Page images
PDF
EPUB

pourpre de fa robe longue et flotante, fes cheveux noués par derrière négligemment, mais avec grace; le feu qui fortoit de fes yeux, et la douceur qui tempéroit cette vivacité. Mentor les yeux baiffés, gardant un filence modefte, fuivoit Télémaque.

On arriva à la porte de la grotte de Calypfo, où Télémaque fut furpris de voir, avec une apparence de fimplicité ruftique, tout ce qui peut charmer les yeux. Il eft vrai qu'on n'y voyoit ni or, ni argent, ni marbre, ni colomnes, ni tableaux, ni ftatues: mais cette grotte étoit taillée dans le roc en voutes pleines de rocailles et de coquilles. Elle étoit tapiffée d'une jeune vigne, qui étendoit également fes branches fouples de tous côtés. Les doux zéphyrs confervoient en ce lieu, malgré les Des fonardeurs du foleil, une délicieuse fraîcheur. taines coulant avec un doux murmure fur des près femés d'amarantes et de violettes, formoient en divers lieux des bains auffi purs et auffi clairs que le cryftal. Mille fleurs naiffantes émailloient les tapis verds dont la grotte étoit environnée. Là on voit un bois de ces arbres touffus qui portent des pommes d'or, et dont la fleur, qui fe renouvelle dans toutes les faifons, répand le plus doux de tous les parfums. Ce bois fembloit couronner ces belles prairies, et formoit une nuit que Là on n'enles rayons du foleil ne pouvoient percer. tendoit jamais que le chant des oiseaux, ou le bruit d'un ruiffeau, qui, fe précipitant du haut d'un rocher, tomboit gros bouillons pleins d'écume, et s'enfuyoit au travers de la prairie.

à

La grotte de la Déeffe étoit fur le penchant d'une colline. De là on découvroit la mer quelquefois claire et unie comme une glace, quelquefois follement irritée contre les rochers, où elle fe brifoit en gémiffant, et élevant fes vagues comme des montagnes. D'un autre côté on voyoit une rivière, où fe formoient des îles bordées de tilleuls fleuris, et de hauts peupliers, qui portoient leurs têtes fuperbes jufques dans les nues. Les divers canaux, qui formoient des îles, fembloient fe jouer dans la campagne. Les uns rouloient leurs eaux claires avec rapidité; d'autres avoient une eau paisible et dormante; d'autres, par de longs détours, revenoient fur leurs pas, comme pour remonter vers leur fource,

et fembloient ne pouvoir quitter ces bords enchantés. On appercevoit de loin des collines et des montagnes, qui fe perdoient dans les nues, et dont la figure bizarre formoit un horizon à fouhait pour le plaifir des yeux. Les montagnes voifines étoient couvertes de pampres verds, qui pendoient en felfons Le raitin, plus écla

tant que la pourpre, ne pouvoit fe cacher fous les feuilles, et la vigne étoit accablée fous fon fruit. Le figuier, l'olivier, le grénadier, et tous les autres arbres couvroient la campagne, et en fefoint un grand jardin.

Calypfo ayant montré à Télémaque toutes ces beaùtés naturelles, lui dit: Repofez-vous; vos habits font mouillés; il eft tems que vous en changiez. Enfuite nous vous revérrons, et je vous raconterai des hiftoires dont votre cœur fera touché. En même tems elle le fit entrer, avec Mentor, dans le lieu le plus fecret et le plus reculé d'une grotte voifine de celle où la Déeffe demeuroit. Les nymphes avoient eu foin d'allumer en ee lieu un grand feu de bois de cedre, dont la bonne odeur fe répandoit de tous côtés, et elles y avoient laiffé des habits pour les nouveaux hôtes. Télémaque voyant qu'on lui avoit deftiné une tunique d'une laine fine, dont la blancheur éffaçoit celle de la niège, et une robe de pourpre avec une broderie d'or, prit le plaifir qui est naturel à un jeune homme en confiderant cette magnifi

cence.

