, par exemple : Je vous donerai une terre ou coulent des ruisseaux de lait et de miel (2), c'est-à-dire, une terre fertile et dans la Genèse il est dit (3) Je multiplierai tes enfans en aussi grand nombre que les grains de poussière de la terre. S. Jean, à la fin de son évangile (4), dit que si on racontoit en détail les actions et les miracles de Jésus-Christ, il

(1) Illa vel intacta segetis per summa volaret
Gramina, nec teneras cursu læsisset aristas,
Vel mare per medium fluctu suspensa tumenti
Ferret iter, celeres nec tingeret æquore plantas.
An. 1. VII, v. 808.

لو

(2) Educam vos ad terram fluentem lacte et melle. Exod. c. III, v. 17.

(3) Faciam semen tuum sicut pulverem terræ.

Genes. c. XIII, v. 16.

(4) Sunt autem et alia multa quæ fecit Jesus, qua si scribantur per singula, nec ipsum arbitror mundum capere posse eos, qui scribendi sunt libros. Joan, XXI.. V, 25.

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ne croit pas que le monde entier pût contenir les livres qu'on en pouroit faire.

L'hyperbole est ordinaire aux Orientaux. Les jeunes gens en font plus souvent usage que les persones avancées en âge. On doit en user sobrement et avec quelque corectif: par exemple, en ajoutant, pour ainsi dire; si l'on peut parler ainsi.

«Les esprits vifs (1), pleins de feu, et qu'une » vaste imagination emporte hors des règles » et de la justesse, ne peuvent s'assouvir d'hy»perboles, dit M. de la Bruyère.

Excepté quelques façons de parler comunes et proverbiales, nous usons très-rarement d'hyperboles en français. On en trouve quelques exemples dans le style satyrique et badin, et quelquefois même dans le style sublime et poétique (2) Des ruisseaux de larmes coulèrent des yeux de tous les habitans.

« Les Grecs (3) avoient une grande passion » pour l'hyperbole, come on le peut voir dans » leur Anthologie, qui en est toute remplie

(1) Caract. des ouvrages de l'esprit..

(1) Fléch. Oraison funèbre de M. de Turène. Exorde.

(3) Traité de la vraie et de la fausse beauté dans les ouvrages d'esprit. C'est une traduction que Richelet nous a donée de la dissertation que Messieurs de P. R. ont mise à la tête de leur Delectus Epigram

matum.

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