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ces privileges exclufifs qu'une nation obtient chez une autre pour un trafic de luxe, ou pour un approvifionne ment de fubfiftance! La liberté générale de l'induftrie et du commerce: voilà le feul traité qu'une nation maritime devroit établir chez elle, et négocier chez les autres. Ce peuple feroit le bienfaiteur du genre humain, Plus il y auroit de travail fur la terre, de vaiffeaux fur la mer, plus il lui reviendroit de ces jouiffances qu'il recherche, et par des traités et par des guerres. Car il n'y a point de progrès de richeffes dans un pays, s'il n'y a point d'induftrie chez fes voifins. Ceux-ci ne peuvent acquérir que par des matières d'échange, ou qu'avec de l'or et de l'argent. Mais on n'a ni métaux, ni ouvrages précieux, fans commerce et fans induftrie; ni ces deux fources de richeffes, fans liberté. L'oifiveté d'une nation nuit à toutes les autres, ou parce qu'elle les condamne à plus de travail, ou parce qu'elle les prive des productions d'un pays. L'ordre eft inverti par le fyftême actuel du commerce et de l'industrie.

On retrouve les belles laines d'Efpagne dans les troupeaux de l'Angleterre, et les foieries d'Italie font culti vées jufques dans l'Allemagne. Le Portugal pourroit perfectionner fes vins, fans le commerce exclufif qu'il en donne à une compagnie protégée. Les montagnes du Nord et du Midi fuffiroient pour approvifionner l'Europe de bois ou de métaux, et les plaines en produiroient plus de grains et de fruits. Les manufactures s'éleveroient dans les terres arides, fi la circulation y versoit l'abondance des chofes communes. On ne laifferoit pas des Provinces incultes au milieu d'un Etat, pour fertili fer des marais mal-fains, où, quand la terre vous fubflante, l'air et la mer vous confument. On ne vérroit par toutes les richeffes du commerce dans quelques villes d'un grand Royaume, comme on y voit tous les droits et tous les biens du peuple dans quelques familles. La circulation feroit plus vive, et la confommation plus abondante. Chaque Province cultiveroit fa production favorite, et chaque famille fon petit champ. Sous chaque toît, il naitroit un enfant de plus pour la navigation et pour les arts. L'Europe deviendroit, comme la Chine, un effaim innombrable de population et d'induftrie. Enfin, la liberté du commerce ameneroit infenfiblement

cette paix univerfelle, qu'un Roi guerrier, mais humain, ne croyoit pas chimérique. L'efprit de calcul et d'intérêt fonderoit le fyftême du bonheur des nations fur le développement de la raison, qui feroit une belle et glorieufe fauve-garde de mœurs.

PORTRAIT DE CROMWELL.

ON

N peint Cromwell comme un homme qui a été fourbe toute fa vie. J'ai de la peine à le croire. Je penfe, qu'il fut d'abord éntoufiafte, et qu'enfuite il fit fervir fon fanatisme même à fa grandeur. Un novice fervent à vingt ans devient fouvent un fripon habile à quarante. On commence par être dupe, et on finit par être fripon, dans le grand jeu de la vie humaine. Un homme d'état prend pour aumônier un moine tout paîtri des petiteffes de fon couvent, dévot, crédule, gauche, tout neuf pour le monde; le moine s'inftruit, fe forme, s'intrigue, et fupplante fon maitre.

