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pour les faire combattre contre d'autres de leurs femblables. J'ai été furpris de la valeur de ces animaux. A peine les a-t-on lâchés hors de leurs facs, qu'ils s'élancent foudainement l'un fur l'autre, et fe battent fans aucun objet, jufqu'à ce que le plus foible refte étendu fur la place. Avant le combat les connoiffures jugent de la force et de la vaillance des coqs par leurs coups d'oeil, et examinent pour cet effet fort attentivement leurs yeux; après quoi, les paris fe font, et la bataille commence. Attiré l'autre jour par la curiofité à un pareil fpectacle, je tenois en main une orange, lors qu'un des coqs terraffant fon adverfaire l'étendit fur le carreau, où il resta un moment fans donner figne de vie. Uu voifin inconnu me dit alors avec vivacité, Monfieur, je parie quatre guinées contre votre orange pour le coq maintenant victorieux Je Jui répondis, Monfieur, voilà qui eft fait. Le coq terraflé ramafle fes forces, remontà fur fes ergots, et remporta la victoire. Je gardai mon orange, mais je refufai de prendre les 4 guinées du parieur, qui me parut également fenfible à fa perte et à ma générofité.

On m'a raconté qu'un Italien industrieux s'avifa de donner il y a quelque années un fpectacle fingulier à Londres. C'étoit d'abord un concert de chats qu'il avoit rangés felon leur age, leur groffeur, et leur voix plus ou moins forte, fur des gradins, en forme d'amphithéatre. Tous les chats étoient ajuftés de fraifes et de manchettes de papier. Ils avoient devant eux des pupitres où leurs pattes étoient attachées Chaque chat avoit devant foi une feuille de mufique et deux bougies. L'on m'a affuré que cette affemblée de virtuofes miftigris formoit un coup d'œil bien comique au moment qu'on levoit la toile, qu'il y avoit parmi ces chats des phifionomies fort plaifantes, que chacun d'eux fembloit rouler les yeux d'une manière différente; que la mufique et les inftruments dont on accompagnoit leur voix, étoient égalemens bizarres; et que toutes leurs queues étant arrêtées dans des pinces, le maître de cette chapelle fingulière n'avoit qu'a ferrer ces -pinces pour faire miauler et crier fes chanteurs aux endroits où il en avoit befoin.

La feconde partie de ce fpectacle burlesque étoit formée par des coqs d'Inde, qu'on fefoit marcher dans des efpèces de galleries dont le fund étoit de fer ou laiton

battu. On plaçoit fous ces galleries des braziers allumés, qui échauffoient peu à peu le fer. Les coqs d'Inde marchoient d'abord à pas graves et mefurés au fon d'une mufique qui jouoit des farabandes, des loures, &c. A mefure que le parquet s'échauffoit, les coqs d'Inde doubloient le pas, et la mufique alloit plus vite; jufqu'à ce qu'enfin le fer venant prefque à fe rougir, ces pauvres animaux ne fefoient plus que fauter, cabrioler, et faire des contorfions qui fefoient pâmer de rire les badauds Anglois. On prétend que cet Italien s'est enrichi à Londres, par cette invention comique.

Mais que direz-vous de la fougue d'un peuple qui, feduit par fa paffion pour le fpectacle et pour le fingulier, le laiffa perfiffler par un mauvais plaifant, qui avoit fait afficher aux coins des rues de Londres, qu'à tel jour, à telle heure, et à tel théâtre, un homme fauteroit dans une bouteille qui put contenir une pinte Oui, Monfieur, les plus honnêtes gens d'Angleterre fe rendirent à ce fpectacle, payèrent l'entrée, la falle étoit remplie comme un œuf: mais tous furent attrapés; car au bout d'une heure d'attente, le mauvais plaifant se presenta fur le bord du théâtre, et dit qu'on n'avoit pu trouver dans tous les cabarets de Londres une bouteille que contint l'exacte mefure d'une pinte, qu'ainfi on demandoit pardon aux fpectateurs, et qu'on étoit prêt à leur rendre l'argent à la 'porte s'ils l'exigeoient. Il difparut au même inftant. Le parterre fe voyant ainfi leurré, entra en fureur, fit tapage, brifa les bancs, les décorations; et il y eut un tumulte fi grand, que les uns y perdirent leurs épées, d'autres les perruques, leurs chapeaux, &c. mais l'argent ne peut être rendu, le fourbe avoit trouvé moyen de s'évader fans qu'on ait jamais pu le découvrir.)

