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fa dame d'atours ne recevroit que cinq coups de knout, au lieu de onze.

On a lieu d'être étonné qu'un Prince législateur, et auffi abfolu que le Czar, n'ait point fait de teftament. Peut-être ne fe croyoit-il pas fi proche de fa fin, lorfqu'il mourut entre les bras de fon époufe, après une agonie de feize heures. L'Impératrice Cathérine lui fuccéda.

CATHERINE ALEXOWNA, Epoufe de Pierre le Grand,

C

ATHERINE ALEXOWNA naquit près de Derpart, petite ville en Livonie, de parens fort pauvres. Elle perdit fon père de bonne heure; et le travail de fes mains fuffifoit à peine à fon exiftence, et à celle d'une mère accablée d'infirmités.

Elle étoit belle et bien faite; elle avoit reçu de la nature un efprit auffi vif que jufte et folide. Sa mère lui apprit à lire, et un vieux Curé Luthérien l'inftruifit dans les principes et dans les devoirs de la religion.

Cathérine avoit quinze ans, lorfque fa mère mourut, elle alla demeurer avec le Curé Luthérien qui l'avoit éle vée, et rendit aux filles de cet eccléfiaftique l'education qu'elle avoit reçue de leur père. Elle prit avec fes élèves des leçons de danfe et de mufique, et elle continua de fe perfectionner dans ces deux arts jufqu'à la mort de fon bienfaiteur. Ce malheur la reduifit à la plus affreufe indigence; et la guerre qui s'alluma entre la Kuffie et la Suède, força Cathérine à quitter sa patrie, et à aller chercher un afile à Marienbourg.

Il lui fallut traverfer à pied un pays ravagé par leur armées ennemies. Après avoir échappé à plufieurs dangers, elle fut attaquée par deux foldats Suedois, qui fans doute feroient portés à lui faire violence, fi un bas-officier ne fut venu à fon fécours. Elle rendoit grâces à fon libérateur; qu'elle fut fa furprise lorsqu'elle reconnut dans lui le fils du Pasteur Luthérien qui avoit élevée fon enfance! Le jeune officier fournit à Catherine tous les fécours néceffaires pour achever fon voyage, et lui donna une lettre de recommandation auprès de M. Gluck, ami intime de fon père, et fon intime ami à Marienbourg. Elle eut bientôt le bonheur de fe recommander elle-même par son

efprit, par fes grâces, et par fa beauté. Quoiqu'elle n'eut encore que dix-fept ans, M. Gluck lui confia l'éducation de fes deux filles. Dans cet emploi, elle fut fi bien mériter l'eftime du père de fes élèves, que M. Gluck, qui étoit veuf, crut pouvoir lui offrir sa main. Catherine la refusa; et, dans la même tems, elle offrit la fienne à fon libérateur, quoiqu'il eut perdu un bras, et qu'il fut couvert de bleffâres.

Il étoit, fans doute, impoffible de preffentir la future grandeur de Cathérine; mais en fuppofant qu'on la prévit, on eut pu dès-lors affurer que la fortune feroit tou jours au-deffous d'une telle âme. Le jeune officier étoit alors en garnifon dans la ville. Sa furprise fut égale à fa reconnoiffance: il accepta avec transport la main de Cathérine. Les deux époux avoient reçu la bénédiction nuptiale: le jour même, Marienbourg eft affiégé par les Ruffes: le jeune officier eft appellé pour repouffer un affaut: il eft tué avant d'avoir recueilli le fruit de la générofité et de la reconnoiffance de fon épouse.

Cependant le fiège fe continuoit avec acharnement. Marienbourg fut emporté d'affaut. La garnifon, les habitans, les femmes, les enfans, tout fut paffé au fil de l'épée. Enfin, le maffacre ayant ceffé, on trouva Cathérine cachée dans un four.

