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ceffe la mufique fur les mêmes paroles. La danfe des grâces terre-à-terre, en eft prefque bannie; mais la légereté et la précision y brillent. Les théâtres bien coupés en favorisent le beau deffein, et les charmantes décorations en augmentent l'illufion. L'étendue de la falle fait qu'on eft moins choqué de voir figurer des hommes habillés en femme dans le ballet et la pièce: ils font jeunes, bien ajuftés, et beaucoup moins ridicules que vous ne l'i maginez; il feroit à fouhaiter que les opéra fuffent moins longs, les ballets moins répétés et plus liés au fujet, les beaux récitatifs plus touchans. Les gens de gout des deux Nations difent qu'on pourroit, de l'un et de l'autre opéra, en former un plus propre à fe faire écouter que celui d'Italie, et moins ennuyeux que le François.

L

De Rome, le 10 Février 1758.

E froid dure ici depuis trois semaines, ma chère Sœur, et la neige a couvert la terre plufieurs jours dans cette latitude. Autrefois les maifons à Rome, comme à Naples, etoient fans cheminées: la délicateffe en a fait construire; mais peu s'en fervent. La cuisine du peuple a fes fourneaux dans les rues: là s'achetent les viandes frites ou fricaffées. Aux affemblées des Dames, le feul petit feu d'une des pièces échauffa le refte: perfonne n'en approche, et les antichambres ont des poêles pleins de braife.

Pendant les derniers jours du carnaval, il fe forme un concours de peuple magnifique. Les fenêtres et les balcons chargés de riches tapis, offrent aux yeux les dames qui craignent la foule: les trottoirs couverts d'échafauds bordent la rue, et font remplis de toutes fortes de mascarades. Cent polichinelles, arlequins et docteurs, haranguent le peuple, et jettent des dragées aux paffans. Les laquais et cochers prennent auffi des déguifemens: les carroffes et divers chars portent leurs maîtres en masque, et forment à pas lents deux files.

Nous avons huit fpectacles à la fois, deux opéra bouffons; cinq comédies ou farces occupent les autres falles, dont plufieurs ont cinq à fix rangs de loges. Comme le carnaval dure peu, il en eft d'autant plus vif. La beauté

du féjour de Rome, attire beaucoup d'étrangers: les Anglois y viennent en grand nombre, et apportent beaucoup d'argent. Voici leur marche: ils fe trouvent à Naples à la moitié du carnaval, ici pour les cérémonies de la Semaine Sainte, vers l'Afcenfion à Venife, de-là aux foires de Padoue, et de Vicenfe: enfuite ils féjournent à Milan, paffent l'été à Florence, à cause du bon air; l'automne à différentes foires où l'Opéra les appelle; l'hiver à Rome, pour en vifiter les curiofités. Ils font quelquefois pendant quatre ans cette même promenade,

ΑΙ

De Rome, le 27 Mars 1758.

'AI profité de la quinzaine de Pâques pour courir les meilleurs Prédicateurs, ils me paroiffent grands déclamateurs. Les chaires Italiennes font des efpèces de longs balcons, où le Prédicateur court et s'agite à fon aife: leur éloquence parle moins au cœur qu'aux oreilles et aux yeux; trop de gefticulations en ôte la nobleffe, trop peu chez les Anglois la rend froide; ferions-nous dans ce milieu fi difficile à faifir?

SON

De Parme, le 15 Mai 1758.

ON Alteffe Royale nous a fait la grâce de nous admettre à sa table, dans fa maison de plaifance de Colorno, et d'ordonner qu'on nous repréfentât la tragédie d'Iphigénie en Tauride. La Comédie Françoile et, l'Opéra Italien, font en vogue dans toute l'Europe: cette, préférence générale décide du mérite de ces deux fpectacles. Le Théâtre de la Cour à Colorno est bien décoré, et plus grand que celui de Verfailles. Le Palais, bâtí avec l'élégance Italienne, commodément distribué et meublé à la Françoife, régne fur des jardins charmans: là, tout annonce le gout et la magnificence du Prince.

Nous vimes auffi le Théâtre Farnèfe, le plus grand de, 'Italie: fa coupe en eft fi parfaite, qu'une voix baffe s'y fait par-tout entendre. Au lieu de loges, des gradins y régnent en cercle: le parterre peut fe remplir d'eau à la hauteur de trois pieds. Les gondoles dorées et illumi

nées qu'on met fur ce petit lac, font un merveilleux effet. Cette falle immenfe ne fert que pour les fètes extraor dinaires.

A

D'Avignon, le 15 Juin 1758.