Mentor lui dit, d'un ton grave: Eft-ce donc-là, ô Télémaque, les pensées qui doivent occuper le cœur du fils d'Ulyffe? Songez plutôt à foutenir la réputation de votre père, et à vaincre la fortune qui vous perfécute. Un jeune homme qui aime à fe parer vainement comme une femme, eft indigne de la fageffe et de la gloire. La gloire n'eft due qu'à un cœur, qui fait fouffrir la peine, et fouler aux pieds les plaifirs.

Télémaque répondit en foupirant: Que les Dieux me faffent périr, plutôt que de fouffrir que la molleffe et la volupté s'emparent de mon cœur. Non, non, le fils d'Ulyffe ne fera jamais vaincu par les charmes d'une vie lache et effemmée: mais qu'elle faveur du Ciel nous a fait trouver, après notre naufrage, cette Dézfle, ou cette mortelle, qui nous comble de biens?

Craignez, répartit Mentor, qu'elle ne vous accable de maux. Craignez fes trompeufes douceurs plus que les écueils qui ont brifé votre navire. Le naufrage et la mort font moins funeftes que les plaifirs qui attaquent la vertu. Gardez vous bien de croire ce qu'elle vous racontera. La jeuneffe eft préfomptueufe. Elle fe promet tout d'elle même. Quoique fragile, elle croit pouvoir tout, en n'avoir jamais rien è craindre. Elle fe confie légèrement et fans précaution. Gardez-vous d'écouter les paroles douces et flatteufes de Calypfo, qui se glifferont comme un ferpent fous les fleurs. Craignez ce poifon caché. Defiez-vous de vous-même, et attendez

toujours mes confeils.

Enfuite ils retournérent auprès de Calypfo, qui les attendoit. Les nymphes, avec leurs cheveux, treffés et des habits blancs, fervirent d'abord un repas, fimple, mais exqnis pour le goût et pour la propreté. On n'y voyoit aucune autre viande que celle des oifeaux qu'elles avoient pris dans les filets, ou des bêtes qu'elles a voient percées de leurs fleches à la chaffe. Un vin plus doux que le nectar couloit des grands vafes d'argent dans les taffes d'or couronnées de fleurs. On apporta dans des corbeilles tous les fruits que le printems promet, et que l'automne répand fur la terre. En même tems quatre jeunes nymphes fe mirent à chanter. D'abord elles chantérent le combat des Dieux contre les géants, puis les amours de Jupiter et de Semélé, la naiffance de Bacchus, et fon éducation conduite par le vieux Silene, la courfe d'Atalante et de Hippomene, qui fut vainqueur par le moyen des pommes d'or cueillies au jardin des Hefpérides. Enfin la guerre de Troie fut auffi chantée; les combats d'Ulyffe et fa fageffe furent élevés jufqu'aux cieux. La première des nymphes, qui s'appelloit Leucothoé, joignit les accords de fa lyre aux douces voix de toutes les autres. Quand Télémaque entendit le nom de fon père, les larmes, qui coulérent le long de fes joues, donnérent un nouveau luftre à fa beauté. Mais comme Calypfo apperçut qu'il ne pouvoit manger, et qu'il étoit faifi de douleur, elle fit figne aux nymphes. A l'inftant on chanta le combat des Centaures avec les Lapithes, et la defcente d'Orphée aux en fers pour en retirer Eurydice.

[ocr errors]

Mais hé

Quand le repas fut fini, la Déeffe prit Télémaque, et lui parla ainfi: Vous voyez, fils du grand Ulyffe, avec quelle faveur je vous reçois. Je fuis immortelle. Nul mortel ne peut entrer dans cette île, fans être puni de fa témérité; et votre naufrage même ne vous garantiroit pas de mon indignation, fi d'ailleurs je ne vous aimois. Votre père a eu le même bonheur que vous. las! il n'a pas fu en profiter. Je l'ai gardé long-tems dans cette ile. 11 n'a tenu qu'à lui d'y vivre avec moi dans un état immortel. Mais l'aveugle paffion de retourner dans fa miférable patrie, lui fit rejetter tous ces avantages *. Vous voyez tout ce qu'il a perdu pour Ithaque, qu'il n'a pu revoir. Il voulut me quitter, il partit, et je fus vengée par la tempête. Son vaiffeau, après avoir été long-tems le jouet des vents, fut enfeveli dans les ondes. Profitez d'un fi trifte exemple. Après fon naufrage vous n'avez plus rien à espérer, ni pour le revoir, ni pour regner jamais dans l'ile d'Ithaque après lui. Confolez-vous de l'avoir perdu, puisque vous trouvez une Divinité prête à vous rendre heureux, et un royaume qu'elle vous offre. Le Déeffe ajouta à ces paroles de longs discours, pour montrer combien Ulysse avoit été heureux auprès d'elle. Elle raconta ses avantures dans la caverne du Cyclope Polypheme†, et chez Antiphates Roi des Leftrigons. Elle n'oublia pas ce