Elle avoit bravé l'indigence; elle conferva fa férénité dans l'efclavage. Ce courage d'efprit, et fon rare mérite, la firent bientôt connoître. On en parla au Genéral Ruffe, le Prince Menzikoff, dont la destinée étoit auffi bizarre que celle de Catherine. Il demanda à la voir; il fut epris de fa beauté: il l'acheta du foldat à qui elle appartenoit, et la mit entre les mains de fa propre fœur; enfin, il eut pour elle tous les égards dus à fon fexe et à fon infortune.

Peu de tems après, Pierre le Grand fit un vifite au Prince Menzikoff. Cathérine fervit à table avec beau coup de grâce et de modeftie. Le Czar en fut frappé. Il revint le lendemain; il demanda la belle esclave; il lui fit plufieurs queftions, et il trouva que les charmes de fon efprit furpaffoient ceux de fa figure. Pierre, qui favoit créer les hommes, favoit auffi les juger. 11 crut que Catherine étoit digne de le feconder dans fes grands def feins. L'inclination fe joignit à fes vues politiques, et il

réfolut de l'époufer. Il fe fit inftruire de tous les détails, de fa vie: il remonta jusqu'à fes premières années; il la fuivit dans fon obfcurité, dans cet état où l'âme, obligée. de tirer toutes fes forces d'elle-même, lute contre la for tune fans avoir de fpectateurs, et triomphe fans attendre d'applaudiffemens. Il vit Cathérine coufervant partout ce caractère de grandeur originelle, la feule véritable. Il crut que ce titre fuffifoit pour l'élever au rang d'Impératrice: cependant il jugea à-propos de célébrer fon, mariage fecrettement.

Catherine fur le trône entra dans toutes les vues du Czar. Tandis que Pierre formoit des hommes, elle ne negligeoit rien pour perfectionner l'education des per fonnes de fon fexe; elle changea leur habillement, leur inspira l'efprit de fociété, établit l'usage des affemblées, remplit, pendant toute fa vie, les devoirs d'Impératrice, d'amie, d'époufe, de mère; elle eut les talens de l'autre fexe, fans lui facrifier les vertus et les agrémens du fien, et mourut enfin avec ce même courage qui l'avoit fuivi dans l'infortune, et qu'elle avoit porté fur le trône.

LETTRES DE MADAME DU BOCAGE,

A

SUR L'ITALIE.

A Turin, le 25 Avril 1757.

PRES avoir franchi les bornes de la France, une chauffée nous conduifit-jufqu'aux Alps. Nous dinames au Pont Beauvoisin, limites du Dauphiné et de la France. Enfuite on parcourt, au bord d'un précipice, où mugit un torrent ferré entre deux rochers, un chemin étroit, taillé fous le roc. Un garde-fou, tantôt de pierre, tantôt de bois, fouvent rompu, fait pour tranquillifer les Princeffes qu'on conduit à Turin, y raffure un peu les yeux effrayés. 'Près de Chambéry, le Duc Charles Emanuel fit couper dans le rocher une route de quatre-vingts pieds de haut, d'un quart de lieue de long, où d'efpace en efpace, deux voitures peuvent paffer: une infcription, faite

en 167c, éternife le bienfait de ce Prince. Les bonnes actions des Rois fe gravent fur l'airain, les nôtres fur le fable. Notre gloire en eft plus grande: nous fefons le bien fans efpoir de recompenfe.

En fortant de ce détroit, où les cavernes qu'on rencontre reffemblent à l'habitation des Gorgones, nous trouvames des cascades qui tombent de cent pieds de rochers en rochers, et forment des torrens, qu'on traverse fans ceffe fur des ponts tremblans. On fuit ainfi, haut et bas, fur des bords efcarpés et pierreux, le cours des eaux, qui d'abord creufa ces chemins.