Cromwell ne favoit d'abord s'il fe feroit eccléfiaftique ou foldat. Il fut l'un et l'autre. Il fit en 1622 une campagne dans l'armée du Prince d'Orange Fréderic. Henri, grand homme, frère de deux grands hommes; et quand il revint en Angleterre, il fe mit au fervice de l'évêque Williams, et fut le théologien de monfeigneur, tandis que monseigneur paffoit pour l'amant de fa femme. Ses principes étoient ceux des Puritains; ainfi il devoit hair de tout fon cœur un évêque, et ne pas aimer les rois. On le chaffa de la maifon de l'évêque Williams parce qu'il étoit Puritain; et voila l'origine de fa fortune. Le Parlement d'Angleterre fe déclaroit contre la Royauté et contre l'Epifcopat; quelques amis qu'il avoit dans ce Parlement lui procurèrent la nomination d'un Bourg. Il ne commença à exifter que dans ce tems-là, et il avoit plus de quarante ans fans qu'il eut jamais fait parler du lui. Il avoit beau poffeder 'Ecriture fainte, difputer fur les droits des prêtres et des diacres, faire quelques mauvais fermons et quelques

libelles, il étoit ignoré. J'ai vu de lui un fermon qui eft fort infipide, et qui reffemble affez aux prédications des Quakers; on n'y découvre affûrément aucune trace dé cette éloquence perfuafive avec laquelle il entraîna depuis les Parlements. C'eft qu'en effet il étoit beaucoup plus propre aux affaires qu'à l'eglife. C'étoit furtout dans fon ton et dans fon air que confiftoit fon éloquence; un geste die cette main qui avoit gagné tant de batailles, et tué tant de royalistes, perfuadoit plus que les périodes de Ciceron. Il faut avouer, que ce fut fa valeur incompa rable qui le fit connoître et qui le mena par degrés au faite de la grandeur.

Il commença par fe jetter en volontaire qui vouloit faire fortune, dans la ville de Hull affliégée par le Roi. II y fit de belles et d'heureufes actions, pour lefquelles il reçut une gratification d'environ fix mille francs du Parlement. Ce préfent fait par le Parlement à un avanturier, fait voir que le parti rebelle devoit prévaloir. Le Roi n'étoit pas en état de donner à fes Officiers Genereaux ce que le Parlement donnoit à des volontaires. Avec de l'argent et du fanatifme on doit à la longue être maître de tout. On fit Cromwell Colonel. Alors fes grands talens pour la guerre fe développèrent au point que lorfque le Parlement créa le Comte de Manchetter Général de fes armées, il fit Cromwell LieutenantGénéral, fans qu'il eût paffé par les autres grades. Jamais homme ne parut plus digne de commander; jamais on ne vit plus d'activité et de prudence, plus d'audace et plus de reffources que dans Cromwell. Il eft bleffé à la bataille d'York; et tandis que l'on met le premier appareil à fa playe, il apprend que fon Général Manchester fe retire, et que la bataille eft perdue.. Il court à Manchefter; il le trouve fuyant avec quelques Officiers; il le prend par le bras, et lui dit avec un air de confiance et de grandeur, Vous vous méprenez, mylord, ce n'est pas ce côté-ci que font les ennemis. Il le ramene près du champ de bataille, rallie pendant la nuit plus de douze mille hommes, leur parle au nom de DIEU, cite Moife, Gédéon et Jofué, recommence la bataille au point du jour contre l'armée royale victorieuse, et la défait entière

ment.

He

Il falloit qu'un tel homme pérêt ou fût le maître.

Prefque tous les Officiers de fon armée étoient des entoufiaftes, qui portoient la Bible à l'arçon de leur felle: on ne parloit à l'armée, comme dans le Parle ment, que de perdre Babilone, d'établir le culte dans Jérufalem, de brifer le coloffe. Cromwell parmi tant de fous ceffa de l'être, et penfa qu'il valoit mieux les gouverner, que d'être gouverné par eux. L'habitude de prêcher en infpiré lui reftoit. Figurez-vous un faquir, qui s'eft mis aux reins une ceinture de fer par pénitence, et qui enfuite détache fa ceinture pour en don ner fur les oreilles aux autres faquirs. Voilà Cromwell. Il devient auffi intriguant qu'il étoit intrépide; il s'affocie avec tous les Colonels de l'armée, et forme ainfi dans les troupes une republique, qui force le Généraliffime à se démettre. Un autre Généraliffime eft nommé, et il le dégoute. Il gouverne l'armée, et par elle il gouverne le Parlement; il met ce Parlement dans la neceffité de le faire enfin Généraliffime. Tout cela eft beaucoup; mais ce qui eft effentiel, c'eft qu'il gagne toutes les batailles qu'il donne en Angleterre, en Ecoffe, en Irlande; et il