VANT de venir dans cette ville, nous avons paffé à Marseille. Le Port n'a pas rempli mon attente: peut-être le mal de tête que j'eus en paffant un long. fauxbourg entre deux murs, où j'étouffois de chaud et de pouffière, m'avoit donné de l'humeur. La Quai eft fort rétréci par les loges des galèriens qu'on y a transportés de Toulon, de façon qu'on y paffe à peine. La nouvelle ville a de belles rues droites; mais les tortuenfes de l'ancienne conviennent mieux au pays brûlé du soleil et battu dés vents: nos Ancêtres avoient moins de tort que de raifon, pour éviter nos alignemens réguliers; et leur peu de croifées haut percées, les garantiffoient mieux du froid et du chaud. En fortant, nous découvrimes les Baftides des Marfeillois, que vous avez entendu vanter. Je ne fais comment des hommes les habitent: leur peu d'efpace conviendroit à des Lilliputiens; leur fituation fur un fable brulant, à des falamandres; la fécheresse du terrein fans moiffon et fans abri, à des Sylphes. Peutêtre leur multitude fe prête l'une à l'autre un agréable point de vue; mais il falloit quitter ces lieux pour voir à Aix un Proceffion fameufe de Vierges, d'Anges, de Diables et de Moines: nous y arrivames la veille de ce bizarre fpectacle; j'y rencontrai un grand nombre de chaifes à-porteurs, remplies de jolies femmes bien parées.

Nous nous rendimes à Avignon le lendemain: les murs de cette ville, fondée par les Phocéens, et vendue au Pape Clement VI. par Jeanne, Reine de Naples, font fort beaux; le rempart planté d'arbres tout autour, forme une agréable promenade, où l'on voit nombré de dames parées comme aux Thuilleries: nulle de nos villes de Province n'en "raffemble d'auffi bon air, ni tant de

noms connus.

La Marquise de Vauclufe y tient le foir l'affemblée: on y foupe, on y joue, on y trouve des gens de bonne compagnie.

Le Vice-Légat eut la complaifance de me mener à fix lieues d'ici, voir Vauclufe, lieu où le Chanoine Pétrarque foupira vingt ans pour la belle Laure: peut être n'en étoit-il pas moins dévot. Dans les vieux tems, les Cardinaux, les Evêques, fefoient même des fonnets galans: tout paffoit, pourvu-que ce fut à l'imitation de Pétrarque. Les vers de cet amant inimitable, qui pleura dix ans fa belle, font par-tout; et les débris de fon château reflent encore fur un rocher voifin de cette Fontaine dont on a fait tant de flatteufes defcriptions. Son onde claire forme, en flots bouillonans, une rivière dès fa fource; tourne enfuite autour d'une ville, lui donne ainfi le nom de l'île,' arrofe les prés et les arbres qui l'environnent, en fait un lieu délicieux, et la fournit d'excellentes truites et d'écrévisses: mon bienfefant conducteur nous en fit manger.

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LES JARDIN S.

PAR M. L'ABBE DE LILLE.

CHANT PREMIER.

E doux printems revient, et ranime à la fois
Les oifeaux, les zéphirs, et les fleur, et ma voix.
Pour quel fujèt nouveau dois-je monter ma lyre?
Ah! lorfque d'un long deuil la terre enfin refpire,
Dans les champs, dans les bois, fur les monts d'alentour,
Quand tout rit de bonheur, d'efpérance et d'amour,
Qu'un autre ouvre aux grands noms les faftes de la gloire:
Sur un char foudroyant qu'il place la victoire;
Que la coupe d'Atrée enfanglante fes mains:
Flore a fouri; ma voix va chanter les jardins.
Je dirai comment l'art, dans de frais payfages,
Dirige l'eau, les fleurs, les gazons, les ombrages.
Toi donc, qui, mariant la grace et la vigueur,
Sais du chant didactique animer la langueur,
O Mufe! fi jadis, dans les vers de Lucrèce,
Des auftères leçons tu polis la rudeffe;
Si par toi, fans flétrir le langage des dieux,
Son rival a chanté le foc laborieux;
Viens orner un fujèt plus riche, plus fertile,
Dont le charme autrefois avoit tenté Virgile.
N'empruntons point ici d'ornement étranger;
Viens, de mes propres fleurs mon front va s'ombrager;
Et, comme un rayon pur colore un beau nuage,
Des couleurs du fujèt je teindrai mon langage.

L'art innocent et doux que célébrent mes vere,
Remonte aux premiers jours de l'antique univers.
Des que l'homme eut foumis les champs à la culture,
D'un heureux coin de terre il foigna la parure;
Et plus près de fes yeux il rangea fous fes loix
Des arbres favoris et des fleurs de fon choix.
Du fimple Alcinous le luxe encor ruftique
Décoroit un verger. D'un art plus magnifique,

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