Les

Je ne vous raconte ces babioles que pour vous faire connoître le génie du peuple Anglois, et fon goût décidé pour tout ce qui s'appelle fpectacle. Il me femble que leur trop grande multiplicité caufe trop de diftraction à la nation, et enleve trop de tems à l'induftrie. Jcourfes de chevaux furtout font d'une dangereuse conféquence, parce qu'elles occupent trop la maltitude, et donnent aux Grands comme au peuple uu certain ton de libertinage, et un éloignement pour la vie fédentaire et pour l'application aux principaux objets de leur devoir,

Je ne fais, chèr Ami, fi ma lettre vous rencontrera encore à Berlin. Vous êtes fans doute parti avec le Roi pour la Silefie; et je crois que vous fuivrez fon plumèt blanc dans la route de l'honneur et de la gloire. Puiffiez vous y cueillir des lauriers qui ne foient pas teints de votre propre fang. J'éleverai, comme Moife, mes mains vers le Cièl fur la plus haute montagne d'Angleterre, et je ferai des vœux pour votre confervation, tandis que vous jouerez des couteaux dans les plaines de Silefie.

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L

SUR LA MARINE.

ES Anciens nous ont tranfmis prefque tous les arts, qui font reffufcités avec les lettres; mais nous l'em portons fur eux dans la marine militaire. Tyr et Sydon, Carthage et Rome, n'ont presque vu que la Méditerranée; et pour courir cette mèr, il ne falloit que des radeaux, des galères, et des rameurs. Les combats alors pouvoient être fanglans; mais l'art de la conftruction et de l'armement des flottes ne devoit pas être favant. Four traverser de l'Europe en Afrique, il ne falloit, pour ainfi dire, que des batteaux plats, qui débarquoient des Carthaginois ou des Romains: car ce furent prefque les feuls peuples qui rougirent la mèr de leur fang. Les Athéniens et les républiques de l'Afie, firent heureusement plus de commerce que de carnage.

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Après que ces nations fameufes eurent laiffé la terre et la mèr

des brigands et à des pirates, la marine resta durant douze fiècles dans le néant où étoient tombés tous les autres arts. Ces effaims de barbares, qui dévorèrent le cadavre et le fquélette de Rome, vinrent de la mèr Baltique, fur des radeaux ou des pirogues, ravager et piller nos côtes de l'océan; mais fans s'écarter du conti nent. Ce n'étoient point des voyages, mais des descentes qui fe renouvelloient chaque jour. Les Danois et les Normands n'étoient point armés en course, et ne favoient gueres fe battre que fur terre.

Enfin, le hafard ou la Chine donna fa bouffole à l'Europe, et la bouffole lui donna l'Amérique. L'ai guille aimantée montrant aux navigateurs de combien ils

s'approchoient ou s'éloignoient du Nord, les enhardit à: tenter les plus longues courses, à perdre la terre de vue, durant des mois entiers. La géométrie et l'astronomie apprirent à mefurer la marche des aftres, à fixer par eux les longitudes, et à eftimer à-peu-près de combien on avançoit à l'Eft ou à l'Ouest. Dès-lors on devoit savoir à quelle hauteur, à quelle distance on fe trouvoit de toutes les côtes de la terre. Quoique la connoiffance des longitudes foit beaucoup plus inexacte que celle des latitudes, l'une et l'autre eurent bientôt affez hâté les progrès de la navigation, pour faire éclorre l'art de la guèrre navale. Cependant elle débuta par des galères qui é. toient en poffeffion de la Méditerranée. La plus fameufe bataille de la marine moderne, fut celle de Lepante, qui, fut livrée il y a deux cents ans, entre deux cent cinq galères de Chrétiens, et deux cent foixante des Turcs. L'Italie qui a tout trouvé et n'a rien gardé, l'Italie feule avoit conftruit ce prodigieux armement; mais alors elle avoit le double du commerce, des richeffes, de la population qui lui restent aujourd'hui. D'ailleurs, ces galères n'étoient ni fi longues, ni fi larges, que celles de nos jours, comme l'attellent encore d'anciennes carcaffes qui fe confervent dans l'arfenal de Venife. La chiourme confifloit en cent, cinquante rameurs, et les troupes n'étoient que de quatre-vingts hommes par bâtiment. Aujourd'hui Venife a de plus belles galères, et moins de puiflance fur cette mèr, qu'elle épouse, et que d'autres filonnent et labourent.; ...