les gagne, non en voyant combattre, et en fe ménageant, mais toujours en chargeant l'ennemi, ralliant fes troupes, courant partout, fouvent bleffé, tuant de fa main plufieurs Officiers royalites, comme un grénadier furieux

et acharné.

l'amour;

Au milieu de cette guerre affreufe Cromwell fefoit il alloit, la Bible fous le bras, coucher avec la femme de fon Major-Général, Lambert. Elle aimoit le Comte de Holland, qui fervoit dans l'armée du Roi. Cromwell le prend prifonnier dans une bataille, et jouit du plaifir de faire trancher la tête à fon, rival. Sa maxime étoit de verfer le fang de tout ennemi important, ou fur le champ de bataille, ou par la main des bourIl augmenta toujours fon pouvoir, en ôfant toujours en abufer; les profondeurs de fes deffeins n'ôtoient rien à fon impetuofité féroce. Il entre dans la chambre du Parlement, et prenant fa montre, qu'il jette à terre, et qu'il brife en morceaux; Je vous cafferai, dit-il comme cette montre. Il y revient quelque tems après, chaffe tous les membres l'un après l'autre, en les fefant défiler devant lui. Chacun d'eux et obligé en paffant de lui faire une profonde révérence. Un d'eux paffe le chapeau

reaux.

fur la tête; Cromwell lui prend fon chapeau, et le jette par terre: Apprenez, dit-il, à me refpecter.

la

Quand il eut outragé tous les Rois en fefant couper tête à fon Roi légitime, et qu'il commença lui-même à régner, il envoya fon portrait à une tête couronnée, c'étoit la Reine de Suède Chriftine. Marvel, fameux poëte Anglois, qui fefoit fort bien des vers Latins accompagna će portrait de fix vers, où il fait parler Cromwell lui-même. Cromwell corrigea les deux derniers, que voici:

At tibi fubmittet frontem reverentior umbra,
Non funt hi vultus regibus ufque truces.

Le fens hardi des fix vers peut se rendre ainfi :

Les armes à la main j'ai défendu les loix; D'un peuple audacieux j'ai vengé la quérelle. Regardez fans frémir cette image fidelle; Mon front n'eft pas toujours l'épouvante des Rois.

Cette Reine fut la première à le reconnoître dès qu'il fut protecteur des trois royaumes. Prefque tous les Souverains de l'Europe envoyèrent des Ambaffadeurs à leur frère Cromwell, à ce domeftique d'un évèque, qui venoit de faire périr par les mains du bourreau un Souverain leur parent. Ils briguèrent à l'envi fon alliance. Le Cardinal Mazarin, pour lui plaire, chaffa de France les deux fils de Charles I. les deux petits-fils de Henri IV. les deux coufins germains de Louis XIV. La France conquit Dunkerque pour lui, et on lui en remit les clefs. Après fa mort Louis XIV. et toute fa cour portèrent le deuil, excepté Mademoifelle, qui eut le courage de venir au cercle en habit de couleur, et foutint feule l'honneur de fa race.

Jamais Roi ne fut plus abfolu que lui. Il difoit, qu'il avoit mieux aimé gouverner fous le nom de Protecteur que fous celui de Roi, parce que les Anglois favoient jufqu'où s'étend la prérogative d'un Roi d'Angleterre, et ne favoient pas jufqu'où celle d'un Protecteur pouvoit aller. C'étoit connoître les hommes, que l'opinion gouverne, et dont l'opinion dépend d'un nom. Il avoit con

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