*La caufe de fon impatience étoit fon amour pour fa femme Penelope, dont l'image l'occupoit nuit et jour. Il l'aimoit fi eperdument, qu'il contrefit l'infenfe, pour ne pas aller au fiége de Troie; mais fa rufe fut decouverte.

+ On peut voir dans le 9me livre de l'Odyffée la defcription de cette caverne, qui étoit dans la Sicile: comment Ulysse et fes compagnons s'y trouvèrent enfermés de quelle manière ils erevèrent l'ail au géant Polypheme, après avoir lié fes forces par le vin; et comment ils en fortirent, en fe liant eux-mêmes fous le ventre des plus forts béliers de fon troupeau,

Leur

Les Lefrigons fefoient leur demeure dans la ville de Lamus, anciennement Formies, fur la côte de la Campanie ; 'on croit qu'ils avoient auparavant habité la Sicile. nom fignifie dévorateur, étant tiré de lahama, que veut dire dévorer. Ulyffe perdit chez eux quelques-uns de fes com pagnons, qui furent dévorés par ces peuples. Odyff. liv. 10,

qui lui étoit arrivé dans l'île de Circé fille du Soleil *, et les dangers qu'il avoit courus entre Scylle et Charybde t. Elle repréfenta la dernière tempête que Neptune avoit excitée contre lui, quand il partit d'auprès d'elle. Elle voulut faire entendre qu'il étoit péri dans ce naufrage, et elle fupprima fon arrivée dans l'ile des Phéaciens ‡.

tement

Télémaque, qui s'étoit d'abord abandonné trop prompla joie d'être fi bien traité de Calypfo, reconnut enfin fon artifice, et la fageffe des confeils que Mentor venoit de lui donner. Il répondit en peu de mots: O Déeffe, pardonnez à ma douleur. Maintenant je ne puis que m'affliger. Peut-être que dans la fuite j'aurai plus de force pour goûter la fortune que vous m'offrez. Laiffez-moi en ce moment pleurer mon père. Vous favez mieux que moi combien il mérite d'être pleuré.

Calypfo n'ofa d'abord le preffer davantage. Elle feignit même d'entrer dans fa douleur, et de s'attendrir pour Ulyffe. Mais pour mieux connoitre les moyens de toucher le cœur du jeune homme, elle lui demanda comment il avoit fait naufrage, et par quelles avantures il étoit fur fes côtes. Le récit de mes malheurs, dit-il, feroit trop long. Non, non, répondit-elle, il me tarde de les favoir, hâtez-vous de me les raconter. Elle le

* L'ile de Circé s'appelloit Eœa, ou Circæi, qui eft une montagne fort voifine de Farmies: Homere l'appelle un île parce que la mer et les marais que l'environnent en font une prefque-ile. Les compagnons d'Ulyffe y furent changés en pourceaux. Ibib. liv. 12.

Scylle et Charybde font deux roches placées à l'entrée du détroit de la Sicile, du côté de Pelore; la 1. fur la côté d'Italie, et la 2. fur celle de Sicile. C'étoient anciennement des écueils fort dangereux à caufe de la qualité des vaiffeaux qu'on avoit alors, mais on s'en moque aujourd'hui vigation eft beaucoup plus perfectionnée. Ulylle y perdit encore fix de fes compagnons. Ibid.

que

la na

L'ile des Phéaciens eft Corcyre ou Corfou, appellée anciennement Scherie. Elle eft vis-a-vis du continent d Epire. Les Pheniciens l'avoient nommé Scherie de fchara, qui fignifie lieu de négoce.

G

« PreviousContinue »