Mais les galères étoient bonnes pour des forçats; il falloit de plus forts vaiffeaux pour des foldats. L'art de la conftruction s'accrut, avec celui de la navigation. Philippe II. Roi de toutes les Efpagnes et des deux Indes, employa tous les chantiers d'Efpagne et de Portugal, de Naples et de Sicile, qu'il poffédoit alors, à conftruire des navires d'une grandeur, d'une force extraordinaires; et fa flotte prit le nom de l'Invincible Armada. Elle é toient compofée de cent trente vaiffeaux, dont près de cent étoient les plus grôs qu'on eût encore vus fur l'Océan, Vingt caravelles, ou petits bâtiments, fuivoient cette flotte, voguoient et combattoient fous fes ailes. L'enflure Efpagnole, du feizieme fiecle s'eft prodigieufement, ap. pefantic fur une defcription exagérée et pompeufe de cet

que

armement fi formidable. Mais ce qui répandit la terreur et l'admiration il y a deux fiècles, ferviroit de rifée aujourd'hui. Les plus grands de ces vaiffeaux ne feroient du troifième rang dans nos efcadres. Ils étoient fi pefamment armés et fi mal gouvernés, qu'ils ne pouvoient prefque fe remuer, ni prendre le vent, ni venir à l'abordage, ni obéir à la manoeuvre dans des temps orageux. Les matelots étoient auffi lourds que les vaiffeaux étoient maffifs, les pilotes prefqu'auffi ignorans que les matelots.

Les Anglois, qui connoiffoient déjà toute la foibleffe et le peu d'habileté de leurs ennemis fur la mèr, fe repofèrent du foin de leur défaite fur leur inexpérience. Contents d'éviter l'abordage de ces pefantes machines, ils en brulèrent une partie. Quelques-uns de ces énormes galions furent pris, d'autres délemparés. Une tempête furvint. La plupart avoient perdu leurs ancres; ils furent abandonnés par l'équipage à la fureur des vagues, et jettés, les uns fur les côtes occidentales de l'Ecoffe, les autres fur les côtes d'Irlande. A peine la moitié de cette invincible flotte peut retourner en Espagne, où fon délabrement, joint à l'effroi des matelots, répandit une confternation dont la nation ne fe releva plus; abattue à jamais par la perte d'un armement qui lui avoit couté trois ans de préparatifs, où les forces et revenus s'étoient comme épuisés.

La chute de la marine Efpagnole fit paffer le fceptre de la mèr aux mains des Hollandois L'orgueil de leurs anciens tyrans ne pouvoit être mieux puni, que par la profpérité d'un peuple forcé, par l'oppreffion, à brifer le joug des Rois. Lorfque cette République levoit la tête hors de fes marais, le refte de l'Europe étoit plongé dans les guerres civiles par le fanatifme. Dans tous les états, la perfecution lui préparoit des citoyens. L'inquifition, que la Maifon d'Autriche vouloit étendre dans les pays de fa domination; les buchers, que Henri II. allumoit en France; tout concourut à donner à la Hollande un peuple immenfe de refugiés. Elle n'avoit ni terres, ni moiffons pour les nourrir. Il leur fallut chercher une fubfiftance par mèr, dans le monde entier. Lisbonne, Cadix et Anvers, fefoient prefque tout le commerce de

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