Après avoir paffé le creul pas du Termignon, nous arrivames à Lançbourg; nous y foupames affez bien avec de mauvais mets, et dormimes mieux fur un lit de fer, qu'un oifif fur le duyet. Pendant notre fommeil, on démontoit nos voitures pour les faire passer à dos de mulet le Mont Cenis, que nous efcaladames dès le matin en porteurs. Que vis-je au fonds de l'abyme incommenfurable que je côtoyois? Un torrent noir et bourbeux s'y préci pite en mugiffant, et blanchit d'écume les rochers qui lui font obftacle. Je ne doutai plus que ce ne fut le Cocyte, et je crus que je defcendois aux Enfers. On ne peut fe faire une jufte idée de ces montagnes, qu'on ne les ait parcourues. Les points de vue terribles et admirables qu'on y rencontre, font fait pour nourrir l'imagination des poetes; mais leurs tableaux n'en peuvent rendre la réali-té. Comment peindre cent rochers dont la cime couverte d'une neige éternelle, arrête les nues, les force à se diffoudre, et à creufer des abymes, où les eaux raffemblées courent de toutes parts fertilifer les plaines, &c,

A

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VANT de vous parler de Venife, ma chère fœur, il faut vous dire un mot de Vicense. On nous propofa d'aller au Théâtre Olympique: j'avois ouï parler de toutes les merveilles de l'Italie; jamais de celleci. Je crus trouver un enceinte où les jeunes gens fe difputoient le prix des jeux d'exercice: quelle agréable furprife! j'entre dans un spectacle des Romains. Sur le Théâtre, cinq rues ornées de maisons, aboutiffent à une

place de la plus belle architecture, où fe rendent les acteurs. Au pied de cette avant fcène eft l'orchestre, où jadis préfidoient les Confuls et les Veftales. Au tour de ce rez-de-chauffée, s'élevent en demi-cercle feize gradins couronnés d'une balustrade, où regnent trente flatues plus hautes que nature, le tout couleur de marbre blanc: Pefpace qu'elles laiffent entr'elles, et la colonnade qui les environne, nous permit d'en faire le tour, et d'y contempler la décoration du Théâtre, où nous defcendimes pour en parcourir avec foin les différentes rues, où les Daves et les Chremès, arrivant fur la fcène, pouvoient parler fans fe voir. Alors je compris combien leurs très-longs à parte, ne bleffoient point la vraisemblance: pour concevoir auffi par quel art les acteurs fe fefoient entendre dans des lieux fi vaftes, nous vifitames les recoins où la voix venoit retentir. Ce curieux Théâtre, dont j'emporte le plan, ne fert aujourd'hui qu'à donner des bals dans les foires fameufes. Nous fortimes de cette ville par des campagnes plantées en échiquier. Les vignes montent fur les arbres, et courent de l'un à l'autre en guirlandes: la terre labourée fous cet ombrage, n'en eft que plus fertile.

Comme nous étions fur le canal qui conduit à Venise, nous découvrimes up amas d'iles, qui, comme les nuages d'une décoration, fe fépara infenfiblement à nos yeux attentifs, et nous laiffa voir une ville flottante, où nous entrames par un large canal orné de palais enchantés. Le lendemain, des dames nous menèrent dans une des galères de la République, à la fête du Bucentaure. Imagi nez-vous des rivages bordés d'une foule de peuple dont les cris percent les cieux: la mer couverte de gondoles, et des felouques remplies de mufique; le bruit des canons des chateaux et des vaiffeaux, cent banderolles déployées; et dans le lointain, malgré le foleil qui brilloit fur les toits de la ville, la cime des montagnes du Tirol couverte de neige. Voilà le tableau, qui charmoit nos regards à midi, le jour de l'Afcenfion. L'habit de mafque de cette cérémonie eft un long manteau noir; une belle dentelle noire fait le camail, un chapeau noir emplumé couvre les épaules et la tête, et un blanc le vifage. Hommes et femmes font ainfi mafqués dans le temps du carnaval.

Tt

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